Ce qu’il faut savoir sur Jean-Charles de Castelbajac, ce créateur multirécidiviste

"J'aime beaucoup cette photo et cette idée du jaillissement de l'arc-en-ciel qui sort de l'obscurité. Ma mère me répétait que la lumière venait après les ténèbres." © paul rousteau / sdp

En funambule de la couleur, il pose des arcs-en-ciel partout là où il croise des murs, des soutanes de pape, des pulls united colors et des maillots Vilebrequin.

Il a d’abord suspendu le temps, il lui fallait impérativement se saisir d’un stylo pour « laisser courir » sa main tandis qu’il s’apprêtait à répondre aux questions, parler de sa collection pour le label tropézien Vilebrequin et un peu de son actualité, son premier défilé à Milan pour United Colors of Benetton – le créateur multirécidiviste y officie désormais comme directeur artistique. On sait de lui qu’il a toujours quelques craies au fond de sa poche, dont il se sert avec fulgurance pour « s’attaquer aux murs » qu’il croise sur son chemin. Et qu’il totalise plus de cinq décennies de mode à son compteur, la faute à sa permanente curiosité. Arrêt sur images.

Superwoman on the beach

« J’ai toujours aimé détourner les codes du vestiaire Homme pour les donner aux femmes: dès les années 70, j’ai ajouté des poches dans mes jupes et j’ai été l’un des premiers à mettre le camouflage sur des vêtements sophistiqués, ces détournements me sont familiers. Je me suis dit qu’un nom comme Vilebrequin, qui sonnait très masculin, très mécanique, pouvait devenir « sharp », j’ai donc occulté la première partie pour l’appeler Requin et la collection est venue très naturellement. Ma culture du beachwear est cristallisée autour d’une vision de superwomans – mes débuts, c’était pour les Charlie’s Angels, j’ai été marqué par Ursula Andress dans James Bond. J’ai regardé le marché, ai vu beaucoup d’imprimés ethniques, carioca, exotiques ou alors très minimalistes. Je trouvais intéressant de développer quelque chose de fun, de pop et de powerful. De là mon idée de nouveau maillot de bain une pièce d’où jaillit un arc-en-ciel sur un sein, à la manière des Amazones; celle du double Bikini trompe-l’oeil et celle des dents de la mer, avec des Zips sur les côtés qui s’ouvrent. A chaque fois, sans jamais laisser succomber la fonction à l’ornemental. »

Ce qu'il faut savoir sur Jean-Charles de Castelbajac, ce créateur multirécidiviste
© Jean Picon

Le destin d’un dessin

« D’abord, je lance la recherche des matières, ensuite une gamme de couleurs fondamentales très précise et sans appel, puisqu’elle fait partie de la narration, et puis je me mets à dessiner, toujours en pensant à l’ensemble. Je crée des familles, je crois que l’acte de création était totalement utopique quand j’ai commencé, aujourd’hui, le grand challenge, c’est la transformation: « Comment arriver à donner à la personne qui découvre le produit une émotion, une expérience, un dialogue avec moi au-delà des mots, chromatique et rythmique? » Je réfléchis toujours à l’aboutissement, à l’image que cela donnera sur Instagram et également à la scénographie, aux photos – celles-ci sont signées par le très talentueux Paul Rousteau. Dessiner un produit, c’est aussi être le curateur de son destin. Et si je ne fais pas cela, à un certain moment, je vais devoir lâcher prise et cela sera repris en main par d’autres, qui ne construiront pas l’histoire comme je l’avais envisagée. »

L’esprit collab’

« De tout temps, j’ai aimé les collaborations. Au début, j’avais même envisagé de chanter dans un groupe de rock, je n’aurais jamais chanté seul… Puis, quand j’ai touché à la mode, j’ai été d’emblée fasciné par le processus industriel, j’ai toujours trouvé romanesque d’associer les marques à mon nom – ce qui était choquant dans les années 70, quand je co-brandais Castelbajac et Weston, ou Ko & Co ou Iceberg et que je créais mes pulls cartoon; c’était une manière de dire: « Ce produit est légitimé par le savoir-faire de cette entreprise et l’acte de création de cet homme. » Ensuite, j’ai continué avec les artistes et les photographes et aujourd’hui avec Oliviero Toscani, que je retrouve chez Benetton. »

Ce qu'il faut savoir sur Jean-Charles de Castelbajac, ce créateur multirécidiviste
© SDP

Le triomphe de l’arc-en-ciel

« J’ai le sentiment parfois d’avoir participé à l’écriture de cette époque, quand je regarde l’art et la mode, les collaborations, l’avènement du sportswear et du streetwear. Et j’ai l’impression d’être enfin à la maison quand je vois le triomphe de l’arc-en-ciel. Et de n’avoir jamais été aussi créatif, avec en plus la liberté et la connaissance. Ce qui me passionne aujourd’hui, c’est de pouvoir travailler sur la dimension démocratique de la mode. Quand je dessinais pour Ko & Co à Limoges, en 1970, et que j’étais fier de vendre aux pop stars, c’était une satisfaction très infime. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir mettre mon talent au service de l’univers. Ce processus s’est déclenché bizarrement en 1997 quand j’ai habillé Jean-Paul II et que j’ai vu la réalisation de mon travail – le pape en haute couture, 500 évêques en prêt-à-porter de luxe avec un grand arc-en-ciel, 5.000 prêtres avec des bandes de couleurs et un million de jeunes avec des tee-shirts dans les mêmes teintes. Ça m’est devenu une évidence: je ne devais plus pratiquer la mode comme l’art au sens rare des choses, mais pour servir à la propagation d’une idée, les good vibes – quelque chose qui fait que le vêtement doit avoir un rôle social, de responsabilité, c’est mon challenge. Je pense éthique, écologique. Et j’ai la chance, avec Benetton, d’être le timonier du style d’une maison qui a cette envie. Lors du défilé, j’ai voulu montrer que cette marque a une histoire et cette idée fondamentale conçue par Luciano Benetton: faire de la haute couture pour tous. Si je l’ai appelé « Rainbow machine », c’est parce que c’est un outil à fabriquer des arcs-en-ciel. »

L’effet Peter Pan

« J’ai mis dans cette collection mon univers pop et chromatique. Notamment sur du jersey éponge, des shorts et des sweat-shirts, je trouve que cette matière est liée à l’enfance et à son vestiaire, protecteur et sensuel à la fois. Dans mon travail, il y a toujours un côté Peter Pan. Quand j’étais petit, j’ai dû être un ado, et quand j’étais ado, j’ai dû être un adulte; ce ne fut pas toujours rigolo. Alors aujourd’hui, je vis avec une enfance imaginaire, sublimée, et la poésie de cette enfance-là. »

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