Les ados expliqués aux parents

Non, les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas plus difficiles qu’autrefois. Ils ne sont ni plus fragiles ni plus enclins à se mettre en danger. Chef de service de la Maison des adolescents de l’hôpital Cochin, la psychiatre Marie Rose Moro vient de publier un ouvrage précieux à l’usage de tous les parents d’ados. Un livre juste et plein de bon sens. A lire au plus vite !

A entendre bon nombre de parents, les relations sont devenues plus délicates avec les ados. Ceux-ci ont-ils vraiment changé?
C’est surtout l’époque qui a changé! Aujourd’hui, l’adolescence commence tôt et se termine tard. Ce n’est plus un passage, c’est une étape de la vie. Une étape durant laquelle on reste dépendant de la génération qui nous précède alors qu’on a envie de liberté, de plaisir, de responsabilités d’adulte. Autre évolution de nos cultures occidentales, nous avons peu d’enfants et, du coup, nous reportons sur eux toutes nos projections. On en attend tellement qu’ils finissent par nous décevoir! Tout cela peut provoquer de vraies tensions.

Beaucoup pensent que les enfants sont de plus en plus secrets. Qu’ils leur échappent, en somme. Est-ce vrai?

Ils ne sont pas plus secrets qu’avant, mais on oublie souvent qu’une dose de secret est nécessaire pour grandir. L’adolescence est une période de transition entre l’enfance et l’âge adulte. Pour que ce passage se fasse, un enfant doit se séparer de ses parents. Physiquement et psychologiquement. Il doit apprendre à décider par lui-même, selon ses désirs, ses expériences, ses propres interdits. Et il faut l’encourager à le faire. Dire: « Je suis d’accord que tu te sépares. Je sais que cela ne veut pas dire que tu ne m’aimes plus, que tu me trahis. » L’idée est de les accompagner, de leur rendre cette transition plus facile. Pour eux aussi, c’est dur!

Le fait qu’ils refusent qu’on entre dans leur chambre fait partie de ce besoin de secret?

Absolument. La chambre est la représentation de leur intériorité. Entrer brutalement dans la chambre d’un ado, c’est violer son intégrité. Et quand il n’est pas là, c’est pire que tout!

Leur tendance à la dissimulation, leurs mensonges, parfois, participent de la même nécessité?

Certains mensonges sont nécessaires. Ce sont des mensonges de construction. Si un ado ment sur ce qu’il a fait la soirée dernière, ce n’est pas forcément parce qu’il a fait des bêtises! C’est parce qu’il veut que ce moment lui appartienne. S’il le partage entièrement avec ses parents, il lui échappe. Il a peut-être passé deux heures avec une fille à qui il n’a pas osé toucher la main, mais il n’a pas envie de le dire. Les ados mentent essentiellement avec un objectif: préserver leur intimité.

Comment, alors, se situer par rapport à eux?

Il faut être à la fois disponible et respectueux en se rappelant une évidence: les ados ont besoin de leurs parents. De leur présence. D’un cadre rassurant et quotidien. Et ce sont les garçons les plus demandeurs, sans doute parce qu’on les prépare moins à une vie indépendante. Nous avons aujourd’hui encore une éducation trop sexiste!

Autre particularité actuelle, la plupart passent leur temps sur Facebook. Faut-il s’en inquiéter?

Les copains ont toujours eu une place importante chez les ados. Autrefois, on les quittait à la porte du lycée et on leur téléphonait en arrivant à la maison. Aujourd’hui, on les retrouve sur Facebook. Rien n’a vraiment changé! Il est parfois plus facile de parler via ce réseau ou le téléphone, cela fait partie de l’apprentissage des relations sociales. Dans ce domaine aussi, il faut prévenir, discuter. Les ados ne savent pas forcément que ce qu’ils écrivent aujourd’hui sera peut-être lu demain par leur DRH ou leur ancien(ne) petit(e) ami(e). Nous-mêmes l’ignorons en partie! Après, tout est question de bon sens. Un jeune peut y passer une heure, ne pas se relever la nuit pour se connecter. Si Internet prend le pas sur tout, s’il s’enferme dans sa chambre rivé à son écran et délaisse ses amis, on doit réagir et chercher à comprendre.

L’adolescence est le temps des émois. Doit-on s’intéresser à leurs amours?
Il faut être présent sans être intrusif. S’intéresser aux émois intimes et sexuels, non. Répondre à une demande, oui, mais toujours avec une grande pudeur. Par ailleurs, il est nécessaire de s’assurer qu’il possède toutes les informations sur la prévention et la contraception. On se rend compte, à la Maison des adolescents, que beaucoup de jeunes ne sont pas informés. Et c’est aux parents que revient cette « éducation sentimentale ». Récemment, une jeune fille en classe prépa est arrivée affolée en nous disant : « J’ai eu un rapport sexuel et je ne me suis pas protégée. J’ai peur d’avoir le sida, mais avec un seul rapport je ne peux pas être enceinte. » Trop souvent, ils ne savent pas des choses évidentes.


Certains demandent à passer la nuit à la maison avec leur petit(e) ami(e). Qu’en pensez-vous?

Question classique! Chacun adapte son mode de vie comme il le peut, mais la réponse du pédopsychiatre est claire. Il faut séparer les mondes. Si on les autorise à avoir une vie sexuelle sous le toit familial, pourquoi partiraient-ils? On en revient à cette question fondamentale de la séparation. « Quand tu as une vie sexuelle, tu trouves l’espace pour ça. Tu travailles l’été, tu prends une chambre… »

Les parents s’angoissent beaucoup pour leurs enfants. Les enquêtes montrent notamment que les jeunes boivent de plus en plus. Que faire?

Il existe un vrai problème d’alcool à l’adolescence, mais les études montrent qu’il n’est pas plus aigu qu’il y a dix ans. Seules différences: on commence plus jeune et ceux qui boivent le font davantage. Là encore, il y a une éducation à donner: parler des risques liés à l’alcool, des façons de se protéger… Ensuite, il faut s’adapter à la situation. Un ado peut boire parce qu’il est triste, parce que ça l’aide à entrer en relation avec les autres. Si on lui dit juste qu’il ne faut pas le faire parce qu’il risque d’être ivre, ça ne changera rien, au contraire. C’est justement ce qu’il souhaite! Il faut s’attaquer à son malaise, l’aider à se sentir mieux sans avoir besoin d’alcool. Et s’il rentre ivre un soir après une fête, lui dire que c’est grave. Cela signifie que l’adolescent ne maîtrise pas, qu’il se met en danger. Il faut dire non. Qu’il a dépassé les limites, qu’il doit réfléchir et qu’il ne sortira pas jusqu’à nouvel ordre. Les parents ont parfois des réactions extrêmes : soit une banalisation, soit un excès d’inquiétude. L’idéal est de se situer entre les deux, rappeler les règles et les faire respecter.

Et s’il fume? Même politique?

Pour les ados, fumer est une transgression. D’autant plus forte que bien des parents essaient d’arrêter. C’est une manière de dire: « Je suis différent des adultes, qui sont normatifs. » Là encore, on doit refuser. Rappeler que c’est dangereux, que cela favorise l’utilisation d’autres drogues.

C’est souvent difficile de dire non. Ça altère les relations, entraîne des conflits…
Une bonne ambiance est essentielle, mais pas à n’importe quel prix. N’hésitons pas à rester fermes, même si cela « pourrit » une soirée. Les ados sont très forts pour bouder mais on ne doit pas lâcher prise. D’ailleurs, ils comprennent très bien nos refus. Dans les groupes de parole, ils nous le disent: « Heureusement qu’ils nous ont empêchés! » Ils sont dans leur rôle d’exiger, on est dans le nôtre d’interdire. Avec bienveillance et au bon moment. Il y a un temps pour parler des problèmes et formuler les interdictions, et un autre, plus affectif, pour dire qu’on est content de se voir, qu’on s’aime… Il faut séparer les deux. On est dans une société où on a tendance à tout mélanger.

Certains parents ont plus de mal que d’autres.

Souvent parce qu’ils ne se comportent pas de façon suffisamment distante et ne posent pas les normes. Il y a peu, une mère qui élevait seule sa fille disait: « Ma fille me fait peur. Elle sort, elle fume et je n’arrive pas à lui dire non, parce qu’elle va croire que je ne l’aime plus. Et puis, je veux aussi qu’elle se sente libre. » Certes, mais quand c’est une liberté qui fait mal, une liberté qui autorise une enfance sabotée, ce n’est pas possible.

Autre source d’inquiétude, l’école. Vous dites que des bons résultats scolaires en disent long sur l’état psychologique d’un enfant…
Globalement, un enfant qui va bien se sent bien à l’école. Parce qu’il a un désir d’apprendre, mais pas seulement. Il y a les amis, les relations avec les professeurs. Quand tout se passe bien, l’école est un lieu incroyablement riche. Cependant, il y a des cas où on peut réussir sans aller bien. Les jeunes filles anorexiques sont, par exemple, excellentes. Des jeunes très angoissés sont aussi de bons élèves parce qu’ils ne pensent qu’à leur travail. Mais en règle générale, quand un enfant décroche, c’est un symptôme. On observe en ce moment une véritable épidémie de phobie scolaire, qui peut avoir des origines très différentes: un souci passager, un trauma à l’école, un échec sentimental ou, plus grave, une dépression… 1 enfant sur 10 est déprimé et, dans ce cas, il faut consulter au plus vite.

S’il refuse d’aller chez un psy…

Dans notre monde occidental, alors qu’on a un système de pédopsychiatrie bien développé, les adolescents consultent tard, mal et difficilement. C’est aux parents d’imposer à leur enfant d’aller voir un psy. Il faut leur parler. « Si tu avais de la fièvre, tu irais chez le médecin. Là, c’est pareil. Tu n’es pas bien, tu vas chez le médecin. » Cela doit se faire sans négociation. Ce n’est pas parce que la souffrance psychique ne se voit pas qu’elle n’est pas réelle.

Avez-vous parfois à convaincre les parents de la nécessité de consulter?

Certains y sont opposés. C’est pour cette raison que les jeunes peuvent venir seuls et en toute liberté dans les Maisons des adolescents. Mais ne nous y trompons pas. Le peu de moyens alloués à la pédopsychiatrie fait que nous sommes obligés chaque jour de différer la prise en charge d’enfants qui ont, pourtant, un absolu besoin de consulter.

Vous consacrez une bonne part de votre livre à des témoignages d’adolescents. Pourquoi?

Parce que c’est une façon de retrouver l’adolescent qu’on a été. Et ce retour en arrière est très précieux. Il favorise la proximité, la compréhension. Et cela nous rappelle aussi que nous ne sommes plus des adolescents. Dans cette période de jeunisme, il est important de savoir se situer. Etre parent d’un adolescent, c’est aussi continuer à se construire en tant qu’adulte. Et puis, écouter la parole des ados, cela fait du bien.

Maison de Solenn, Maison des adolescents de l’hôpital Cochin, Paris (XIVe), www.mda.aphp.fr

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