Dirk Wynants: De quoi meubler la conversation

Sous le label Extremis, Dirk Wynants et son équipe conçoivent des meubles design à haute valeur conviviale ajoutée. Et pour présenter leurs créations au public, ils créent des ambiances festives qui invitent à faire connaissance… et à parler d’elles.

Lors du dernier Salone del Mobile, en avril 2011, Hopper, sa nouvelle table de pique-nique avec bancs intégrés, trônait devant une photo murale représentant les houblonnières de Poperinge auxquelles ce meuble futé doit son nom (« hop » signifie « houblon » en néerlandais), tandis que ses concepteurs – arborant la tenue du dimanche des paysans d’autrefois – servaient aux visiteurs de la bière fabriquée avec le houblon du champ de Dirk Wynants et qu’un accordéoniste et une chanteuse entonnaient les refrains accompagnant jadis la cueillette.

« Un produit n’est jamais qu’un produit, martèle Dirk Wynants. Moi, ce que je veux, c’est raconter une histoire. » C’est ainsi qu’il a eu l’idée, il y a quelques années, de faire planter un champ de houblon à côté de la ferme qu’il est en train de rénover à Poperinge – une décision à contre-courant de la tendance actuelle, à l’heure où la région voit disparaître ses houblonnières les unes après les autres. C’est son voisin qui en assure l’entretien, en échange d’une partie de la récolte ; le reste est confié à une brasserie locale qui en fait de la Tremist, une bière fraîche et acidulée, un peu trouble, comme autrefois. Modérément alcoolisée, elle se sert dans un petit verre signé Nedda El-Asmar : « Une bière à boire ensemble, qui ne monte pas immédiatement à la tête. »

Comment le monde du design, souvent plutôt bobo, a-t-il réagi à l’accordéon et aux paysans endimanchés ?

C’était peut-être à la limite du kitsch, mais je trouvais ça sympa. Pour ma part, je pense que les visiteurs n’oublieront pas notre stand de sitôt, et c’est ça qui compte. Concevoir des produits est une chose, mais savoir les présenter est tout aussi essentiel. L’idée du Behive, par exemple, m’est venue à Istanbul, en regardant les hommes fumer le narguilé, boire du thé et discuter allongés sur des tapis. C’est ce genre de moment que je m’efforce de saisir. Mon point de départ n’est pas de concevoir une forme ou de décider que je vais dessiner une nouvelle table ; je pars d’une interaction humaine que je m’efforce ensuite de couler dans un moule moderne. C’est également le cas pour le Hopper, qui évoque les longues tablées des fêtes de la bière ou du mariage paysan de Bruegel.

Vous vous targuez de proposer du mobilier à la fois très technique et très pratique…

L’une de nos devises, au bureau, c’est « Innovate or die ». Un projet peut avoir un potentiel commercial formidable, s’il ne nous semble pas suffisamment innovant, il sera impitoyablement écarté. Nous prenons aussi plaisir à trouver des solutions à des problèmes pratiques : quoi de plus agaçant, par exemple, que de devoir toujours enjamber le banc pour s’asseoir à une table de pique-nique, surtout avec une jupe ? Notre Hopper permet de se glisser facilement à sa place depuis l’un des côtés, ce qui représente une indéniable valeur ajoutée.

Vous présentez votre collection comme une série de « Tools for Togetherness », d’outils d’ « être-ensemble ».

Notre premier slogan, « Sexy Outstanding Stuff », ne convenait pas à n’importe quel type de produit. Pourtant, il me fallait un label pour cette collection très disparate et difficile à résumer en un seul concept : a priori, deux tables comme Gargantua et Donut n’ont pas grand-chose en commun, même si elles sont issues de la même philosophie… Pour pouvoir malgré tout développer une image de marque cohérente, j’ai cherché un commun dénominateur : nos produits favorisent l' »être-ensemble », stimulent la discussion, tout en permettant de s’isoler un instant de notre mode de vie frénétique. En soi, les meubles ne m’intéressent absolument pas : ce que nous créons, ce sont des outils pour rapprocher les gens.

L’année dernière, vous avez frappé un grand coup en proposant aux particuliers d’acquérir les plans de votre collection afin de fabriquer leurs meubles eux-mêmes.

Nous avions nos raisons. Comme les salons sont souvent l’occasion de mettre en avant un modèle donné, le reste de la collection passe généralement un peu à l’arrière-plan. Nous avons donc glissé chaque plan dans une boîte avec une photo du modèle, un peu comme un kit de construction, et nous les avons exposés dans une vitrine ; c’était une manière de présenter malgré tout l’ensemble de notre offre. Le client paie 20 % du prix normal pour les plans et un certificat. On nous reproche souvent d’être trop chers, et c’est vrai, nos meubles ont un prix, c’est inévitable… Mais s’ils ont le temps, rien n’empêche les bricoleurs de mettre la main à la pâte !

Avez-vous d’autres projets dans ce sens ?

L’un de nos contrats en cours concerne un concept qui se prête particulièrement bien à être monté par le client. Si nous pouvions passer un accord avec une chaîne de bricolage, nous pourrions partir de son offre de base pour concevoir un meuble dont l’acheteur pourrait acquérir la licence. Ce n’est évidemment pas un projet très rentable, mais je veux réfléchir à ce que je mets sur le marché. Quand je vois la moitié des nouveautés qui sont mises en vente à l’heure actuelle, je me demande bien quelle en est la valeur ajoutée ! J’essaie donc de m’en tenir à des concepts qui tiennent suffisamment la route pour être lancés sur un marché déjà saturé et qui étouffe littéralement sous les copies et la camelote à bas prix. Je tiens toutefois à insister également sur la responsabilité du consommateur : les copies n’existent que parce que les gens les achètent, tout comme les produits de piètre qualité. Il est urgent de nous débarrasser de tout ce fatras !

Ne pensez-vous pas que nous assistons aujourd’hui à un revirement ? Les consommateurs réfléchissent davantage à ce qu’ils achètent…

Il y a indéniablement une évolution. Je tiens d’ailleurs à préciser qu’étant moi-même matérialiste, je n’ai de leçons à donner à personne ; j’essaie toutefois de faire des choix, d’acheter par exemple des vêtements qui durent. Lorsqu’on voit les chemisiers à 5 euros que proposent certaines marques, c’est évidemment compter sans l’impact sur l’environnement et les salaires de misère… et pourtant, cela ne nous empêche pas de nous comporter comme de véritables sauvages lors des déstockages ou liquidations. Je trouve qu’il faut faire le choix de la qualité. Bien sûr, le prix est souvent à l’avenant, mais il y a plus que cela : après quinze ans à l’extérieur, ma table Gargantua est encore en parfait état, il n’y a vraiment rien à redire sur le plan technique. Cela dit, le design aussi doit rester esthétique : si après un moment, tout le monde commence à se dire, « quelle horreur », c’est qu’il y a un problème. Il faut un équilibre entre les aspects techniques et esthétiques – c’est la clé de ce que nous appelons les Classics for the future, les classiques de demain.

Vous êtes un créateur et un (ra)conteur passionné. Ce métier, c’était votre vocation ?

À 100 %. Durant mes études, j’ai très vite compris que l’architecture d’intérieur, ce n’était pas mon truc… mais par contre, le cours de création de mobilier me plaisait beaucoup. Un designer est parfois aussi un peu un inventeur : créer une jolie forme ne me suffit pas, je veux aussi parvenir au meilleur résultat en termes d’écologie, d’ergonomie et d’économie.

Par Trui Moerkerke

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