Allée Sonia Rykiel, 75006 Paris
Au coeur de la Fashion Week, Nathalie Rykiel, la fille de la grande Sonia, avait donné rendez-vous boulevard Raspail, sous les platanes ce samedi soir 29 septembre 2018. Elle avait convié toute la maison et ses invités, assis sur les bancs en bois sous les auvents rayés d’un marché bio qui y prend place le dimanche matin. Et forcément comme tout le monde était dans la rue, ceux qui y passaient étaient aussi les bienvenus. Car épaulée par la maire de Paris Anne Hidalgo, on allait inaugurer l’Allée Sonia Rykiel (1930-2016). Et quand on baptise ainsi un bout de macadam, même arboré, c’est pour l’éternité. C’est dire si l’émotion était au rendez-vous. Elle s’entendait dans la voix de Nathalie Rykiel et le public en frissonnait, le fantôme si roux de Sonia s’amusait même à flotter. En quelques mots, la littérature court dans ses veines, c’est génétique, elle a gravé cet instant solennel : » Au nom du nom de mon père, Sam Rykiel, au nom de mon frère Jean-Philippe, au nom de mes filles et de ma famille entière, je vous remercie d’unir ma mère à la ville de sa vie, de lier à l’encre indélébile le nom de Sonia Rykiel à celui de Paris, d’ajouter au gris eiffelien des toits, aux monument, aux quais, aux jardins, aux marchés parisiens la rousseur rykielienne, la démarche et l’allure de Sonia, son personnage follement germanopratin. «
Ainsi celle qui enleva les ourlets, inventa la (dé)mode, afficha les coutures à l’endroit et préféra la maille à porter sans rien dessous a désormais son allée – » et c’est formidable, parce qu’une allée, cela n’a pas de fin, on sait vaguement où cela commence mais pas précisément où cela se termine, on ne sait pas par quel bout la prendre, c’est ouvert, c’est libre, une allée, comme un pull-over, on peut passer la main, l’enfiler, la prendre à l’envers, le mettre à l’envers… Et Sonia toute sa vie elle a fait ça, se balader, avancer mais c’est elle qui décidait du sens de la marche. » Et en écho aux démons qui divisent la France et la dénaturent, Nathalie Rykiel rappelle d’où venait sa mère, » de parents et de grands parents arrivés de Russie, de Pologne, de Roumanie et d’ailleurs, d’origine juive. Sa destinée, sa réussite il faut le dire, c’est aussi la victoire d’une France bienveillante, une France généreuse qui accueille, une France qui éduque, oui c’est une France pas si lointaine qui a rendu cela possible, la bonne fortune de Sonia, ses désirs, sa volonté, sa rébellion possible, son émancipation, ses conquêtes, sa liberté, ses créations. »
Un créateur, une créatrice en l’occurrence, a les doigts dans la prise, son époque le façonne et l’inverse est parfois valable aussi. Ainsi, dans l’effervescence de mai 68, Sonia Rykiel apporta sa couleur à ce basculement sociétal – avec des livres en vitrines dans sa boutique, » parce que des vêtements, ce n’est pas assez, ce n’est pas assez intellectuel « , des jupes-culottes pour gambader à grandes enjambées, des sacs en bandoulière pour avoir les mains libres, et le coeur aussi. C’est cet héritage que Julie de Libran, directrice artistique de la maison, se charge désormais de perpétuer. Et c’est sur cette allée si bien baptisée que défilent des jeunes femmes » versatiles « , quelques enfants, un chien et des hommes Sonia Rykiel qui suivent ses » sunday rules » édictées sans diktat – » marinière, oversize sweater, knit dress ou Saint-Germain-Jacket « . Que serait la Rive Gauche sans l’ombre fascinante de Sonia ?
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