Tom Dixon, le concepteur aux mille projets, de Portobello à Londres

Tom Dixon agençant ses suspensions Cut, versions Short et Tool. © SDP

Le top designer britannique a la bougeotte. Il quitte en effet Portobello pour un ambitieux complexe au coeur de Londres, avant d’embarquer pour une tournée-marathon autour du globe. L’occasion pour lui de passer ses troupes en revue, sur six continents.

« Nous venons déjà de déménager les bureaux, et le magasin suivra rapidement, mais c’est encore une autre histoire. Ensuite, le restaurant, qui rouvrira en juin. Bref, c’est un work in progress, mais tout se passe plutôt bien, c’est un super endroit et tout le monde a l’air très content jusqu’à présent. Donc ça va.  » Au moment d’aborder avec Tom Dixon sa grande actu du mois, on sent une pointe de préoccupation dans sa voix, malgré le ton flegmatique et les nombreux sourires qui ponctueront l’entretien. Il faut dire que le transfert de son petit univers d’un coin à l’autre de la capitale anglaise est entièrement assuré en interne.  » Oui, on fait tout nous-mêmes. On a des équipes pour gérer ça, des architectes d’intérieur aux informaticiens, mais ça reste un boulot énorme, un projet en soi. C’est bien de se rafraîchir un peu, on ressent ça comme un nouveau départ.  » Un départ malheureusement forcé, dû à un changement de propriétaire des fameux docks de Portobello, où il était installé depuis dix ans –  » On s’est un peu fait jeter « , plaisante-t-il. Cette tuile aurait pu lui donner l’envie de bâtir son nouveau quartier général, mais bien qu’on lui ait souvent posé la question, ce n’est pas d’actualité :  » C’est quasiment impossible à Londres, ça aurait pris au moins deux ou trois ans. De plus, la société ne fait pas d’immobilier, donc j’aurais dû m’y atteler à titre privé. Ça arrivera, un jour, mais probablement pas tout de suite.  » Passant donc d’une mission impossible à une mission très compliquée, Tom Dixon se mit en quête d’un nouveau building.  » Même dans une ville aussi étendue, trouver une bâtisse suffisamment grande, dotée de caractère et accessoirement d’une licence pour un restaurant, le tout bien placé géographiquement, ça m’a demandé un an. Et puis, il fallait encore entasser 120 personnes et toutes leurs envies, dans un espace étrangement similaire à nos précédentes installations ; l’un comme l’autre sont situés en bord de canal, et donc soumis aux mêmes problèmes d’exiguïté. Mais si vous aimiez les Docks, ne vous inquiétez pas : vous allez aimer le Coal Office « , dit-il en évoquant son nouveau chez-soi.

Le Coal Office, édifice industriel victorien situé le long de Regent's Canal.
Le Coal Office, édifice industriel victorien situé le long de Regent’s Canal.© SDP

Au fil de l’eau

Première nouvelle : l’antique édifice de briques va conserver son nom.  » Oui, justifie son nouveau locataire, parce que j’aime le fait qu’il ait déjà sa propre appellation, son histoire. Ce sera à la fois le nom du restaurant, ce qui lui permettra de développer une identité, et celui du building en général. Ça me paraît plus indiqué pour accueillir des partenaires, et plus intéressant que de placarder un énorme logo au sommet, qui dirait  » Ici, tout tourne autour de moi « .  »

Restait encore à trouver une organisation valable dans le dédale de cet ensemble victorien, plein de caractère mais pas idéal pour abriter un espace de travail ou de vente, avec ses arches et ses volumes aussi longs qu’étroits.  » Or, il y a tant de choses que nous voulons faire ici : une zone de production, des workshops, tout un studio de design moderne, mais aussi des techniques de vente novatrices, et des échoppes qui proposent à manger dans tout le bâtiment. Le plus grand défi a été de caser toutes nos ambitions dans cet endroit qui a l’air grand, mais présente beaucoup de contraintes.  »

Si le bâtiment est posé en bord de canal, à quelques kilomètres en amont de son prédécesseur – ce qui aurait pu donner lieu à un déménagement fluvial, de Grand Union à Regent’s Canal – contrairement aux paisibles environs de Notting Hill, où se trouvaient les docks de Portobello, le nouvel emplacement est sans doute la plus grouillante fourmilière du pays. A savoir, les abords des gares jumelles de King’s Cross et Saint-Pancras, qui voient défiler des milliers de voyageurs, du matin au soir.  » En toute honnêteté, c’était pas mal de pouvoir bosser à l’écart, tranquille et anonyme, reconnaît Tom Dixon. Nous sommes maintenant face à un test, celui de savoir si l’on peut convenablement fonctionner  » en public « , avec la foule qui travaille, habite ou transite dans les parages. Ce sera une transformation pour nous.  » D’autant que la majorité des personnes qui poussaient la porte des Docks avaient souvent expressément dévié vers ce quartier excentré, dans le but de découvrir l’univers de Tom Dixon. A King’s Cross, l’équipe Sales devra gérer un public élargi et peut-être mû par la simple curiosité, plus que par l’envie de pénétrer dans l’antre du célèbre designer.  » Très clairement, les deux contextes sont différents. Mais si les passants de King’s Cross pouvaient aussi acheter des articles, et pas seulement être curieux, ce serait parfait.  »

La famille Scoop, perchée sur ses nouveaux pieds métalliques.
La famille Scoop, perchée sur ses nouveaux pieds métalliques.© SDP

Mutations

Concrètement, à quel type d’expérience doivent s’attendre les visiteurs ? Une chose est sûre, il ne s’agira pas ici d’un énième concept store  » ou tout autre truc lifestyle du genre, avec un intérieur complet comme le Conran Store d’il y a trente ans. L’idée est plus d’explorer une série d’espaces intéressants avec des surprises dans tous les coins. Les gens viendraient pour y trouver de l’inspiration et de la nouveauté, ainsi que des services de qualité, et y vivre un bon moment. La dernière chose dont ils ont envie, c’est de se retrouver au fond d’un ennuyeux showroom de meubles. Dans la vente, il faut de plus en plus s’occuper de ses clients : ici, on peut passer du temps, bénéficier d’infrastructures de qualité, observer ce qui se fait de neuf – et ça évolue constamment. Les clients veulent qu’on les étonne. Mais la barre est déjà placée haut, c’est très compliqué de répondre aux attentes. Notre existence serait plus facile si l’on se contentait d’un seul type d’activité, comme les luminaires, mais ça n’a jamais été mon ambition. Ce que j’aime, c’est l’évolution du paysage, la mutation du business, soit précisément ce que l’on est en train de faire ici.  »

Les suspensions Top et le fauteuil Scoop, version haute.
Les suspensions Top et le fauteuil Scoop, version haute.© SDP

L’une des propositions les plus enthousiasmantes de Mister Dixon consiste à laisser visible une partie du studio, comme pour démystifier les processus de fabrication et révéler la réalité du labeur manuel que fait parfois oublier l’éclat poli de ses créations. Enfin, on n’en est pas encore là, mais c’est l’idée.  » Tout ça s’effectuera par étapes, qui prendront un an ou deux, mais pour commencer, une partie du secteur Ventes fera office de studio de prototypage. Je veux recommencer à manufacturer des produits au Royaume-Uni, comme à mes débuts. Je vais tester quelques séries, voir ce que l’on peut réaliser dans un espace de 80 à 90 m2. En design, le Royaume-Uni est une terre d’exportation parce qu’il y a trop peu de sites de production. On peut essayer de renverser quelque peu la tendance.  » Une distinction sera établie entre ce que fait le public commun, soit  » du shopping, manger un bout, jeter un oeil à ce que l’on fabrique « , et d’un autre côté, une zone pro,  » pour les architectes, designers et revendeurs « , appelée le Trade Council, qui sera plus vaste, parcourue de sortes de mood boards, de mélanges de concepts et d’idées,  » juste pour voir ce qu’ils donnent associés, et où l’on pourra passer plus de temps à se pencher sur les collections, les fonctionnalités et tout le reste « . L’objectif avoué est de s’étendre et de se mélanger, d’établir des partenariats avec d’autres commerces qui touchent à la déco ou l’architecture, comme le revêtement de sol,  » qui est la base de tout « .  » Nous pouvons déjà confirmer qu’une société danoise, un fabricant de tapis anglais et les carrelages siciliens de Made a Mano feront partie du mix.  » En résumé, si l’on sait que le Shop et le Trade Council sont opérationnels ou presque, le chef d’orchestre se montre encore un peu évasif quant au nombre exact de ses partenaires – il faut bien réserver quelques surprises pour les ouvertures officielles, prévues pour le courant du mois de mai.

Les suspensions Copper et la lampe de table Bell, habillés de blue.
Les suspensions Copper et la lampe de table Bell, habillés de blue.© SDP

The tourist

L’autre grande nouvelle, c’est l’absence de Tom Dixon à la Design Week de Milan, lui qui a si souvent régalé les visiteurs avec ses installations plus spectaculaires les unes que les autres : on se rappelle de son show au Museo della Scienza e della Tecnologia, du restaurant de la Rotonda della Besana ou de ses scénographies pour salles obscures, avec The Cinema, en 2015, et The Multiplex, l’an dernier. Las, rien de tout ça cette année. Pour la première fois depuis ses débuts professionnels, le Britannique a fait l’impasse sur le plus important événement du secteur. Certes, il était sur place,  » mais en tant que touriste. C’est génial, ça n’est jamais arrivé, j’étais toujours en train de vendre, de promouvoir, de montrer des nouveautés… Y aller sans devoir tenir un stand, sans pression, quel bonheur « . Et tant pis pour les nombreux déçus, surpris à chercher son nom dans le programme off de la grand-messe milanaise.  » Ils n’ont qu’à venir à Londres, ce n’est pas loin en Eurostar ! les invite-t-il. En plus, vous arrivez pile chez nous, à King’s Cross, c’est pratique.  »

Après ce court passage au Salone, Tom Dixon embarquera pour son tour du monde en 90 jours, une tournée-marathon à la rencontre de ses propres collaborateurs disséminés autour du globe.  » On avait déjà notre grand projet à Londres, puis on devait faire rafraîchir notre boutique de Hong Kong et inaugurer un nouveau showroom à New York « , au 25 Greene Street Broadway, soit au coeur du Design District de Soho, où bourgeonnent les enseignes huppées.  » Ça faisait déjà trois continents, poursuit Tom Dixon, et on a aussi des gens formidables qui vendent nos objets à Lima, Casablanca, Reykjavik, Toronto ou Tokyo, et nous soutiennent depuis longtemps. Sur cette base, on a imaginé une carte mondiale d’endroits tantôt obscurs, tantôt plus évidents. Et ce qu’on a décidé de faire, au lieu de dépenser tant d’argent et d’énergie pour cinq jours à Milan, c’est de célébrer ceux qui prennent soin de nous partout dans le monde, c’est donc plus un hommage rendu au personnel local qu’une inspection. Le monde moderne ne tourne plus autour de ton QG ou de ton flagship, mais de ton réseau. Or, nous en avons un excellent, que l’on doit honorer.  »

And now, the news…

Quand on lui demande comment, avec tous ses chantiers en cours, il parvient encore à proposer quelques nouveautés, sa réponse, fidèle au personnage, ne déçoit pas :  » On me pose souvent la question mais ça ne me paraît pas extraordinaire – comment font les gens qui produisent des films ? Les créateurs de mode, qui sortent quatre collections par an ? Ça me semble beaucoup plus difficile que ce que je fais. Créer des objets, je ne vais pas dire que c’est la partie facile, mais on a plus d’idées que nous pouvons en produire actuellement… Nous avons tout un arriéré de choses qui pourraient déjà être produites, mais il nous faut parfois ralentir plutôt que de sortir tous nos concepts, ce qui peut se révéler vraiment frustrant. Ce n’est pas comme dans la mode, où l’on doit faire table rase tous les six mois.  »

Promu sous le malicieux slogan  » Hot & Wet  » ( » chaud et mouillé « ), la première incursion de Tom Dixon dans l’univers de la salle de bains étonne par son aspect radicalement industriel. Situés pile  » au point d’équilibre entre la décoration et la fonctionnalité  » avec leur cerclage poli, les luminaires Spot, Stone et Plane éclaireront les pièces d’eau et cuisines, voire les saunas à en croire leurs propriétés.

Autre nouveauté, qui constitue un virage notable dans l’esthétique dixonienne, c’est le passage de tons chauds, exprimés par les cuivres et laitons des dernières années, à des ambiances d’un froid spatial, faites de bleu électrique, d’Inox tranchant et de noir  » super glossy « . Pétrie d’accents futuristes, cette évolution semble prendre le registre du designer à contre-pied, mais reste dans le sillage de ses premières amours, comme une nouvelle manière d’honorer son matériau de prédilection, le métal.

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