Christelle Kocher: « Ce siècle sera celui de la femme »

© PHOTO RENAUD CALLEBAUT

Christelle Kocher (41 ans) a grandi dans la banlieue de Strasbourg, étudié la mode à Londres, est directrice artistique du plumassier Lemarié depuis dix ans, a créé sa marque Koché en 2015, à Paris, remporté le prestigieux prix de l’ANDAM 2019 et vient d’être nommée  » guest designer  » pour Emilio Pucci. Elle a la curiosité positive chevillée au corps.

 » There is a crack in everything. That’s how the light gets in. « 

J’aime cette phrase de Leonard Cohen. Il y a toujours un espoir, même si l’atmosphère est lourde et qu’on a l’impression que tout est catastrophique – les feux en Australie, des manifestations partout, un président américain complètement déraisonnable qui crée une atmosphère anxiogène… Mais je crois en cette jeunesse qui se lève aujourd’hui, en ces femmes qui reprennent leur liberté, en ces ados qui parlent aux puissants et leur demandent :  » Qu’avez-vous fait de ma planète ?  » J’ai envie de rester positive pour 2020 et la décennie qui vient.

Je désire créer des vêtements pour différents types de genres, de formes, de corps, de cultures, sans exclusion.

J’adore les bibliothèques.

Surtout celle du Centre Pompidou où j’ai défilé pour le printemps-été 20, je trouve ce lieu de culture tellement inspirant. Je voulais vraiment utiliser ce symbole du savoir, de la culture et du livre – qui n’est pas un objet, encore moins un objet dépassé. A une époque où tout va tellement vite, où on ne retient plus rien, où on n’a plus le temps de lire, je trouve important de prendre le temps, le temps d’apprendre et d’être curieux.

Quand on grandit en banlieue, on ne se pose pas la question de l’inclusion.

J’étais à l’école avec des enfants qui venaient du Maghreb, de Chine ou du Viêt Nam… Or, cette richesse-là n’a jamais été présente dans la mode. J’ai habité à Londres, pendant mes études à Central Saint Martins, je trouvais son cosmopolitisme incroyable. J’ai beaucoup voyagé, passé du temps à New York et j’ai toujours pensé que ma marque Koché n’est pas française mais qu’elle est inscrite dans le monde et parle à tous ces gens qui se reconnaissent en elle, accueillante, généreuse, jamais clivante. Je désire créer des vêtements pour différents types de genres, de formes, de corps, de cultures, sans exclusion. D’ailleurs, la mode, je l’envisage ainsi : avec de la poésie, un savoir-faire, des valeurs fortes, des messages positifs. Et ce n’est pas intellectualisé, c’est juste très naturel.

J’ai passé mon enfance dans la rue, avec un terrain de basket comme lieu de ralliement et des vêtements de sport comme uniforme. Je n’ai jamais eu de jogging ou de sneakers de marque, l’ultime luxe pour moi était une paire de Nike ou d’Adidas. J’ai fait du handball en compétition, je n’avais pas de culture couture et ma passion pour la mode et l’art est venue de façon laborieuse. Moi qui tricotais, dessinais et faisais plein de choses de mes mains, j’ai voulu explorer cela. J’étais ado et grâce à mes profs de dessin, j’ai découvert les artistes comme Sheila Hicks ou Louise Bourgeois, qui s’emparaient de l’artisanat et des ouvrages de dames avec un discours très féministe.

J’ai toujours admiré Dries Van Noten.

J’ai vécu à Anvers deux ans et travaillé pour lui. C’est un grand créateur mais aussi un chef d’entreprise indépendant. C’était très inspirant de le voir à l’oeuvre, d’entendre son propos aussi personnel et poétique. Il a une vraie vision sur la façon de concevoir et de présenter ses collections tout en étant très consciencieux sur les coûts, la production, ce fut pour moi très instructeur, cela m’a permis de commencer mon projet. Quant à la ville, on y sent l’omniprésence de l’âge d’or de la peinture flamande, de cette culture que l’on comprend en habitant dans ce port chargé de mystère.

Martin Margiela a marqué l’histoire de la mode.

Et il m’a marquée moi, dans mon apprentissage et ma vision, par sa façon d’explorer les vêtements, les finitions, l’héritage de la couture et par ses mannequins atypiques et ses défilés chargés de sens. Je pense être proche de lui, dans l’esprit, sans être dans la révérence non plus. Cela m’a énormément touchée de savoir qu’il était dans le jury de l’ANDAM et j’étais extrêmement fière d’être primée, trente ans après lui. D’autant que j’y ai rencontré Renzo Rosso qui a de l’audace, une vision et toujours défendu la création – il a soutenu Sophia Kokosalaki, Viktor&Rolf, Margiela et Vivienne Westwood et désormais je me retrouve dans cette famille-là.

Il faut aller vers plus d’égalité.

Ma mode est engagée : dans chaque défilé, chaque casting, chaque collection que je dessine et drape, il y a toujours un point de vue fort. Mais je ne me sers pas de la mode comme un slogan. Dans mes choix de vêtements, dans les lieux que j’ai explorés pour les shows, dans ces corps que j’ai défendus et montrés dans toute la pluralité des genres, on a chaque fois réussi à former quelque chose de très harmonieux, car je ne suis pas dans la provocation. J’évoque souvent Simone de Beauvoir, je viens de terminer ses mémoires publiées à la Pléiade. Tout cela a rejailli dans mon travail. Ce siècle sera celui de la femme.

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