Bijou audioprothèse: la beauté de l’écoute

Quand des bijoux subliment des audioprothèses sans plus les camoufler, on est face à une collection manifeste. Et à un changement de paradigme. Ce qu’il faut savoir de H(earring) et du trio de jeunes Françaises dont c’est le projet.

Il fallait l’envie irrépressible d’une photographe malentendante et le  » on fonce  » de deux jeunes designers pour donner vie à une collection de bijoux rares et indispensables. Kate Fichard, Flora Fixy et Julia Dessirier signent de leurs noms entremêlés des créations mixtes, aux silhouettes géométriques élégamment chahutées par des formes organiques référencées, lesquelles font écho aux contours précis et complexes de l’oreille et de l’appareil auditif. Leurs compétences complémentaires se sont conjuguées harmonieusement en une série de boucles d’oreilles devenues high-tech par la force des choses et couronnées par le jury du 33e Festival international d’Hyères. Explications.

1+ 1 = 3

C’est sur cette addition évidente qu’elles se sont trouvées. Le puzzle parfait pour une collaboration captivante. Kate Fichard (29 ans) est photographe, malentendante, formée à l’Ecal (Ecole cantonale d’art de Lausanne) en communication visuelle et cofondatrice, avec Hugo Deniau, du Studio KH, basé à Paris. Flora Fixy (32 ans) est diplômée de l’Ecal aussi, mais en design d’objet, comme Julia Dessirier (31 ans), passée quant à elle par les Arts et Métiers, à Paris ; à elles deux, elles ont fondé FandD Studio, dans la capitale française.

Bijou audioprothèse: la beauté de l'écoute
© STUDIO KH

H(earring)

Soit le nom de cette collection, avec ou sans parenthèses. Y voir un jeu de mots anglophile – avec  » earring  » pour boucle d’oreille et le h qui rappelle qu’il s’agit d’entendre, en beauté. Pour l’heure, elles cherchent un nom qui résumerait au mieux leur label, elles ne l’ont pas encore trouvé, elles se donnent le temps d’être au plus juste. En préambule, on lira que  » H(earring) est une marque de bijoux pour audioprothèses destinée aux personnes malentendantes. Dans le monde, 360 millions de personnes ont aujourd’hui une déficience auditive handicapante. On compte en France près de 5 millions de malentendants et 2 millions d’entre eux ont moins de 55 ans « .

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© STUDIO KH

Une intention

Celle de Kate Fichard :  » J’ai souhaité développer cette idée de créer un habillage pour appareil auditif. J’en porte depuis que j’ai 4 ans, et le design n’a pas changé entre-temps. L’aspect de ces prothèses s’apparente trop au médical, dans des gammes de couleurs proches de la peau et des cheveux, des noirs, des gris, des beiges limités. Je ne suis pas partisane de cacher son handicap mais bien de l’exposer avec esthétisme et sans agressivité.  »

Essai-erreur

 » Quand Kate nous a parlé de son idée de bijou qu’elle puisse accrocher sur ses appareils auditifs, cela nous a enthousiasmées. En tant que designers produit, c’est intéressant de travailler sur un accessoire plus technique avec les contraintes que cela suppose. Et puis l’aspect engagé de ce projet nous tient à coeur. On a envie d’oeuvrer sur des choses qui ont du sens et qui peuvent amener une acceptation de soi. C’est génial de pouvoir collaborer avec une utilisatrice directe. On a travaillé en 3D, on a réalisé un scan de l’appareil de Kate, ensuite on a construit autour et on est passées par l’impression 3D pour valider les volumes. A chaque fois, nous avions un retour direct de Kate, ce qui nous permettait de faire évoluer les formes rapidement, de rencontrer les vrais enjeux d’ergonomie – un défi – et d’avancer de manière pertinente.  »

Bijou audioprothèse: la beauté de l'écoute
© STUDIO KH

Un manifeste

 » A Hyères, nous voulions présenter une collection manifeste qui soit riche formellement, précise Julia Dessirier. Notre idée était de partir du bijou le plus discret au plus visible, presque ostentatoire, souligner cette volonté d’assumer ce contour et le rendre désirable. On a donc créé une toute petite pièce, avec un cristal Swarovski qui se voit juste à l’avant, comme une étincelle, puis d’autres, dont cet accessoire avec plusieurs éléments qui se déploient en jouant avec les formes de la prothèse et de l’oreille, en les soulignant. L’idée était de ne rien cacher, penser des formes encore plus originales, surprenantes, et de les sublimer. « 

L’eau, source d’inspiration

 » Lorsque je ne porte pas mes appareils, j’imagine que ma perception auditive pourrait être la vôtre quand vous êtes sous l’eau, dit Kate Fichard. Nous nous sommes donc inspirées de l’univers aquatique et minéral. L’une des pièces, celle que je trouve la plus forte d’ailleurs, est comme une coquille transparente, la résine ainsi travaillée représente l’eau.  »

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© STUDIO KH

Le prix qui change tout

Le Grand Prix du Jury Swarovski, catégorie accessoires de mode, du 33e Festival d’Hyères 2018, avec à la clé une bourse Swarovski de 15 000 euros et une collaboration avec les Métiers d’Art de Chanel, pour une capsule qui sera présentée à la Villa Noailles, en avril 2019, lors de la 34e édition de cet événement dénicheur de talents. En leur offrant ces lauriers, le jury a voulu couronner trois jeunes créatrices  » jouant un rôle dans ce mouvement général qui tend à faire de l’industrie de la mode le porte-parole de problématiques sociopolitiques et ainsi élever les corps et les esprits « .  » On ne s’attendait pas à gagner, se souvient Julia Dessirier. Quand on a su qu’on était sélectionnées, avec notre concept un peu particulier, dans un univers de mode, on pensait qu’un projet plus traditionnel serait privilégié. Nous, on voulait juste une collection dont on serait contentes, qui nous ressemble, parfaitement réalisée. Quand on l’a présentée, on s’est rendu compte que le public était positif, on savait que l’histoire était enthousiasmante, et pleine d’optimisme, et engagée, et qu’elle s’intégrait aussi dans un propos plus général. Cette récompense fut une excellente surprise, et une reconnaissance appréciable. Cela nous place dans la lumière et nous permet de sortir du registre du handicap, d’entrer dans un univers mode et de bénéficier de son pouvoir sur les consciences pour changer la vision des choses. « 

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