La chronique de Grégoire Polet: univers

Toutes les deux semaines, l’écrivain Grégoire Polet nous dévoile ses coups de coeur et coups de griffe.

Il y a plusieurs sortes de livres et il y a plusieurs espèces d’écrivains. Mais il y a ceux qui construisent un monde et qui sont dans leur monde. Et ceux-là sont ceux qui m’intéressent le plus.
On peut faire d’eux l’analyse élémentaire suivante : qu’ils sont, dans la réalité, profondément insatisfaits (que ce soit consciemment ou non n’importe pas beaucoup), c’est-à-dire qu’ils ont en eux un désir trop grand pour la réalité dans laquelle ils vivent, ou du moins un désir inconciliable. Ils ont, comme on dit qu’un enfant a les yeux plus gros que le ventre, le désir plus gros que la réalité. (Je ne m’attarde pas sur la nature de ce désir.) Et ils commencent alors, par les moyens littéraires, à faire graviter autour d’eux un monde, un univers, dont l’objectif est d’atteindre des dimensions où leur grand désir ait des chances de pouvoir s’épanouir et espérer se rassasier, ne fût-ce qu’un peu, ou ne fût-ce que momentanément, périodiquement, et suffisamment pour repartir encore. Ils font un univers, plus ou moins à l’image du réel, mais, au fait, à l’image et à la ressemblance du désir. Et dans ce monde-là, ils commencent à trouver une place pour eux. Et l’écriture devient alors vitale, une véritable fonction vitale. Ils n’écrivent pas pour trouver leur place dans le monde, mais pour créer le monde où ils ont une place. Ces univers, ces oeuvres, sont comme des immenses bulles de savon. Et leur lecteur est celui qui regarde ces bulles de savon graviter dans l’air et s’iriser de mille couleurs, gratuites, innocentes, suprêmement belles. Et probablement porteuses d’une vérité qui échappe à la pesanteur. (Les grands romanciers sont tous enfants de don Quichotte. Et les grands lecteurs, tous des enfants de Sancho — mais ça, c’est une autre histoire.)

Grégoire Polet

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