A la recherche du temps passé avec Jacques de Selliers et son Clockarium

Jacques de Selliers, propriétaire et fondateur du Clockarium à Bruxelles © Frederic Raevens
Mathieu Nguyen

A quelques jours du passage à l’heure d’été, on s’invite au Clockarium, maison Art déco bruxelloise transformée en musée, où s’exposent des centaines d’horloges en faïence rivalisant de fantaisie délicieusement kitsch. Rencontre avec son propriétaire et fondateur.

Notre montre indique 13 h 58. Nous nous signalons deux petites minutes avant l’heure prévue, une légère impolitesse que nous pardonne le maître des lieux – d’autant que notre avance est motivée par la curiosité : va-t-on assister à un concert de carillons à 14 heures tapantes ?  » Non, nous déçoit Jacques de Selliers, pas de sonnerie, seule une infime minorité des horloges étant munie d’un réveil. De toute façon, à peine une sur trois fonctionne, et ce n’est pas de la belle mécanique : ça fait un bruit de casserole.  » Pourquoi ce scientifique au profil atypique s’est-il épris d’objets apparemment si triviaux, au point de leur consacrer un musée ?  » Dieu seul le sait « , répond-il. Ingénieur en électricité, il a longtemps travaillé à l’étranger, sur des plates-formes de forage en Afrique ou dans des centres de recherche aux Etats-Unis et, de retour en Belgique, il poursuivit sa carrière au sein du groupe Solvay. Vers 2008, le Bruxellois tenta de promouvoir la voiture électrique, sans succès, et se spécialisa ensuite dans les clichés panoramiques en très grand format, auxquels il finit par renoncer,  » ça n’intéressait personne « .  » J’ai toujours eu tort d’avoir raison trop tôt « , commente-t-il. Décidément inclassable, l’homme fut aussi le créateur du drapeau-coeur belge,  » pour une Belgique plus unie et tolérante « , et est désormais retourné à ses premières amours, la prise de vue, notamment lors du Burning Man, festival déjanté dans le désert du Nevada.

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Mais revenons à nos pendules. S’il ignore l’origine profonde de l’affection qu’il leur porte, il en connaît les raisons. La première tient dans l’objet en tant que phénomène social, né dans un contexte historique précis :  » Il s’agit d’horloges en faïence, explique-t-il, vendues en Belgique et dans le nord de la France, entre 1900 à 1950. Les gens quittaient les campagnes, où l’on vivait avec le soleil, pour des environnements où la vie est rythmée par des horaires. On avait donc besoin d’avoir l’heure.  » Afin de répondre à la demande, les fabricants de mécanismes en ont donc créé de très bon marché,  » le bas de gamme du bas de gamme « . Et pour les vendre, on les habillait d’un matériau peu coûteux, la faïence,  » le plastique de l’époque « , qui était ensuite peinte  » vite fait, mal fait « , parfois à la main, au pochoir ou ornée de décalcomanies. Le décor, voilà l’autre spécificité qui fascine Jacques de Selliers :  » Elles étaient destinées à des populations qui n’avaient eu accès qu’au minimum d’instruction, certainement pas éduquées au bon goût bourgeois, tout était possible. La créativité était infinie, on recensait une imagination totalement débridée.  » Appelée à trôner sur la cheminée, la merveille de céramique constituait alors l’un des rares signes extérieurs de richesse d’une famille,  » une marque de standing, un peu comme les voitures aujourd’hui « , compare le collectionneur.

On oublie donc un moment l’image du bibelot kitsch pour y voir un témoignage sans filtre échappé du passé, datant d’avant l’avènement du radiateur et de la montre-bracelet. Si le Clockarium recèle certaines pièces remarquables parmi ses près de 4 000 entrées, comme celle à l’effigie du paquebot Normandie, acquise au prix de bien des aventures, ou l’unique modèle jamais sorti des manufactures Boch, ses trésors n’ont pas de valeur autre que sentimentale – à part l’une ou l’autre au décor cubo-futuriste ou moderniste, qui se monnayent quelques centaines d’euros.

Venu le temps de prendre congé, on ose une dernière question relative à la position des aiguilles sur le cadran, toutes traditionnellement bloquées sur 10 h 10.  » Plus qu’une convention, c’est le mouvement de bienvenue, d’enthousiasme, de quelqu’un qui ouvre les bras  » répond l’expert en joignant le geste à la parole. Multiplié plusieurs centaines de fois, couvrant les murs du sol au plafond, c’est donc ce  » sourire de l’horloge  » qui accueille les visiteurs depuis vingt ans et tout au long de l’année, sans faire grand cas du passage à l’heure d’été.

Le Clockarium, 163, boulevard Auguste Reyers, à 1030 Bruxelles. www.clockarium.be

En chiffres

Le Clockarium a été inauguré en 2000.

Il est ouvert aux visites tous les dimanches à 15 h 05 précises, sauf congés scolaires et exception.

La visite dure 1 h 20 et s’effectue en français – mais des tours privés en anglais ou néerlandais sont envisageables sur rendez-vous.

Les 3 étages du musée sont également disponibles à la location pour des réceptions et séminaires.

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