Jean-Paul Lespagnard, créateur et artiste: « J’aurais pu devenir fou ou tomber dans la drogue”
Il y a vingt ans, il débutait dans nos pages, à créer des shootings mode plutôt déjantés. Depuis, plus nomade que jamais, le créateur créatif installe son pop-up à travers le monde, d’Istanbul à Mexico, en passant par Hydra et Bruxelles. Entre le jury de Drag Race Belgium, une suite à son image au 18e étage de The Hotel et les costumes pour Omphalos du chorégraphe Damien Jalet, Jean-Paul Lespagnard (44 ans) explose toutes les cases.
Le Vif Weekend a été mon premier terrain de jeu
Je sortais de l’école, le magazine avait organisé une expo qui s’appelait Décollage, à l’Ancienne Belgique et qui mettait en lumière les jeunes créateurs. J’avais fait une installation sur le thème du camping… Et puis l’équipe m’a proposé de faire les shootings de mode. Et j’ai tant appris. Il y avait alors aussi beaucoup de liberté, j’ai pu créer des images et l’univers qui allait avec et tenir un vrai discours. J’étais même encouragé à la faire. Bien plus tard, en 2019, pour mon projet Extra-ordinaire, j’ai même eu droit à la cover, c’est important d’être ainsi soutenu.
Les morts sont encore en vie
J’ai lu cette phrase sur un mur du cimetière d’Ocotitlan, un petit village du Mexique. Là-bas, on les célèbre d’une tout autre manière que la nôtre. Pour la fête des morts, le 1er novembre, les Mexicains cuisinent les plats préférés de leurs défunts qu’ils posent sur un autel devant leur photo, c’est comme s’ils étaient présents. C’était la première fois que j’assistais à cette cérémonie, je me suis assis seul dans un coin, pour regarder, c’était beau et intime. J’ai pensé à mon père, à ma mère, à Emile, à tous ces gens qui sont partis et à qui j’ai dit au revoir. Et j’ai ressenti une joie calme.
Il ne faut pas regarder le monde avec des œillères
J’ai vécu avec une famille dans un village de montagne en Papouasie. Et j’ai eu un vrai choc. Il a fallu que j’aille si loin, que je découvre leur vie tellement différente de la mienne, dans une hutte avec des cochons qui courent partout et eux qui vivent nus pour me rendre compte qu’on vit tous dans des espaces-temps différents, même ma voisine d’en bas, dans mon appartement à Bruxelles. Cela m’a marqué, à tel point que j’ai senti un changement physique dans mon corps, comme une acceptation.
« On vit tous dans des espaces-temps différents. »
Il y a tant de définitions de la beauté
On peut la créer en mélangeant des objets qui viennent de partout dans le monde. C’est ce que j’ai voulu montrer en décorant la suite à The Hotel, à Bruxelles. Ce que j’aime dans le projet, c’est qu’il y a une double lecture. Le choix des œuvres parle vraiment de la question de l’identité et du genre – si cela vous parle, vous pouvez le lire et si non, juste y voir une ambiance très colorée et paisible.
La créativité peut sauver
Elle m’a sauvé. Quand j’étais enfant, à Harzé, je me sentais très différent parce que je suis gay. Et cela m’a fait sortir de ma zone de confort. Cela a développé ma créativité et m’a fait quitter mon petit village des Ardennes pour aller à Liège puis à Bruxelles et puis dans le monde entier.
Nous sommes tous singulièrement nous-mêmes
De l’homme ultime à la femme ultime, il y a tout un spectre absolument différent de genres. Il ne faut pas essayer de mettre des gens dans des cases ou alors qu’il y ait plein de cases. Il y a peu, je discutais avec une personne trans à Istanbul, elle me confiait qu’elle était comme une boule à facettes, c’est en les regardant toutes ensemble que l’on peut découvrir l’essence des gens.
Les drag queens à la télé, c’est une mini révolution
Je trouvais important d’être jury dans Drag Race Belgium, de montrer à plein de monde cette communauté dont je fais partie, même si j’en ai d’autres. Je me dis que cela permet d’envoyer un message fort à tous ceux et à toutes celles qui se sentent différents. Et puis cela permet d’ouvrir les cases et de montrer qu’il y en beaucoup d’autres. A la RTBF, il y a maintenant aussi bien des gens qui regardent Une brique dans le ventre et des drag queens, c’est chouette quand même.
La malchance peut être une chance
J’ai grandi sans mes parents, qui étaient en hôpital psychiatrique et j’ai été éduqué par mes sœurs qui avaient à peine quelques années de plus que moi. J’aurais pu devenir fou ou tomber dans la drogue ou la dépression. Mais cette malchance, je l’ai retournée. Je me suis fait ma propre éducation. Mon cadre n’était pas tellement défini, ce qui m’a permis de créer mon propre non-cadre ! Et je me suis offert la chance d’être toujours très indépendant. Jamais je ne veux qu’on m’enlève cette liberté.
jeanpaullespagnard.com ; thehotel-brussels.be
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