Osez le ton, mettez du pi(g)ment dans votre vie!

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Le minimalisme et la sobriété propre sur elle font progressivement place au mélange de blanc et de couleurs plus turbulentes. Une association qui conjugue possibilités multiples et prise de risque modérée, la blancheur offrant un soutien idéal à nos envies acidulées. C’est le moment d’oser hausser le ton !

Unique en son genre, le Pantone Hotel (photos), à Bruxelles, semblait être l’endroit idéal pour rencontrer une Color Expert : des chambres au lobby, murs, accessoires et mobilier composent une déco explosive entièrement dédiée aux innombrables déclinaisons chromatiques du célèbre nuancier qui a donné son nom à l’établissement.

Hélas, les aléas des agendas ont voulu que notre entrevue ait finalement lieu dans le cadre un brin moins chamarré de notre rédaction. Spécialiste au service du leader mondial de la peinture AkzoNobel (qui détient entre autres Levis, Trimetal ou Dulux), Gjulijeta Berisha a pour mission de tenir à l’oeil les courants du moment, pour traduire au mieux les besoins du consommateur dans des palettes de nuances. Une personne toute indiquée pour nous décrypter le retour des couleurs franches, qui petit à petit regagnent du terrain sur le blanc, signant pour certains la fin des jours monochromes d’une morne mais rassurante neutralité.

Parole à l’experte :  » L’homme moderne mène une vie plutôt fatigante, il est submergé d’informations par une société très exigeante, alors son intérieur est un sanctuaire où il a le sentiment d’enfin pouvoir souffler au sein de ses propres repères. Ce qui pousse souvent les gens à opter pour des tons neutres plutôt apaisants, voire simplement pour du blanc. Mais, même inconsciemment, on a aussi besoin d’équilibre, voilà pourquoi cette association du blanc et des couleurs vives est une des tendances qui se dégagent pour l’instant, une très bonne chose selon moi.

Et c’est vrai qu’on a besoin de couleurs, a fortiori dans nos contrées plutôt généreuses en grisaille. Marque belge historique de peinture, Levis connaît bien les envies de ses compatriotes et surveille leurs habitudes de près.  » Bien sûr, on veille à ce que les tons proposés soient en cohérents avec les souhaits des consommateurs. On pourrait combiner sur une base de gris au lieu du blanc. Mais on sait que le ciel, les villes et le pays entier sont gris, alors un intérieur gris ? Pas question, on en a marre. En général, le Belge cache plutôt bien son jeu : il va garder une façade relativement discrète mais fera preuve de plus d’exubérance à l’intérieur. Du moins davantage que chez ses voisins néerlandais, par exemple, où souvent tout est immaculé. « 

COULEURS DE L’ANNÉE

Si l’usage de la couleur reste éminemment culturel, on constate néanmoins certaines convergences à l’échelle internationale et c’est sur la base de ces observations que les spécialistes du secteur vont plancher sur la nuance qu’ils proclameront  » Couleur de l’année « . La décision finale de Levis revient à son Aesthetic Center, qui examine des palettes du monde entier pour en retirer la teinte la plus représentative du moment, et dont le choix pour 2013 s’est porté sur un bleu indigo élégant (photo), qui attire l’oeil sans le provoquer, et qui s’accorde facilement.

Une prise de position nettement plus consensuelle que chez Pantone qui, après son spectaculaire Tangerine Tango (rouge orangé très profond) de 2012, a jeté son dévolu sur un sémillant vert émeraude, nom de code 17-5641 TCX pour les puristes. Pas totalement convaincue, notre spécialiste Levis persiste :  » Leur vert est très chic, mais je pense notre bleu plus proche de la réalité de notre société ; dans un salon, je conseillerais plutôt le bleu indigo. Le point de vue de Pantone est plus arty, plus avant-gardiste.  »

Pantone, on y revient. Déjà aperçu sur les catwalks, chez Elie Saab, Chanel ou Gucci au printemps dernier, son vert émeraude est promis à un large succès au cours des prochains mois, sur une palanquée d’objets griffés qui tenteront de s’inviter dans notre quotidien. Licensing Agent pour Pantone Universe, Roberto Ruzzante nous explique ce qui a poussé la société du New Jersey à s’investir dans un commerce bien éloigné de son business d’origine : « L’idée des produits dérivés est partie d’un constat très simple : Pantone est une marque unique, globale et sans équivalent au niveau mondial, qui détient une place à part et une signification symbolique très forte auprès des designers et créateurs du monde entier. Puisque nous représentons le support de base d’un nombre incalculable d’expressions de créativité visuelle, nous bénéficions d’une certaine légitimité pour suggérer un éventail d’émotions spécifiques, et ce sur des produits très variés. »

Et effectivement, la galaxie Pantone s’étend des boules de Noël aux brosses à dents en passant par les boutons de manchettes et les vélos, tous frappés de leur identifiant sur le caractéristique bandeau blanc.  » Cette bande blanche est très importante, précise Roberto Ruzzante. Comme en peinture, quoi de mieux qu’une toile vierge pour faire sortir la couleur et la créativité ? Elle est présente depuis le premier pantonier créé il y a cinquante ans et s’est depuis imposée comme notre signature.  »

De là à considérer ce merchandising bariolé comme une option valable pour apporter la touche de couleur qu’attendaient nos intérieurs, il y a un pas que l’on ne franchira pas.  » Avec un excellent sens du marketing, Pantone est parvenu à matérialiser son codage et à le transformer en une gamme d’articles très lucratifs, analyse Gjulijeta Berisha, mais on ne peut pas compter uniquement sur ce type d’objets, même parfaitement assortis, pour rafraîchir sa maison. Ça marche si l’on veut amener de la vie à son bureau avec une tasse flashy, sinon, le pari me paraît plutôt hasardeux.  »

LIFTING DU LIVING

Revenons à cette couleur dont nous avons autant envie que besoin. D’accord de combattre la morosité ambiante, mais – crise oblige – le lifting du living n’est pas la priorité absolue du budget.

Fort heureusement, il existe différents moyens abordables de s’offrir un bol d’air frais visuel. Pas besoin de lourdes transformations, ce n’est d’ailleurs pas le but ; il s’agirait plutôt d’un petit upgrade en technicolor. Et le fait de conserver une base blanche ou neutre cumule déjà deux avantages : limiter les dépenses puisqu’on n’agit que sur l’un ou l’autre élément de son intérieur et réduire le risque de faute de goût. Des arguments à retenir pour ceux qui tempèrent continuellement leur enthousiasme, par crainte d’avoir très vite des regrets.

Pour la Color Expert Levis,  » si les intérieurs aux accents minimalistes finissent par lasser, on y inclut graduellement des éléments de déco plus disparates, dont la présence sera renforcée par l’effet du blanc. Impossible qu’une couleur ne s’accorde pas avec le blanc, alors tout est permis ou à peu près. Avec, évidemment, un minimum de modération quand en ce qui concerne les couleurs plus crues ou plus violentes. Un intérieur très rouge, par exemple, pourra très vite oppresser. « 

Reste à choisir la teinte adéquate, une étape souvent plus compliquée que prévu, où l’on confronte ses désirs avec ses craintes, avec le risque d’aboutir à une indécision synonyme de résignation.  » Les gens me demandent toujours quelle est la couleur du moment mais je préfère les pousser sur la voie d’un choix personnel. Les modes sont éphémères par définition. Donc, finalement, une belle couleur qui nous plaît vraiment, c’est le meilleur moyen de ne pas s’en vouloir après deux semaines. Et si on manque vraiment d’inspiration, on peut commencer par découper des photos dans des magazines, puis on part en quête des styles et des ambiances sélectionnés. Il faut arrêter de croire que tout est toujours  » trop osé  » ou  » pas pour moi « . Moi je dis plutôt :  » Allez-y, foncez ! « . « 

HYBRIDES

Si la peinture fait indéniablement partie des pistes à suivre pour revigorer sans se ruiner – l’une ou l’autre couche peut vite donner une seconde vie à un meuble délaissé ou changer les perspectives d’une pièce aux dimensions limitées -, l’année 2012 a aussi été marquée par un regain d’intérêt pour le textile.

Coussins et rideaux sont montés au créneau pour réaffirmer leurs excellentes dispositions à accueillir les couleurs. Notamment sous l’impulsion de grandes enseignes comme Marimekko (lire aussi en pages 14 à 16), fleuron finlandais du design imprimé, dont le festival de motifs francs aux teintes éclatantes fut l’un des symboles d’espoir de tout un pays, au moment de son lancement dans le contexte particulièrement désenchanté de l’après-guerre.

Un style identifiable qui continue d’en inspirer beaucoup, notamment Ikea (photo), qui a engagé une grande offensive textile à l’automne dernier. Pour retrouver le moral après ses déboires alimentaires, le géant suédois semble compter sur la bonne humeur de ses nouveaux coloris et vient de recouvrir de bleu ou de rouge flash le fond de ses étagères Billy (photo), valeurs sûres de son catalogue depuis trois décennies.

Cette fois encore, l’exemple vient d’en haut, puisqu’on avait déjà pu observer de pareilles intentions auprès de nombreux éditeurs de design, des plus expérimentales aux plus classiques, à l’instar des meubles italiens Molteni (photo):  » Au lieu de rester coincé dans les tons uniques, brun, gris ou beige, notre directeur artistique a eu la volonté d’implémenter des couleurs vives et souvent chaudes, confirme Bernard Britte, importateur de la marque pour la Belgique. Notre prochaine campagne rassemble plusieurs générations de designers, de Gio Ponti à Ron Gilad, et mêle les nouveautés aux réinterprétations, dans des styles très complémentaires, qui nous permettent de poursuivre notre politique chromatique. Et pour être sûr de ne pas s’ennuyer, ces ajouts colorés proviennent d’éléments amovibles qui facilitent la variété et la personnalisation. « 

Personnaliser, l’un des nouveaux maîtres-mots d’une époque aux mille influences où l’on a pris l’habitude de picorer dans les tendances selon son bon vouloir. Y compris pour son chez-soi, dont chaque note de déco est censée refléter un fragment de notre personnalité, d’une façon flatteuse si possible. Entre zapping stylistique et métissage plus ou moins forcé, les foyers se peuplent de détails hétéroclites, interchangeables et renouvelables à l’envi.

 » Conserver le même intérieur pendant dix ans devient rare, conclut Gjulijeta Berisha. Il est donc judicieux de penser à des nuances interchangeables, sans nécessairement rechercher l’intemporel. L’intemporel, ça n’existe plus. Et contrairement à d’autres périodes aux atmosphères immédiatement reconnaissables, comme les sixties ou les seventies, le style des années 2010 est certainement le plus hybride qu’on ait jamais connu. Si l’on devait parler d’une tendance dominante, ce serait sûrement cet éclectisme, mélange de moderne, de vintage, de cher ou de bon marché. Sans oublier le mix toujours gagnant de la couleur et du blanc.  »

Par Mathieu Nguyen

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