Carte blanche

L’appel d’une maman : « À qui de droit et de responsabilité »

Nadine T. est maman. Ce matin marque la neuvième semaine de confinement et dans une semaine sa fille de première année primaire aurait pu – selon les informations de la Fédération Wallonie-Bruxelles communiquées fin avril – retourner quelques jours à l’école à partir du 25 mai (aucune date de retour n’a été annoncée pour son garçon de quatrième primaire). Elle est aujourd’hui guidée par le besoin de s’exprimer. D’exprimer ses ressentis – du doute à la colère en passant par l’incompréhension – concernant le manque d’informations au sujet de la reprise de l’école et l’absence de préoccupation sur le bien-être de ses enfants et des parents en cette période particulière de pandémie mondiale. Elle a adressé un courrier à la directrice de l’école, à l’échevine de l’Instruction publique ainsi qu’à Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant où elle dévoile ses inquiétudes.

En ces temps de « confinement/télétravail/enseignement/garde d’enfant », à l’instar de nombreux parents avec qui je suis en contact, j’ai du mal à tout suivre et assumer. Je me sens souvent dépassée sans que cela ne semble inquiéter quiconque.

Les informations que nous recevons via les médias ne sont pas toujours claires et complètes voire parfois contradictoires, tant les informations/recommandations scientifiques divergent. Trop souvent elles nous laissent dans le doute.

Des articles parlent de reprise en ordre dispersé selon disponibilité de masques. La stratégie de déconfinement arrêtée par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles fin avril stipule une reprise en première et deuxième primaire « dans la mesure du possible ». Mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Et qu’en est-il de l’école de mes enfants? La ministre de l’Enseignement affirmait le jeudi 7 mai, au journal télévisé que « si toutes les conditions de sécurité et d’hygiène ne sont pas réunies pour le 18 mai, alors la reprise des leçons doit être postposée jusqu’à ce qu’on trouve des solutions ». Jusqu’à quand ? Et pendant ce temps qui soutient les enfants? Et les parents?

Nous sommes nombreux à n’avoir reçu ou vu d’information concrète sur ces sujets de la part de la commune ou de la direction de l’école à ces sujets. C’est inadmissible.

Je suis partagée entre une source de stress et de colère. On parle beaucoup des parents inquiets sur les conditions du retour des enfants à l’école et c’est normal. Mais l’on parle peu des parents n’ayant aucune perspective quant au retour des enfants à l’école et qui, comme c’est le cas chez nous, doivent continuer à tout mener de front : télétravail, enseignement et garde d’enfants, soutien pédopsychologique, etc. sans même pouvoir anticiper les semaines et mois à venir.

Depuis le 15 mars, nous savions qu’il allait falloir revenir à l’école à un moment donné. Pourquoi et comment cela n’a-t-il pas pu être organisé, même à minima et surtout anticipé ? Et surtout pourquoi la communication vers les parents – et donc les enfants – ne semble pas être une priorité, tout comme le soutien à leur apporter ?

Un grand nombre de parents (dont je fais d’ailleurs partie) se sent démuni en ce qui concerne le suivi scolaire de leurs enfants pendant cette période. Et peu soutenus, là encore.

Bien sûr, les professeurs envoient les devoirs hebdomadaires et prennent des nouvelles des enfants. Cependant, avec le temps, les enfants peinent à trouver la motivation et le sens de l’exercice sans reprise à l’horizon et ils ne font plus aussi régulièrement leurs devoirs. Le manque de réels contacts et interactions avec leur enseignant.e est fort. Mon fils en a marre de faire ses devoirs sur une feuille. Il préférerait que son institutrice lui donne des explications. Ma fille apprend à lire et à écrire, sans personne à ses côtés pour la guider elle ne peut être autonome et est vite découragée.

Je regrette aussi la disparité au sein des écoles et aussi entre écoles en ce qui concerne la prise de contact avec les enfants et les familles. Certains enfants reçoivent peu, d’autres beaucoup. Certains ont des contacts via visioconférence, des cours en lignes, d’autres, comme les nôtres, aucun.

J’entends l’argument de la fracture numérique. Or, je pense qu’aujourd’hui, on ne pallie pas non plus à l’accessibilité aux emails et l’impression des devoirs à la maison. Il n’est d’ailleurs pas certain que chaque enseignant.e ait contacté chaque famille de ses élèves à ce sujet.

Dans la classe de mes enfants, ce n’était pas le cas. En communiquant avec des parents-amis, ce n’est généralement pas le cas : les directions d’école et les autorités communales ne sont que très peu à être entrées en contact avec les familles, afin de prendre des nouvelles (savoir si nous nous en sortions, et surtout si les enfants allaient bien).

Dans notre famille, mon compagnon et moi-même nous télétravaillons tous les deux, de 9h00 à 18h00 avec une charge de travail soutenue. Il nous est, dès lors, difficile d’assurer le suivi scolaire de nos enfants. Le besoin d’un cadre enseignant pour les devoirs se fait fortement sentir. Nous ne pouvons le fournir que ce soit en termes de temps ou en termes de compétence. Il nous est difficile, après une journée de travail, de faire les corrections. Le peu de temps et d’énergie que nous consacrons à nos enfants, après le travail, est dédié à du temps qualitatif ensemble : des jeux, des sorties au parc ou en vélo et bien sûr la préparation des repas, du coucher, etc. Une fois les enfants au lit – souvent plus tard qu’en temps normal -, nous tentons de trouver un peu de temps pour recharger les batteries après ces journées plus que complètes. Avant la suivante…

Nous sommes conscients d’avoir un grand appartement où chacun.e peut trouver de l’espace. Je pense à ces familles, dont certaines monoparentales, qui doivent cohabiter dans des petits espaces.

Malgré cela, la fatigue de chacun d’entre nous quatre, le huis clos familial et l’absence de perspective entrainent trop souvent des moments de tensions. Par exemple quand nous les obligeons à faire leurs devoirs sans pouvoir être à leurs côtés, quand nous essayons de limiter l’accès à la télévision sans leur offrir notre présence en contrepartie et d’irritabilité, quand nous souhaitons nous reposer alors qu’ils demandent notre attention ou réconfort ou quand ils se disputent à force de n’être en présence que l’un de l’autre. Des tensions que nous devons gérer seuls.

Mon compagnon et moi essayons de nous protéger d’un risque de burn-out parental et de protéger les enfants de notre colère, de la perte de contrôle de nos paroles ainsi que d’actes maltraitants (cris, gestes, punitions…) quand nous sommes à bout. Nous restons bienveillants mais comment être sûrs d’être dans le juste lorsque l’on est épuisé, vidé et sans ressource pour nous guider ? Alors dans tout cela s’occuper des devoirs devient secondaire, mais ne cesse pour autant de nous inquiéter.

Cette période et la façon dont nous la vivons en tant que famille avec des enfants a un impact sur l’équilibre psychologique de chacun et chacune d’entre nous, et la place de l’école dans cet équilibre est fondamentale. L’idée qui semble circuler et qui semble acquise par tout le monde que les enfants ne retourneront pas à l’école avant septembre ne pose pas la question de cet équilibre.

La perspective de devoir tenir encore trois mois dans ces conditions tout en se demandant avec angoisse si la rentrée sera vraiment anticipée et si elle ne sera pas encore chaotique, sans perspective de retour à l’école avant la fin juin ou de stages durant l’été ainsi que pour certain.e.s de vacances, ou de soutien familial (comme cela est notre cas), etc. ne fait qu’augmenter questionnement et angoisse. Chez adultes et enfants.

Pour les enfants, le fait de ne pas savoir quand il vont retourner dans leur école et revoir leur enseignant et leurs amis devient source d’inquiétude et de tristesse. Ils ont fait le tour de leurs jeux et livres et se sont livrés à toutes les inventions possibles. L’ennui pointe son nez et avec lui les moments d’apathie, de frustration et d’énervement.

Plus globalement, une question me taraude : comment allons-nous sortir de cette période ? Physiquement ? Psychiquement ? Et dans nos rapports avec l’école? Comment les enfants, les miens et tous les autres, vont en sortir ? Comment nous, parents, allons en sortir ?

À l’heure actuelle, et depuis les deux mois écoulés, je ne me sens pas soutenue ni aidée en tant que parent, que ce soit par la direction de l’école, la commune ou quelconque instance politique que ce soit pour faire face à toutes ces interrogations, à cet épuisement. Or, pour traverser cette période le plus sereinement possible, les enfants – déscolarisés, désocialisés – ont besoin d’avoir auprès d’eux des parents sereins, informés et non pas épuisés et démunis.

J’espère que ce message sera lu et compris et pourra donner un éclairage sur le vécu et les besoins des parents et des enfants. Et incitera une prise de décisions et de mise en acte.

Nadine T. mère de famille et salariée en télétravail

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