Charles Kaisin: « La période actuelle demande d’être plus entier, engagé et solidaire »

© NICOLAS LOBET
Mathieu Nguyen

Le pétillant créateur belge a accepté de nous livrer quelques réflexions, interrompant pour un moment l’installation parisienne de son projet solidaire Origami for life, qui, depuis le début de la pandémie, l’a amené de l’hôpital Erasme au Palais de Tokyo, avec ses cocottes en papier multicolores.

La période actuelle demande d’être plus entier, engagé et solidaire. On connaît le contexte, très singulier, la nécessité d’en respecter l’aspect sanitaire, et tout cela fait que l’esprit n’est pas forcément à la création. C’est là qu’il faut dépasser les craintes et les peurs pour donner une autre dimension aux choses. Je pense toujours à Paul Eluard, en 1943, qui convainc une troupe d’aviation britannique de disperser sur Paris un poème qui s’appelle Liberté – et qui entrera dans l’histoire de la littérature – alors qu’on est en pleine guerre. Selon lui, vivre sous l’Occupation ne dispensait pas de penser, réfléchir, lire, être critique. C’est ça que j’essaye de faire, à mon humble mesure. On continue, la vie continue, ça m’est indispensable. Je comprends que ce soit horrible pour des secteurs comme la culture ou l’horeca, mais je ne peux pas m’empêcher de penser « Essayons d’aller de l’avant ».

‘J’essaye juste de proposer une petite piste, une petite lumiu0026#xE8;re, et tant mieux si elle finit par u0026#xE9;clairer un maximum.’

Les gens qui ont participé à Origami for life étaient demandeurs, en attente de faire quelque chose. Ça s’est vérifié en Belgique, et maintenant en France, où l’on reçoit des centaines d’origamis par jour. Mais il faut être juste, il n’y a pas de recette. Je ne suis pas un donneur de leçon, j’essaye juste, en tant que designer, de proposer une petite piste, une petite lumière, et tant mieux si elle a de l’écho et finit par éclairer un maximum. C’était une manière de s’adapter et de voir comment on peut faire émerger du positif de cette situation.

Il y a « ce que tu reçois », et puis après, il y a « ce que tu en fais ». Toutes les vies résultent d’un choix de construction – avec plein de critères qu’on ne maîtrise pas, comme la famille, l’éducation, le pays ou la culture, mais chacun peut construire quelque chose. Certains auront plus de facilités, plus de dons, un meilleur entourage que d’autres: moi, j’ai eu des parents aimants, ça donne du courage, de l’énergie, de la force. Après, il y a l’ADN, le côté instinctif, plus personnel, qui te dit constamment: « Alors qu’est-ce qu’on fait? » Cette envie intellectuelle, cérébrale, cette addiction à vouloir créer des choses. Pas une journée ne passe sans que je pense à une nouvelle idée, un nouveau projet – et heureusement d’ailleurs. Ce rapport compulsif à la création, c’est indispensable quand on veut penser à une chose, en affiner l’idée, la comprendre, la digérer, lui donner un autre sens, la métamorphoser. C’est un travail au quotidien pour moi.

On est toujours en devenir. C’est une pensée fondamentale pour moi. Toute ma vie, j’ai eu envie de concrétiser les projets qui me semblaient intéressants, de me dépasser, pas de « faire pour faire ». Je suis un créatif, curieux et enthousiaste, c’était une question de passion. Je n’ai jamais calculé, je n’aurais pas cru qu’à 48 ans, les choses seraient telles qu’elles le sont aujourd’hui. Mais je n’aime pas dire « Je n’aurais jamais cru en arriver là », parce que rien n’est jamais acquis, parce que ça sonne comme si je m’asseyais et que tout était fini, alors que tout est en devenir.

Quand on est mal entourés, rien ne peut fonctionner. Et ça vaut autant pour mes équipes que pour mes interlocuteurs et les différents professionnels avec qui je travaille. Ça change tout si ton interlocuteur est entier et qu’il a du répondant. Ce qui me donne envie de me lancer, ce sont les rencontres. Les gens qui sont passionnés, engagés ; c’est vraiment capital pour moi d’être entouré par des personnes inspirantes. C’est ça qui donne une autre vision aux collaborations, ça permet de dépasser les questions de rentabilité ou d’égocentrisme.

Je suis quelqu’un de très direct – ça fait gagner énormément de temps. Pour trier mes idées, j’ai de très bons amis, qui se comptent sur les doigts d’une main. En général, je parviens à déterminer ce qui vaut la peine ou pas, mais en cas de doute, je peux toujours les appeler pour avoir un avis sincère, engagé, entier. Et s’ils me disent « Non, Charles, là, tu déconnes », je peux l’entendre. Heureusement, ça n’arrive pas trop souvent.

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