Notre Designer de l’année 2014 est… Marina Bautier

Marina Bautier designer of the year 2014
Mathieu Nguyen

Marina Bautier nous reçoit chez elle, dans la  » maison  » bruxelloise où elle crée, expose et vend son mobilier. Rencontre avec notre Designer de l’année 2014.

« Je ne voulais pas de marque à mon nom, pour mettre l’accent sur les produits plutôt que sur ma personne. Il me fallait quelque chose de court, d’intéressant au niveau graphique. Et puis, de « Maison MA » à « ma maison », il n’y a qu’un pas : chacun peut se l’approprier « , sourit Marina quand on évoque le nom de son label, lancé en 2013. Self-made-woman posée, notre Designer de l’année 2014 nous a donné rendez-vous à deux pas de la barrière de Saint-Gilles, au numéro 314 de la chaussée de Forest, à Bruxelles, dans ses installations de 400 m² réparties sur deux vastes plateaux. Du rez-de-chaussée, où elle expose sa production d’influence scandinave, ascendant zen, à l’étage, où une table de banquet côtoie son immense bureau ouvert sur un jardin verdoyant, l’espace, aussi lumineux qu’accueillant, attise la curiosité des passants. On croirait l’endroit habité au quotidien, et c’est presque le cas.

 » D’ici, je centralise tout, c’est à la fois mon bureau et mon atelier, mon stock et mon magasin. Au départ, j’avais en tête de vendre seulement via le Net, mais la boutique s’est imposée comme une évidence. Le lieu s’y prête bien, je travaille sur place donc ça ne représente pas grand-chose en termes de charge de travail. Et il me semblait important d’avoir un endroit où les gens peuvent venir voir et toucher les pièces, même si une grande partie de mes ventes se passe sur le Web.  »

Comment en êtes-vous arrivée au design ?

Petite, je faisais déjà des constructions et des bricolages en bois. Vers 12 ans, j’ai suivi des cours de menuiserie, puis j’en ai donné un peu plus tard. On fabriquait des jouets par exemple. Quant à savoir d’où ça vient, aucune idée. J’aimais ça, mais j’étais loin de me douter que cela aurait une influence sur mon parcours professionnel, d’ailleurs j’ai pratiqué d’autres disciplines artistiques, notamment la photo. Tout s’est précisé au moment de mes études supérieures.

Où avez-vous étudié ?

En Angleterre, à la Bucks New University, dont ils ont récemment raccourci l’interminable nom. J’étais partie faire une année préparatoire en art et design parce que je ne savais pas trop vers quoi m’orienter et j’ai eu l’occasion d’y toucher un peu à tout : graphisme, stylisme… Je me suis dirigée vers le design et je suis restée là-bas pour faire mon cursus.

Par quel aspect de la discipline avez-vous été séduite ?

C’était une formation très pratique, on était vraiment en atelier toute la journée, il y avait très peu de matières théoriques. De plus, l’école était réputée pour un cours d’ébénisterie, c’était très concret, j’adorais ça. En rentrant en Belgique, j’ai d’abord été employée pendant un an par un bureau d’architecture, surtout pour faire des métrés, tracer des plans… Puis j’ai participé au Prix du jeune design belge et j’y ai rencontré d’autres créateurs avec qui j’ai partagé un atelier par la suite. Jusque-là, je travaillais chez moi.

Qui étaient ces autres designers ?

Vous les connaissez tous ! Nathalie Dewez, Sylvain Willenz (NDLR : respectivement Designers de l’année 2011 et 2009), Elric Petit de Big-Game et Diane Steverlynck. Par la suite, Benoît Deneufbourg nous a rejoint.

Effectivement, ce ne sont pas les premiers venus…

Non, sauf qu’à l’époque, on débutait tous. C’était en 2004.

 » Quand on travaille pour les autres, les produits doivent forcément sortir du lot. Je voulais plus de liberté.  »

Cela a dû vous apporter énormément.

Bien sûr. Bosser à plusieurs, ça offre une dynamique que l’on n’a pas quand on est seul, ça crée une émulation. Nathalie avait pris un stand au SaloneSatellite (NDLR : expo des jeunes talents lors du Salon international du meuble de Milan) et on a décidé de le partager. C’était ma première participation à cet événement. Puis, je l’ai refait encore deux fois seule, et c’est vraiment ça qui m’a lancée.

A ce point ?

Oui. A tous les niveaux. Je participais déjà à quelques petits concours par-ci, par-là pour essayer de décrocher quelques projets, mais Milan, c’est autre chose. C’est l’échéance principale, ça se prépare six mois à l’avance, en fait ça structure toute l’année de boulot. Certaines personnes sont plus confiantes que d’autres. Pour moi, ce n’était pas facile : tout d’un coup, on se retrouve littéralement face au monde entier. C’est le grand saut, ça met une pression incroyable, mais c’est génial.

Et c’est là que vous avez noué des contacts avec vos éditeurs ?

J’y ai rencontré tous ceux avec qui je collabore encore aujourd’hui, comme Ligne Roset, les Japonais d’Idée, la marque Swedese… Jusqu’à l’année dernière, je ne travaillais que pour ces labels-là.

Comment a germé l’idée de lancer Maison MA ?

La première fois, de façon un peu abstraite, c’était en Suède, chez Swedese. Le directeur de la marque m’a donné un livre sur ses fondateurs et, en parcourant l’histoire de la société, tout son cheminement, je me suis sentie inspirée. De leur petite menuiserie, Yngve Ekström et son frère ont développé une série de fauteuils, qu’ils ont perfectionnés au fur et à mesure des modèles, et l’on peut très bien observer la continuité dans leur production. Avoir une idée, qui amène vers une autre, etc. C’est un fonctionnement qui m’intéresse, et qui est nettement plus difficile à mettre en oeuvre quand on se partage entre plusieurs éditeurs. Alors je me suis dit  » Tiens, est-ce que je ferais la même chose ?  » Même si ça restait très vague.

Mais contrairement à de jeunes confrères, vous n’avez pas lancé Maison MA faute de trouver des éditeurs…

Non, et c’était un peu particulier d’y penser à ce moment-là. En démarrant, j’ai déjà dû sortir moi-même quelques petites productions, or je n’en étais plus là, j’avais pas mal de contacts ; j’aurais pu simplement poursuivre mes collaborations. Mais quand on travaille pour les autres, les produits doivent forcément sortir du lot, être à tout prix originaux. Et j’avais une plus grande envie de liberté.

 » Je suis mes idées et mes envies, c’est mon plus grand plaisir en tant qu’indépendante et designer. »

La liberté de ne pas devoir absolument vous démarquer ?

Oui, voilà. Et l’opportunité de pouvoir réfléchir à un univers de produits, pas à une pièce isolée, en maîtrisant tous les détails du début à la fin, de la production à la mise en vente. C’est venu petit à petit, je remplissais des carnets avec des idées de ce que je voulais faire. Une réflexion qui a duré à peu près deux ans. J’ai longtemps planché sur l’identité de la marque, avant de me rendre compte que je devais d’abord me concentrer sur les projets, et y trouver l’essence de cette identité. J’ai vraiment dû me demander ce que je voulais et ça a pris d’autant plus de temps que je n’avais jamais eu à gérer tous ces aspects.

Comme établir une politique de prix…

Je voulais produire en Belgique ou en Europe pour l’éthique et la pratique, tout en essayant de garder des tarifs relativement bas. Ce qui me plaît dans mon métier, c’est surtout de bosser avec des artisans et des menuisiers qui adorent leur job et sont les garants de la qualité de mes créations. Tout cela a un coût, mais c’est vraiment un équilibre à trouver.

Vous avez toujours voulu pratiquer la vente directe…

Oui, exclusivement. Il faut donc soit passer à la boutique, soit commander sur mon site Internet. Cela me demande plus d’efforts en termes de promotion, puisqu’on ne retrouve mes créations dans aucun autre magasin.

Pourquoi cette décision ?

Je voulais pouvoir montrer l’ensemble, présenter un univers plutôt qu’une succession de réalisations éparpillées. Et garder à la fois des prix accessibles et une production que je pouvais gérer seule. Vendre à des magasins, cela m’obligerait à modifier mes volumes et mes tarifs, à cause des marges.

Et n’est-ce pas beaucoup de boulot pour une seule personne ?

En fait, non. Je trouve plus facile de travailler seule, j’aime gérer mes affaires moi-même, à part pour l’un ou l’autre coup de main ponctuel ou pour la vendeuse qui vient le samedi. Au final, j’engagerai sans doute une personne pour m’épauler, notamment pour l’aspect vente, mais je tiens à mon indépendance.

A part le week-end, c’est donc vous qui accueillez les clients du magasin ?

Oui, du mercredi au samedi, de 11 à 18 heures. Je m’arrange pour être là, ce n’est même pas vraiment une contrainte. Actuellement, j’essaye d’étoffer ma communication, j’ai plein d’idées mais je n’ai pas de temps pour les mettre en place. Mais cette année je présente ma marque à la Biennale Interieur de Courtrai, pour la première fois à un salon. Ce sera l’occasion de toucher un public qui ne me connaît pas forcément.

Venons-en à votre collection. Elle compte déjà pas mal de produits pour une entrée en matière…

Une douzaine, sans compter les déclinaisons. C’était une volonté de ma part, pour faire comprendre dès le départ qu’il s’agit d’une famille d’objets pour la maison. Il y a une cohérence, même si l’ensemble doit être complété par d’autres pièces, comme des chaises et une table. Et un canapé, qui sera exposé à Courtrai également. Il n’était pas encore tout à fait au point au moment du lancement, et maintenant j’en suis satisfaite. Evidemment, il est dans la continuité, avec la même série de pieds que les commodes.

Quel est le produit qui vous semble le plus populaire ?

Le lit. Sans doute parce qu’il est assez différent de ce qu’on trouve généralement sur le marché, peu de lits en bois massif reposent si près du sol. Sinon, je dirais le portemanteau, que je fais depuis plusieurs années. Mais c’est une plus petite pièce aussi, donc plus accessible.

Comment décririez-vous cette gamme ?

Mes meubles sont sobres et pratiques, ils peuvent s’intégrer dans tous types d’intérieurs. Ce n’est pas du mobilier à la dernière mode ; au contraire, j’ai envie de faire des meubles qui durent dans le temps, dont on ne se lasse pas. Je ne recherche pas le minimalisme au niveau esthétique, mais dans la production, qui doit être la plus évidente possible. Mon concept est d’offrir des  » basiques  » pour la maison.

C’est assez large, comme champ…

Justement, je n’ai pas de cadre strict, je peux faire comme bon me semble.

Vous vous présentez en tant que designer de meubles plutôt que designer industrielle. Une précision volontaire ?

Oui, même si ça n’a pas toujours été le cas. Auparavant, j’avais tendance à garder le terme général,  » designer « . Mais je vois bien que je m’oriente clairement vers le mobilier, c’est ce qui m’intéresse de plus en plus. Donc, oui, je me qualifie en tant que telle. Ma démarche pourrait s’appliquer à d’autres articles, mais à force, je me suis spécialisée dans le meuble et les accessoires. Ces derniers sont importants pour que les clients puissent acheter des choses plus modestes, ça pourrait être bénéfique pour la fréquentation du magasin. J’ai envie que ce soit un endroit vivant, que ça bouge.

D’où la table d’hôte ?

J’ai toujours eu ça dans un coin de ma tête. J’aime recevoir et cuisiner, et une fois de plus, le lieu s’y prêtait. Tous les derniers vendredis du mois, il y a vingt places à table et les gens s’inscrivent sur le site. Ils viennent passer un moment convivial, manger un bout et, bien sûr, voir les meubles. Et ça marche ! J’affiche systématiquement complet.

Et vous n’aviez pas pensé à ce côté  » concept store  » dès le départ?

Non. Je ne suis pas très stratégique. Au moment de me lancer, tout le monde me demandait si j’avais fait des études de marché et des business plans… Mais non, je n’ai pas de plans, je fais confiance à mon instinct. Je fonctionne selon mon rythme, mon intuition, tout le projet repose sur une démarche très personnelle. Même la table d’hôte. Je suis mes idées et mes envies, c’est mon plus grand plaisir en tant qu’indépendante et designer. Et pour le coup, je ne prenais pas de grands risques : si ça ne marchait pas, je n’avais qu’à arrêter.  » Pas très stratégique  » ne signifie pas  » irréfléchie « , et j’ai dix ans d’expérience derrière moi. De toute façon, il y a toujours une part d’inconnu qui entre en jeu, donc on peut faire autant de business plans qu’on veut, sans savoir pour autant comment un projet va être reçu.

Pour terminer, un petit mot sur votre titre de Designer de l’année?

Il tombe à point ! Pendant mes cinq premières années d’activité, je courais les concours et les prix, c’était une des seules manières d’arriver à avoir une expo, toucher une bourse, rencontrer des gens, bref, se faire connaître. Puis, comme j’avais déjà des collaborations avec des marques et mon propre projet en tête, je m’étais complètement détachée de tout ça. Alors, je ne m’y attendais pas du tout ! Mais je suis super contente parce que ça arrive à un moment où j’ai besoin de toucher le grand public. Et c’est vraiment une belle reconnaissance pour tout le boulot accompli.

Maison MA devenu Bautier, 314, chaussée de Forest, à 1190 Bruxelles. bautier.com

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