Livres de sable

Lire sur la plage ou les brisants. Où les flots deviennent vagues, où les lignes deviennent phrases, au bord de l’inépuisable fabrique de symboles concrets, la mer, la littérature, double océan.

Et de même qu’on revient les pieds mouillés dans le sable chaud et qu’on montre aux amis ou aux enfants, en tendant le bras, les deux coquillages intéressants qu’on a trouvés, quelle chance, une tourelle, un bivalve, de même je montre, en tendant ma chronique, les deux livres que j’ai lus sur la plage ce week-end, et dont le sable entre les pages mettra des siècles à s’écouler. Celui-ci d’abord, mon bivalve : Jean Rouaud, le deuxième tome de La Vie poétique, où la formidable aimantation patiente de l’écriture de ce grand artiste transforme un livre de souvenirs en une preuve : que la vie est une oeuvre, d’abord, et qu’une existence n’est pas du tout un fleuve qui coule. C’est une mer, qui grossit, se calme, change, miroite et tourne, sans doute, mais qui demeure, toujours entière et elle-même, depuis le commencement. (Demandez-le : Jean Rouaud, Une façon de chanter, Gallimard.)

Et puis mon deuxième, une tourelle gracile, hélicoïdale et compliquée, habitée par un facétieux bernard-l’ermite: Patrice Lessard, que j’aurai la prétention de vous faire découvrir, un auteur québécois, quarante ans tendance pinson, virtuose épatant et sensible qui a pris Lisbonne comme une guitare, qui s’est assis et qui nous joue un morceau tour à tour gai, mélancolique, drôle, dont on se dit qu’on va l’écouter cinq minutes, qui pourtant nous tient encore au soleil couchant, et qui s’achève sur un accord inattendu, on voudrait retenir l’artiste, encore un peu, mais il s’en va, le livre est fini, le soleil se couche et le charme s’imprime. (Patrice Lessard, Le Sermon aux poissons, Héliotrope.)

Gregoire Polet

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