Alexandre Mattiussi (AMI), le chef de bande

Il y a cinq ans naissait AMI, la griffe Homme aimée des femmes et inspirée par l’allure « effortless » chic des jeunes Parisiens. Cinq boutiques et 300 points de vente plus tard, ce « vestiaire de potes » a trouvé son public aux quatre coins du monde. Confidences, en terrasse, d’un créateur à la nonchalance assumée.

Il arrive sapé comme on l’imaginait : jeans, pull marine, baskets un peu défoncées, long manteau et surtout bonnet, gris toutefois et pas rouge – « je ne le porte plus que pour les grandes occasions, avoue-t-il. Pas que vous n’en soyez pas une mais j’ai parfois l’impression, quand je le mets, d’être une caricature de moi-même ».

Alexandre Matiussi, fondateur du label AMI
Alexandre Matiussi, fondateur du label AMI© Renaud Callebaut

Ce jour-là, les terrasses du boulevard Beaumarchais affichent complet sous un soleil bienveillant. Un grand brun passe, beau à faire tourner des têtes, Alexandre Mattiussi le suit des yeux, s’explique : « Je ne suis pas en plan drague mais comme je suis en casting en ce moment, je regarde les garçons dans la rue. »

Avant de lancer AMI – une contraction de ses initiales et de la dernière lettre de son nom de famille -, ce Parisien d’adoption, né Normand, diplômé de l’école Duperré, a roulé sa bosse dans la mode chez les plus grands. Dior Homme, époque Hedi Slimane, Givenchy, puis Marc Jacobs. Il ne s’était pourtant pas vu en styliste Homme, le hasard des stages et des premiers boulots a bien fait les choses. « Le propos d’AMI, dès le départ, c’était d’habiller les gens que je croise en ville, dans le métro, mes potes aussi, rappelle-t-il. La mode masculine de luxe, très chère, est souvent déconnectée de la réalité. On a parfois du mal à se retrouver dans le vestiaire des grandes maisons. »

Son business plan en tête, il part à l’assaut du marché en professionnalisant d’emblée l’aventure. « J’ambitionnais de créer quelque chose de solide alors je me suis entouré des bonnes personnes, j’ai imaginé le design des boutiques, choisi un bon bureau de presse, un directeur commercial expérimenté, sélectionné les meilleurs fabricants. »

La recette qui fleure bon le travail acharné s’avère payante : en cinq ans, AMI, première marque masculine à recevoir le prestigieux prix de l’Andam en 2013, a ouvert trois boutiques dans la capitale française et deux autres, à Tokyo et Londres. La griffe, distribuée là où il se doit – Colette à Paris, Corso Como à Milan, Hunting & Collecting à Bruxelles… -, distille son dressing effortless chic aux quatre coins du monde. « J’intellectualise peu les choses, poursuit-il. Pas besoin de se poser mille questions quand on essaie un pull ou une veste. On propose et les clients disposent. Ma mode n’est pas dictatoriale, je la dessine comme je cuisine, en demandant chaque saison à mes amis ce qu’ils ont envie de porter. Je m’écoute, aussi. »

Tout se joue souvent au niveau des proportions : une épaule plus ou moins soft, une longueur, une matière qu’il fera bon revêtir. « J’aimais les choses un peu plus sèches il y a cinq ans. Quand on est plus jeune, on accepte plus facilement une veste qui serre un peu, sous prétexte qu’elle fait une silhouette géniale. Aujourd’hui, je cherche à me sentir bien. »

Il tourne une fois encore la tête. Sourit, ravi. « Le type qui vient de passer avait une veste AMI, on ne peut pas me faire de plus beau compliment », lâche-t-il soudain pressé en empochant son portable et ses cigarettes. Il a rendez-vous avec Caroline de Maigret – « une amie d’AMI » -, la première fille à avoir accepté de défiler pour lui. Il s’enfuit. Paris n’a pas fini de lui faire la fête.

LA RUE

Amine Boutagouga
Amine Boutagouga© Paul Wetherell

« Ça peut paraître un peu galvaudé de dire cela mais les gens qui m’entourent, où que je me trouve, sont ma principale source d’inspiration. L’homme AMI, je veux que les gens puissent se dire qu’il ressemble à leurs potes, aux copains de leur copine, à leur père, à leur médecin, aux lycéens qu’ils croisent… C’est aussi pour cela que, dans mes défilés, il y a au moins une dizaine de garçons comme Amine Boutagouga (photo), repéré lors d’un casting sauvage. C’est dans ce sens-là qu’AMI est une marque très parisienne parce que le propos créatif des vêtements que je dessine, il est là, dans la rue justement. Finalement, ce sont les gens qui les portent qui font des vêtements ce qu’ils sont vraiment. »

LE LAC DES CYGNES

Alexandre Mattiussi (AMI), le chef de bande
© GETTY IMAGES

« J’avais 4 ans quand je suis tombé sur une représentation de ce ballet à la télévision. Une révélation. J’ai dit à ma mère que je voulais devenir danseur classique. Le soir même, elle en parlait à mon père et ils m’ont dit oui. J’habitais en province, en 1984. Un petit garçon à la campagne qui dit qu’il veut devenir danseur, ce n’est pas anodin. C’est un peu le syndrome Billy Elliot. Si mes parents avaient refusé, cela aurait changé radicalement ma vie. J’ai la grande chance qu’ils m’aient toujours soutenu dans mes choix créatifs, même plus tard quand j’ai décidé de faire de la mode vers 17-18 ans. Cette confiance, cet amour que j’ai reçus petit m’ont beaucoup aidé. »

LES AMIES D’AMI

Alexandre Mattiussi (AMI), le chef de bande
© TOMMY TON

« J’habille beaucoup de filles en ce moment. Suis-je prêt à me lancer dans la mode Femme ? Pas tout de suite en tout cas. Caroline de Maigret a été la première à défiler pour moi. On descend dans des petites tailles mais le fit reste masculin, les manteaux sont un peu oversize, les pulls trop larges, c’est ce look qu’elles ont quand elles portent les vêtements de leur mec que les filles viennent chercher chez nous.

J’ai aussi eu la chance d’habiller Héloïse Letissier, la chanteuse de Christine and the Queens. Il n’y avait pas de volonté opportuniste. Juste l’envie de croiser deux univers créatifs. Parce que la marque s’appelle AMI, on fait en sorte de créer de jolies rencontres. »

LA MODE HOMME

Alexandre Mattiussi (AMI), le chef de bande
© IMAXTREE

« J’observe ce qui se passe sans pour autant scruter les autres. Je dois rester en accord avec moi-même car si des flèches sont tirées à la sortie du défilé, c’est sur moi qu’elles arriveront. J’ai toujours admiré Martin Margiela, à l’époque où il dirigeait sa maison, Raf Simons et Haider Ackermann aujourd’hui. J’adore ce qui est en train de se passer chez Gucci avec l’arrivée à la direction artistique d’Alessandro Michele (photo). J’ai rêvé de lui cette nuit : il me demandait conseil sur des broderies, à moi, n’importe quoi ! Ça bouge en ce moment dans la mode masculine, depuis que l’on a accepté l’idée que l’homme est une femme comme les autres. »

MA PLAYLIST

Alexandre Mattiussi (AMI), le chef de bande
© GETTY IMAGES

« En ce moment sur ma playlist, vous trouverez Saycet, Agnes Obel, Sebastian, Fauve et Damien Rice. On écoute beaucoup de musique au bureau, j’y suis entouré de gamins de 25 ans. Moi qui en ai 35, malgré la maturité et l’expérience que je pense avoir et qui commencent à devenir intéressantes, je fais confiance à cette génération-là qui a une autre manière que moi de considérer la mode. Cette génération commence à s’habiller, à dépenser de l’argent, à définir son style à la sortie de l’adolescence. Et cela passe par les vêtements qu’elle porte, les titres qu’elle écoute, les gens qu’elle fréquente, les endroits où elle sort. Ces années-là sont extraordinaires. »

LE BONNET ROUGE

Alexandre Mattiussi (AMI), le chef de bande
© AMI

« C’est un bonnet que je porte depuis que je suis enfant. Son histoire me dépasse un peu aujourd’hui, tellement il est entré dans les codes d’AMI.

Je m’en sers comme d’une signature, sur des petits dessins, dans chacune de nos boutiques où il est posé sur une tête en plâtre blanc. Il était présent dès la toute première collection et il existe aujourd’hui aussi dans d’autres couleurs. Désormais, tous les bénéfices de la vente du bonnet rouge sont reversés au Sidaction. »

LA COLLECTION PRINTEMPS-ÉTÉ

Alexandre Mattiussi (AMI), le chef de bande
© IMAXTREE

« Sans vouloir m’inscrire dans un discours politisé, je ne peux pas non plus ne pas prendre en compte l’actualité quand je crée. Même si cela ne se ressent pas directement dans le vêtement, que je dessine uniquement par rapport à ce que j’ai envie de porter ou de voir porter, cela peut se percevoir dans les histoires que nous voulons raconter au défilé.

Pour le printemps-été 2016, j’ai tenu plus que jamais à inscrire AMI dans un principe de réalité. Avec nos boutiques de quartier, nous sommes dans le commerce de proximité. J’ai choisi de présenter la collection dans un marché couvert, au milieu de jardin des Tuileries (photo), le genre d’endroit où l’homme AMI fait ses courses le dimanche matin. Je voulais mettre en scène notre vestiaire dans un univers qui peut paraître anecdotique mais la réalité du quotidien l’est aussi, finalement. J’aimais l’idée de projeter nos vêtements dans un décor d’images d’Epinal, un peu cinématographique, à la Jean-Pierre Jeunet, un peu genre Fabuleux Destin du Parisien qui s’habille en AMI. »

LE PARISIEN

Alexandre Mattiussi (AMI), le chef de bande
© LOIC PRIGENT

« Plus qu’un style formel, ce qui définit le Parisien, c’est son attitude qui découle directement de cette façon de vivre que l’on a ici. Cette ville unique qui vous permet de vous retrouver le samedi soir dans un bar ou un resto comme il y en a à tous les coins de rue, de bien manger, de boire du vin rouge, de sortir de chez soi le matin pour se faire un croissant avec un petit café en terrasse. Dans l’imaginaire collectif, aussi, c’est la ville de l’amour par excellence et j’aime cette idée de la séduction dans le vêtement, qui se doit de te donner confiance en toi, te permettre de te sentir bien dans ta peau. Le jour où tu embrasses la personne que tu aimes pour la première fois, tu te souviens de la couleur de son pull. On entre dans l’intimité des gens avec le vêtement. »

LE VESTIAIRE IDÉAL

Alexandre Mattiussi (AMI), le chef de bande
© IMAXTREE

« Bien sûr, c’est une question de porte-monnaie. Il y a les basiques : un petit blouson bomber revisité, un joli sweat-shirt – c’est mignon -, un bon jeans car on en porte tous, une belle paire de chaussures. Et surtout ne pas faire l’impasse sur le manteau (photo). C’est une pièce iconique qui te fait adopter une posture quasi princière. Elle appartient par essence au vestiaire masculin avec un petit côté héritage en prime qui fait qu’a priori, on n’a peut-être pas forcément envie de se voir dedans. Pourtant un manteau, ça vous positionne aussi socialement, tout à coup avec ça sur le dos, on est un homme… C’est très masculin mais ça peut être jeune et cool, ça dessine l’épaule, ça crée une silhouette. La veste vous fera le même effet : la première fois que j’en ai porté une – un modèle d’Hedi Slimane pour Dior Homme que j’ai dû revendre pour payer mon loyer ! – moi qui ne quittais jamais mes jeans et mes sweats, je me suis senti différent, sans être déguisé pour autant. Ça fait entrer dans une nouvelle dimension. »

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