Casey Cadwallader, l’homme qui habille toutes les morphologies chez Mugler

© Franck Mura

En un temps record, le créateur américain Casey Cadwallader a mené la maison française Mugler vers le XXIe siècle. « Pendant cent ans, la mode a montré les mêmes mannequins, alors qu’il y a tant de beauté sur cette planète. C’est absurde », dit-il. Confidences.

Il semble être la bonne personne au bon endroit, au bon moment. Casey Cadwallader, directeur artistique de Mugler depuis 2018, a rétabli les « glamazones » futuristes du patrimoine du légendaire créateur français et leur a offert une modernisation digne du XXIe siècle.

De toutes les maisons de mode parisiennes historiques, Mugler est peut-être la plus inclusive. Lors d’une performance réalisée à l’occasion des Victoires de la Musique, Casey Cadwallader a moulé le corps tout en rondeur de la chanteuse Yseult d’un body transparent. Rien d’étonnant à ce que cette tenue la sublime. La réinterprétation un brin pornographique mais aucunement sexiste de Mugler par l’Américain sied à toutes: de Cardi B dans la vidéo déjantée Wap, qui compte actuellement plus de 400 millions de vues sur YouTube, à Beyoncé en couverture de Vogue.

La rappeuse Cardi B en Mugler, dans son clip Wap: plus de 400 millions de vues sur YouTube.
La rappeuse Cardi B en Mugler, dans son clip Wap: plus de 400 millions de vues sur YouTube.© SDP

Selon notre homme, « Mugler est surtout une attitude. Je pense que la mode n’a rien à voir avec la couleur de peau, la morphologie, l’âge, ni l’expression du genre ; je mets en scène plusieurs styles de personnes sur le catwalk. Je m’étonne de ce que certaines marques fashion aient si peu évolué. L’an dernier, lorsque Versace a mis en avant des femmes aux courbes généreuses, j’étais ravi. Pendant cent ans, la mode a montré les mêmes mannequins. Filiformes et mesurant deux mètres. Il y a pourtant tant de beauté dans le monde. C’est absurde. »

Un architecte dans la mode

Dans un premier temps, son rêve était de concevoir des voitures, raconte Casey Cadwallader, 34 ans, à propos de son parcours. « Ensuite, j’ai voulu devenir architecte et joaillier, poursuit-il. Enfant, je dessinais tout le temps. J’ai su tôt que je voulais réaliser des choses. Mes parents aimaient les antiquités et le mobilier rustique en bois, typique de la Nouvelle-Angleterre, et presque tous les week-ends, ils me traînaient au marché aux puces. Je m’ennuyais à mourir, jusqu’à ce que je découvre les étals de pierres semi-précieuses et de minéraux. Chaque semaine, j’achetais quelque chose et puis j’allais montrer mon butin à un bijoutier de mon quartier. Qu’est-ce que c’est? Ça vaut combien? Après une vingtaine de visites, le propriétaire m’a proposé de devenir son apprenti. J’avais 12 ans. C’était mon premier travail, et il était même bien payé. Nous sommes restés amis. »

Casey Cadwallader (Mugler), l'homme qui habille toutes les morphologies
© Franck Mura

L’Américain n’a jamais cessé de dessiner. A l’école, il aimait les cours d’art et d’architecture, mais il était aussi doué en maths, surtout pour les réalisations techniques. « J’ai fait des études d’architecture à Cornell, là où on apprend surtout à anticiper, et où l’idéologie est plus importante que le calcul. J’étais fasciné par la mode, par le corps et les analogies que je voyais entre l’habillement, le mobilier et l’architecture. J’ai demandé si, en tant qu’étudiant en architecture, je pouvais participer au défilé de fin d’année de la section mode, et cela m’a été accordé. »

Les looks de la collection actuelle de Mugler. Celle de l'hiver sera dévoilée en octobre.
Les looks de la collection actuelle de Mugler. Celle de l’hiver sera dévoilée en octobre.© SDP

Il a d’abord réalisé un stage dans deux bureaux d’architectes à New York, avant d’en effectuer un en 2001 chez Marc Jacobs. « Cette expérience a achevé de me convaincre: je serais créateur de mode. Marc avait une merveilleuse équipe. J’aimais les défis, l’énergie, les heures de travail interminables. Lorsque j’ai enfin décroché mon diplôme, Gluckman Mayner, un bureau d’architectes qui, à l’époque, créait de nombreux flagship stores, m’a proposé un emploi. C’était une belle offre, parce qu’habituellement, ils engageaient uniquement des architectes qui avaient au moins cinq ans d’expérience. J’ai décliné. C’était une décision difficile. Mais je voulais voyager et acquérir de l’expérience à l’étranger. »

Son premier emploi dans la mode fut chez Tsé, un label hongkongais spécialisé dans le cachemire, en tant qu’assistant du directeur artistique. Puis Casey Cadwallader a travaillé chez Narciso Rodriguez. Après un détour à Madrid, il s’est vu offrir un emploi chez Acne Studios, où il est devenu directeur des précollections Femme. « A ce moment-là, ces collections représentaient environ 80% de leur chiffre d’affaires. C’est une tout autre approche, et j’y ai appris à avoir un maximum d’impact tout en restant simple. »

Une chasseuse de têtes a finalement estimé qu’il était prêt à relever un plus grand défi. « Elle m’a cité trois maisons qui recherchaient un directeur artistique. Mugler était l’une d’elles. Je n’ai pas hésité un seul instant. »

Les looks de la collection actuelle de Mugler. Celle de l'hiver sera dévoilée en octobre.
Les looks de la collection actuelle de Mugler. Celle de l’hiver sera dévoilée en octobre.© SDP

Esprit ouvert

« Mugler était un génie en matière de remodelage du corps, estime Casey Cadwallader. Une forme d’épaule particulière, des hanches arrondies et une toute petite taille. Il savait transformer les gens en les habillant de la veste adaptée et donnait énormément de confiance à ses clients. Il était extravagant, et ses défilés étaient spectaculaires. Je l’ai toujours admiré. Je voyais beaucoup de similitudes entre son univers et le mien. Nous avons tous les deux l’esprit ouvert. J’aime les gens qui se distinguent des autres, qui font preuve d’audace, d’assertivité et qui ne se laissent pas influencer par les attentes d’autrui. Et je crois que Mugler en fait partie. Il a fait défiler des modèles transgenres dans ses shows. Il fallait oser. Lorsqu’on marche dans les pas d’un homme fort et hyper talentueux comme Mugler, on doute presque automatiquement de soi, confie le trentenaire. Alors, je me suis dit: tu n’es pas lui, et tu ne le seras jamais. Il a fait ce en quoi il croyait. C’est aussi ce que tu dois faire. Mugler est réputé pour la haute couture, et moi, ma spécialité c’est le prêt-à-porter. Les gens ne comprennent pas toujours que c’est complètement différent. Alors, ils disent: oh, les réalisations de Casey ne valent vraiment pas celles de Mugler. »

Le risque, il aime ça. « J’essaie de ne pas suivre le courant, mais de me tourner vers ce qui me semble juste. » Cela implique qu’il lui arrive de se tromper. « Ce n’est rien si vous apprenez de vos erreurs et allez de l’avant. Par exemple, si vous réalisez cent robes, il se peut que cinq d’entre elles soient un peu moins réussies, mais ce n’est pas si grave. »

La chanteuse Yseult, vêtue en Mugler, pendant la cérémonie des Victoires de la Musique, en février dernier.
La chanteuse Yseult, vêtue en Mugler, pendant la cérémonie des Victoires de la Musique, en février dernier.© GETTY IMAGES

Si un retour vers la haute couture, comme l’été dernier chez Balenciaga, ne fait pas partie des plans actuels, Casey Cadwallader dispose d’une sorte de solution alternative. Il habille des célébrités pour des shootings, vidéos, tapis rouges et performances, et c’est presque toujours du travail sur mesure. « Cela demande beaucoup de temps, mais vous vaut beaucoup d’attention en retour. Chez Mugler, on ne sort plus que deux collections par an, selon le modèle « see now, buy now ». Comme nous avons arrêté les précollections, nous sommes suffisamment flexibles pour créer des looks « custom ». » Non seulement pour Beyoncé et Cardi B, mais aussi pour Miley Cyrus, Dua Lipa et Ariana Grande. Quant à Billie Eilish, elle a récemment fait le buzz en posant en corset et catsuit Mugler pour la couverture du Vogue britannique. La photo en question, « une des plus belles que j’aie jamais vues », dixit Cadwallader, a valu à la jeune femme presque 17 millions de likes sur son compte Instagram. « Lorsque je suis devenu directeur artistique, j’ai décidé que je ne travaillerais qu’avec des gens sympas, sur des projets spéciaux. »

Ce n’est que récemment que notre homme a rencontré Thierry Mugler en personne. « Il est spécial de travailler pour une maison dont le fondateur est encore en vie. Je peux imaginer que c’était parfois difficile pour lui. Après tout, l’entreprise a toujours été son bébé. J’ai d’abord dû gagner son respect. Il était extrêmement gentil, très encourageant. J’étais aux anges. Aujourd’hui encore, nous nous envoyons régulièrement des SMS. »

Mugler entre au musée

Lors de la semaine de la mode qui se tiendra prochainement à Paris, l’exposition Thierry Mugler Couturissime s’ouvrira au Musée des Arts Décoratifs. Elle offre un aperçu de la carrière du créateur légendaire. Né à Strasbourg en 1948, Mugler fait ses débuts en tant que danseur classique. Au terme de ses études d’architecture d’intérieur, il ouvre sa propre boutique à Paris, Gudule, avant de travailler comme créateur free-lance. Il lance sa marque en 1973 et ne tarde pas à se faire connaître grâce à ses « glamazones ». Son style fait écho au glamour des années 30, à l’Art déco et aux épaules marquées. Sa mode est futuriste et chic, mais aussi bourgeoise, quelque part entre Robocop (femmes robots en cuir, latex et vinyle) et les « femmes fatales » d’Alfred Hitchock. Mugler, contemporain de Claude Montana et de Jean Paul Gaultier, a organisé des défilés hautement spectaculaires: en 1984, 6 000 spectateurs paient pour participer au dixième anniversaire de sa marque.

Un des jalons de la carrière de Mugler est Too Funky, la vidéo qu’il a réalisée pour George Michael en 1992, avec des top-modèles comme Linda Evangelista et Eva Herzigova, mais aussi le mannequin transgenre Connie Girl, le chanteur de cabaret Joey Arias, et même Julie Newmar, la toute première Catwoman dans les années 60. En 1992, il a également lancé Angel, un des parfums les plus mémorables de la fin du XXe siècle. A cette même période, la maison a été reprise par le groupe cosmétique Clarins. Cette entreprise a mis fin à la ligne de couture en 2003, en raison de pertes qui se chiffraient en millions d’euros. Jusqu’en 2013, Mugler a continué de s’occuper des parfums, mais il a cessé de créer des vêtements. Il s’est concentré sur les spectacles de cabaret, le culturisme et la chirurgie plastique, jusqu’à ce qu’en 2019, il crée la robe dans laquelle Kim Kardashian a fait son entrée au fameux gala du Met.

L’exposition a eu lieu précédemment à Montréal et à Rotterdam. « Nous irons tous les deux au vernissage à Paris, s’enthousiasme Casey Cadwallader. J’ai hâte de voir le résultat de la fusion entre sa communauté et la mienne. »

Thierry Mugler, Couturissime, Musée des Arts Décoratifs à Paris, madparis.fr Du 30 septembre au 24 avril 2022.

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