Main verte 2.0: les nouvelles façons de jardiner

© lucia Calfapietra

Longtemps snobé par une partie de la population, le jardinage s’est refait une place parmi les activités tendance, au point de devenir l’un des passe-temps les plus cool du moment. Entre photos de boutures postées sur Instagram, plantswap, partage de potager et assistant virtuel, les amoureux des plantes du xxie siècle créent de nouveaux usages.

« J’ai récemment acheté une maison et, si je l’ai choisie, c’est pour son grand jardin et son verger, plein de potentiel. Mon souhait serait de partager celui-ci et d’apprendre. Je paie le matériel (besoin de conseils) « , détaille Laurie, cuisinière de formation vivant à Hal, dans une petite annonce postée en ligne. Un peu plus loin,  » Masupilami « , d’Ophain, met à disposition son petit potager, abandonné il y a quatre ans suite au décès de son épouse. Tandis qu’un Montois cherche un terrain pour placer ses ruches. Sur Pretersonjardin.be, ces particuliers s’adonnent à une pratique de plus en plus répandue : le cojardinage. Répartition du travail sur d’importantes surfaces, quête de connaissances, possibilité de garder un espace vert entretenu quand l’âge et les événements affectent la mobilité ou simple envie de faire prospérer un lopin de terre jusqu’alors non cultivé ; chaque participant a ses raisons et témoigne de la volonté de l’époque de se (re)connecter au végétal.

Potager ou pots, même combat.  » C’est une vraie thérapie, un moyen d’évasion, ça m’aide beaucoup « , explique Céline Pellus, graphiste, qui se définit désormais comme une  » amoureuse de plantes « .  » Il y en a partout dans la maison « , confie celle qui passe une partie de son temps libre à se documenter pour prendre soin de ses colocataires vertes et a même créé des suspensions design, pour jardiniers sensibles à la déco.  » Je n’étais jamais satisfaite de ce que je trouvais, alors j’ai créé moi-même mes céramiques pour installer mes boutures. Ça s’appelle Boutures & compagnie.  » Si elle a toujours vu son père jardiner, c’est principalement un nouvel élan communautaire qui l’a enthousiasmée :  » Ce que j’aime, c’est la rencontre entre les personnes, que ce soit ici à Bruxelles ou même à l’autre bout de la planète, via les réseaux sociaux, il y a plein de choses à partager.  »

Les plantes nous demandent de ralentir dans un monde d’hyperconnectivité où tout va très vite.

Ce partage, elle l’a notamment découvert lors de  » swaps « , des échanges entre particuliers. En 2015, Giada Seghers a démarré le projet Seeds, dans la capitale, avec Andréa Poulieva.  » A l’époque, je cherchais une plante, la Pilea Peperomioides. On la voit partout aujourd’hui, mais elle était vraiment difficile à trouver, se souvient-elle. Je me suis dit que ça serait génial si les gens pouvaient troquer des boutures.  » Une Pilea a rejoint son appartement, contre une petite Tradescantia zebrina, et le projet a germé.  » On a eu envie de créer une communauté autour des plantes. Il y avait sûrement des foires en dehors de Bruxelles, des bourses de graines, mais on a essayé de rendre ça accessible et plus  » jeune « , même si l’on veut absolument accueillir des personnes de tout âge.  » Les événements plantswap de Seeds sont aujourd’hui mis sur pied dans divers lieux bruxellois trendy, mais aussi à Paris et Milan, et Cécile Barraud de Lagerie a rejoint le collectif.

Désireuse de favoriser la mise en commun d’expériences, Giada Seghers entend aussi encourager un autre rapport au végétal, loin du statut d’objet déco. Ici, chaque plante est accompagnée d’une fiche qui indique son nom et son origine :  » C’est facile d’aller se fournir chez Ikea, mais quand on récupère une bouture qui a une histoire, qui a appartenu à quelqu’un, il y a une responsabilité, un côté plus émotionnel. Le projet est non monétaire. C’est important que ça reste ouvert à tous.  » Les plantswappings, comme les ateliers organisés par Seeds, font systématiquement carton plein :  » Je pense que les gens ont besoin d’avoir des plantes et d’en prendre soin, d’être entourés de vert. Avec elles, leur rythme de pousse, on est dans un autre temps. Elles nous renvoient une image de nous-même et nous demandent de ralentir dans un monde d’hyperconnectivité où tout va très vite.  »

Main verte 2.0: les nouvelles façons de jardiner
© lucia Calfapietra

Jardiner connecté

Signe d’une réappropriation du jardinage par l’époque, cependant, l’hyperconnectivité numérique et l’école de la patience du jardinage se rencontrent parfois. C’est le cas avec Groww, une application qui guide les jardiniers, du grand débutant à l’expert souhaitant se perfectionner.  » C’est une appli, mais notre objectif est avant tout que vous puissiez très vite ranger votre smartphone et mettre les mains dans la terre « , précise l’un des cofondateurs de la société, Benoit Gryspeerdt.  » Quand on a quitté notre petit trois-pièces parisien avec ma compagne pour nous installer à Lille, dans une maison avec jardin, nous avons d’emblée voulu nous y mettre. Mais au bout de deux mois, la moitié des plantes étaient mortes, on avait perdu les étiquettes, les tomates n’avaient rien donné, c’était la catastrophe. Comme nous sommes versés dans la technologie, nous avons eu envie de créer un outil.  » C’est en pensant à tous les samedis matins passés le nez dans des ouvrages spécialisés et sur des sites dédiés, à essayer d’identifier la bonne stratégie à adopter plutôt que d’avoir vraiment le râteau à la main que le Français a eu l’idée de cet assistant virtuel.  » Il suffit de le charger (il marchera donc au fond du jardin, même sans Internet), de renseigner les plantes que l’on a ou que l’on voudrait avoir ainsi que les conditions de culture. L’utilisateur précise la localisation géographique du terrain et, en fonction de tout cela, l’appli va lui proposer des tâches, du semis à la récolte, et garder une trace de ce qui est fait. Pour l’instant, la météo n’a un impact que sur les conseils d’arrosage, mais l’on va continuer à améliorer les algorithmes, notamment pour suggérer la date parfaite pour le repiquage.  »

Les gens sont déconnectés, ils ne reconnaissent plus les fruits, les aromates…

Si l’outil s’est d’abord intéressé exclusivement au potager, aujourd’hui il traite également de fleurs et de plantes d’intérieur afin d’apprendre certains gestes de base et d’aider à être à l’écoute de leurs besoins.  » Nous sommes là pour épauler, pas pour remplacer. Nous allons apporter les connaissances qui manquent, mais, dans le jardinage, la motivation est essentielle. Nous avons d’ailleurs été surpris de voir que ce n’était pas forcément les grands débutants qui utilisaient l’application. Il y en a, mais nous n’arrivons pas toujours à garder ce type de profil, car certains aimeraient avoir un jardin, mais n’ont pas vraiment l’enthousiasme nécessaire pour l’entretenir.  »

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© lucia Calfapietra

L’envie d’apprendre

Le conflit entre envie de reconnexion à la nature et temps disponible, Jean-Patrick Scheepers l’a bien perçu. L’entrepreneur belge, également à l’origine des cours de cuisine Mmmmh !, a créé Peas and Love. Ce sont des potagers urbains, installés notamment sur le toit de la boutique bruxelloise Caméléon. Les particuliers peuvent y louer des parcelles. Spécificité de taille : les locataires ne s’occupent que de la récolte. La plantation et l’entretien sont gérés par des experts. L’objectif ? Permettre à ceux qui veulent limiter au maximum le circuit entre la terre et leur assiette d’avoir un contact avec le potager, sans les brusquer.  » Cela permet de rendre accessibles des choses qui sont trop loin pour beaucoup d’urbains. Il faut tenir compte de nombreux facteurs pour avoir un potager quand on vit en appartement : avoir du temps, un espace, des connaissances. Se dire qu’à cause de ces contraintes, on n’y a pas accès, c’est dommage. On fait une partie du travail, mais on explique « , note le fondateur de cette initiative. Des ateliers sont régulièrement organisés dans les fermes, notamment pour apprendre à récolter ou se familiariser avec les bases.  » Il y a un gros boulot de pédagogie, les gens sont déconnectés, ils ne reconnaissent plus les fruits, les aromates… « , explique celui qui s’est intéressé au potager par envie de cuisiner des légumes de qualité.  » Le risque, quand on se lance sans rien connaître, c’est de faire ce que j’ai fait durant des années : avoir une grande envie au mois de mars, dépenser plusieurs centaines d’euros à la pépinière et planter tout ça. Rien ne va pousser, car vous n’allez pas faire ce qu’il faut pour et vous allez utiliser des ressources pour une production qui n’est pas bonne. Vous pensez développer quelque chose de durable mais ça ne l’est pas du tout. Ce qu’on dit, c’est : on comprend que vous n’ayez pas les connaissances pour le moment, mais on va vous reconnecter à la nature.  » Certains clients finissent d’ailleurs par quitter le projet, pour créer leur propre potager.

Quels que soient son bagage de départ, la taille de son logement et le temps qu’il souhaite y consacrer, chacun peut donc désormais laisser fleurir ses envies de jardiner. Et Giada Seghers, fondatrice de Seeds l’assure :  » La main verte, ça n’existe pas. Tout le monde peut s’occuper de plantes, il faut juste s’interroger sur la manière de communiquer et interagir avec elles.  »

Ensemble, mais entre soi

Léa Mestdagh est chercheuse associée au Centre de recherche sur les liens sociaux et auteure de Jardiner entre soi (L’Harmattan). Elle salue les échanges liés à ces espaces verts mais met en garde contre un risque d’exclusion d’une partie de la population.

Quelle est la dimension sociale de cette reconquête  » verte  » ?

Cela s’inscrit dans un style de vie urbain. Il y a un retour au local, une volonté d’embellir le quartier. Mais il n’y a pas juste un besoin de nature, c’est également lié au réinvestissement du territoire et des groupes qui le composent. Ces espaces viennent consolider des réseaux de population, surtout dans des quartiers qui s’embourgeoisent.

Ils participent à la gentrification ?

Dans mon secteur de recherche, Paris, l’on voit que cela concerne surtout des classes moyennes diplômées, plutôt de gauche, sensibilisées à l’environnement et à certaines consommations (bio…), qui ont beaucoup de pratiques culturelles, etc. On peut parler de lien social, d’échanges entre générations, mais c’est un lien connoté. La création de jardins est devenue un imposé à chaque projet urbain, or ce n’est pas neutre comme choix, surtout dans des quartiers qui se transforment et où il y a du conflit pour l’espace.

Qu’est-ce que cela induit ?

On parle souvent de conversion en espaces verts d’espaces  » inoccupés « , mais ils ne le sont pas forcément ! C’est là qu’on bricole des voitures, parfois là qu’il y a des trafics aussi ; bien sûr, ce sont des activités qui font moins l’unanimité auprès du voisinage. Il faudrait que des diagnostics soient posés. Pour l’instant, l’on pense seulement aux données environnementales, c’est également essentiel, mais il est temps de réfléchir à la manière d’investir d’autres catégories de population.

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