La fabuleuse histoire du… frigobox

Frigobox
Nicolas Balmet
Nicolas Balmet Journaliste

Il n’y a qu’en Belgique qu’on parle de « frigobox ». Ailleurs, c’est avec une « glacière » qu’on débarque à la plage ou au pique-nique de tante Christine. Quoi qu’il en soit, son histoire est amusante, alors on vous la raconte.

Souvenez-vous, l’été dernier : deux dames de Knokke s’offraient un buzz sur les réseaux sociaux, héroïnes malgré elles d’une vidéo virale qui s’est transformée en « frigoboxgate ». Filmées par un média hollandais qui venait vérifier si la jeunesse locale ressemblait bel et bien à celle décrite dans la série Knokke Off de Netflix, les dames en question étaient effarées de voir débarquer dans « leur » station des hordes de touristes « en shorts et avec des frigobox. »

Quelques jours plus tard, un événement était organisé, censé rassembler 47.000 participants défilant sur les plages de Knokke… avec des frigobox. Finalement, à peine 4.000 personnes s’étaient déplacées, tandis que les dames présentaient leurs excuses au bourgmestre de Knokke. Un demi-flop pour un vrai buzz, toujours bon à prendre pour l’économie locale, même quand on s’appelle Knokke.

Un bourgmestre très agacé

Ce qui est étonnant, dans cette histoire, c’est que personne n’a alors songé à faire un rapprochement pourtant évident : c’est à Knokke qu’un beau jour, est apparu le terme de… frigobox. Pour être précis, il est sorti de la bouche du bourgmestre le plus célèbre de la ville, sans lequel la station n’aurait jamais acquis sa clinquante réputation : Leopold Lippens en personne. Le gaillard, qui régna sur Knokke de 1979 jusqu’à son décès en 2021, était connu pour ses prises de position pas toujours très élégantes. Il n’était pas très fan, par exemple, des vacanciers qui osaient se montrer en bikini ou torse nu en dehors des plages. Et il était encore moins fan de ceux qui débarquaient à Knokke pour une seule journée, emportant avec eux leur nourriture et leurs boissons sans jamais mettre un orteil dans les boutiques ou les restaurants de la station. Aussi, dans les années 80, Leopold Lippens n’y alla pas par quatre chemins : il traita ces vils manants de « touristes frigobox », créant un belgicisme très imagé pour qualifier ce qu’on appelait alors des « glacières ».

Ainsi naquit le… refrigerator !

Et elles viennent d’où, ces glacières qu’on emmène aussi bien à la plage qu’au camping ? Si on voulait être précis, on devrait remonter à une époque très lointaine, puisque les Romains utilisaient déjà des tonneaux en bois afin de stocker leurs aliments et maintenir leurs boissons au tiède. Mais passons quelques siècles, histoire de ne pas refroidir… votre attention. Le tournant eut lieu au début du XIXe siècle, lorsqu’on fit (de canard) des vrais progrès en terme d’« isolation ».

C’est un agriculteur du Maryland américain nommé Thomas Moore qui inventa la première cuve isolante lui permettant de faire descendre légèrement les denrées en-dessous de la fameuse « température ambiante ». Une création qu’il baptisa « refrigerator » – on vous épargne la traduction – et qui était pour le moins ingénieuse pour l’époque : du bois de cèdre en guise de paroi extérieure, et une boîte en fer-blanc à l’intérieur, tapissée de fourrure de lapin. L’objectif premier de Thomas Moore : y mettre de la neige ou de la glace qui maintenait au frais le beurre qu’il vendait sur les marchés locaux…

L’âge des glaces

L’homme eut à la fois le beurre et l’argent du beurre, puisque son invention fit très vite son chemin pour séduire les commerçants de toute la nation. La consécration ? Un certain Thomas Jefferson, alors président des Etats-Unis, fit construire un « refrigerator » géant dans son domaine pour y stocker sa viande et la… crème glacée dont il raffolait depuis qu’il était tombé amoureux de ce dessert lors d’un voyage en France. Sans surprise, l’essor du réfrigérateur et le commerce de la glace ont d’ailleurs été de pair, même si la stracciatella n’était pas encore arrivée jusque-là (ceci est une remarque totalement subjective, mais c’est promis, un jour, on vous racontera comment la stracciatella a conquis l’Amérique, on doit juste encore vérifier que l’histoire soit un minimum intéressante).

Merci le polystyrène !

L’ingénieur américain Ray McIntire va se charger presqu’à lui seul d’écrire la suite de l’aventure, et pour cause : dans les années 40, c’est lui qui invente le Styrofoam, une mousse de polystyrène constituée de milliards de minuscules poches d’air qui garantit une excellente isolation et une grande légèreté pour le transport. Durant la décennie suivante, le matériau est utilisé pour façonner une invention qui va partir à la conquête du monde entier : la glacière. Le brevet est déposé en décembre 1953 par le dénommé Richard C. Laramy Il n’y a pas de hasard : l’homme travaille alors pour une société qui crée du matériel… de camping.

Ce cher Richard ne le sait pas encore, mais il rendra bientôt ivres de joie des millions de campeurs qui, après avoir réussi à monter leur tente, passeront le reste de leur séjour assis sur leur glacière, histoire de ne jamais être trop loin des bières fraîches qu’elle contient. Et même quand les « sacs isothermes » tenteront de venir lui faire de l’ombre, le frigobox réussira à rester dans le cœur des vrais voyageurs, ceux qui emportent toujours leur parasol, leur maillet et leur couteau suisse, quitte à oublier la gourde des gamins.

Lire aussi: La fabuleuse histoire du couteau suisse.

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