Pierre Bergé: « Il ne faut jamais se comporter en propriétaire avec les oeuvres d’art »

Le couturier eut deux passions: la mode et l’art. Avec Pierre Bergé, il a réuni plus de 700 pièces qui dialoguèrent avec sa propre création. Alors qu’a lieu les 23, 24 et 25 février la dispersion par Christie’s de cette extraordinaire collection, l’homme d’affaires nous a livré quelques secrets sur ces trésors.

Le couturier eut deux passions: la mode et l’art. Avec Pierre Bergé, il a réuni plus de 700 pièces qui dialoguèrent avec sa propre création. Alors qu’a lieu les 23, 24 et 25 février la dispersion par Christie’s de cette extraordinaire collection, l’homme d’affaires nous a livré quelques secrets sur ces trésors.

Quand vous avez ouvert, en 2004, les portes de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, vous disiez vouloir que cette collection revienne un jour à ce lieu. Pourquoi avez-vous finalement choisi de vous en séparer?

La réponse est simple: parce que je n’ai pas d’argent. Quand on a un niveau de collection pareil, on ne peut pas imaginer qu’on a cet argent sur les murs et l’équivalent en banque. Il se trouve que j’ai besoin de faire vivre cette fondation qui n’a pas un sou, que je veux pouvoir accomplir des actions caritatives et aider la recherche scientifique, notamment celle sur le sida. Les bénéfices de la vente y sont destinés.

Quelles sont les pièces qui vous tenaient le plus à coeur à tous deux? Aviez-vous des divergences de goût?

Avec Yves Saint Laurent, nous avons eu des désaccords dans la vie, mais jamais sur cette collection. Nous sommes tombés fous, ensemble, des trois objets qui ont décidé du sort de celle-ci. Le tout premier est un oiseau Sénoufo en bois sculpté, une pièce d’art africain du xixe siècle -l’une des rares que je ne vende pas. Le deuxième objet, ce sont les deux vases de Jean Dunand, qu’Yves Saint Laurent repère d’un coup d’oeil dans la vitrine d’une galerie alors que nous traversons la rue Bonaparte en voiture. Ils nous ont ouvert les portes de l’Art déco. Le troisième, je le découvre moi-même en allant un peu par hasard chez le marchand Alain Tarica. Je tombe en arrêt devant un Brancusi admirable. Ce sera notre première pièce d’un « vrai » artiste.

A quel point ces objets ont-ils pu influencer ses créations ?

La collection l’a toujours nourri. Il y a eu l’Afrique, la peinture… Mais parfois il l’a précédée. C’est le cas pour Mondrian, dont nous avons acheté la première toile en 1978. Yves avait déjà créé ses robes en hommage au peintre bien avant, en 1962. Si, à cette époque, on nous avait dit que, un jour, nous aurions l’une de ces oeuvres, nous ne l’aurions pas cru. Quand la Composition de Mondrian est arrivée rue de Babylone, nous nous sommes dit qu’elle aurait dû être là depuis longtemps.

Les serpents et les lions sont très présents parmi les objets. Quel est leur sens caché ?

Le serpent était un grand goût de Saint Laurent. Il aimait cet animal à la connotation sexuelle évidente; il le trouvait beau. Il en a peint et dessiné beaucoup. En 1967, nous avons même acheté à Marrakech une maison qui s’appelait Dar el-Hanch, c’est-à-dire la maison du serpent. Quant au lion, c’était son signe astrologique. A chacun de ses anniversaires, j’essayais de lui en trouver un.

Pourquoi n’avez-vous pas collectionné plus d’artistes contemporains ?

Il y a tout de même Andy Warhol, que nous avons bien connu, François-Xavier et Claude Lalanne, avec qui Saint Laurent a travaillé. La raison principale est que nous avons acheté les oeuvres que nous avons rencontrées. Jamais nous n’avons fait appel à un courtier. Donc, nous n’avons pas été mis en présence d’un Rothko, d’un Bacon ni d’un Barnett Newman ou d’un Pollock, qui sont des gens que nous admirions pourtant énormément.

Pour composer votre collection, vous dites avoir pris exemple sur Marie Laure de Noailles. Dans quel sens vous a-t-elle inspirés ?

C’est la liberté qu’elle et son mari, le vicomte de Noailles, avaient, et qu’ils ont eue dans leur vie, d’abord. Place des Etats-Unis, ils faisaient voisiner un énorme Burne-Jones avec deux Goya sublimes. Dans le grand salon en panneaux de liège de Jean-Michel Frank, il y avait un grand Rubens et une table de cuisine peinte par Balthus… C’est cette audace-là qui nous a séduits. Nous avons, nous aussi, cultivé le mélange des genres, sans jamais établir de hiérarchie en quoi que ce soit. Notre seul et unique critère a toujours été le beau.

Quelles sont les pièces qui vont le plus vous manquer ?

Aucune ou toutes! Il ne faut jamais se comporter en propriétaire avec les oeuvres d’art: elles sont chez vous en transit. Ma collection se trouve désormais dans ce catalogue de vente qui pèse 10 kilos et qui va m’accompagner partout. Je ne collectionnerai plus. C’est fini. Le livre est fermé.


Marion Vignal – L’express Styles

Exposition-vente de la collection Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, Grand Palais, Paris (VIIIe), du 21 au 25 février. Informations : Christie’s, 01-40-76-85-85 ; www.christies.com

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content