Compte rendu des Fashion Weeks de Milan et Paris, où le futur s’est conjugué au passé

Défilé Issey Miyake à la Fashion Week de Paris - Getty Images
Défilé Issey Miyake à la Fashion Week de Paris - Getty Images
Anne-Françoise Moyson

Les semaines de défilés dans les grandes capitales de mode se sont clôturées le 2 octobre dernier. Dans un contexte morose teinté de noir, de guerres, de crise économique et de déclin du luxe, les labels ont tenté de célébrer le futur printemps-été 25 en référençant le passé, par un plongeon dans l’enfance ou les archives maison.

La mode ne vit pas en vase clos, contre toute apparence. Si elle aime l’entre-soi, qu’elle additionne les tics de langage et se complaît de ses codes, elle ne peut faire abstraction de ce qui l’entoure. Soit une planète qui hoquète et un siècle qui inquiète. Alors les créateurs et les créatrices, les maisons de luxe et les labels indépendants font de leur mieux pour proposer un peu de légèreté, un peu de beauté, si ce n’est de sens. Le tout en 12 minutes, en moyenne, c’est le temps d’un défilé. Certains sont mieux lotis que d’autres, avec des moyens financiers hors normes, de sorte que la jeune garde désargentée doit faire des miracles pour parvenir à se montrer et se faire voir dans le brouhaha des images, on leur doit notre respect. Car comment rivaliser avec les ténors du luxe qui peuvent presque tout se permettre en matière de show de la démesure et VIP à la hauteur ? Se concentrer sur une idée voire un concept et/ou sur une collection désirable, tout en tentant de réenchanter le monde ou à tout le moins son propre petit monde.

Plonger dans l’enfance

Car il s’agit bien d’insuffler un peu de douceur dans ce monde de brutes. En chef de file d’une génération formée à La Cambre Mode(s) à Bruxelles, Matthieu Blazy, pour Bottega Veneta s’immerge dans un univers tout proche de l’enfance et de ses émerveillements. Il a rêvé une collection pour répondre à « un désir de beauté, de joie », avec « l’envie de pouvoir continuer à jouer – on a besoin de mode, c’est un acte de liberté ». A Milan, dans un entrepôt parsemé de pouf en cuir qui ont la forme d’un bestiaire heureux, réalisé par l’éditeur de meubles Zanotta, il sublime la douceur en une collection où l’on a vu de l’oversize, de l’asymétrie, des tournesols et un sens de l’artisanat maximal. 

Il n’est pas le seul à préférer le pays des commencements. En guise de “trailer”, Demna, chez Balenciaga, s’est fendu d’une lettre manuscrite, comme un brouillon de confidences intimes qui disait ceci, en anglais: « Mes premiers souvenirs de mode remontent à l’époque où je dessinais des looks sur du carton, les découpais et faisais des « défilés de mode » sur la table de la cuisine de ma grand-mère. 35 ans plus tard, ce défilé me permet de renouer avec le début de ma vision. » Et il précise qu’il rend ainsi hommage à « la mode qui a un point de vue ». Sa garde-robe enfonce le clou, entre lingerie, hoodie tagué « Human being » et grand soir architecturé qui défile sur la table de sa mamie en version à rallonges, Madeleine de Proust. 

Getty Images.

Duran Lantink, 36 ans, Néerlandais, chouchou du moment auréolé de son prix Karl Lagerfeld au LVMH Prize 2024 , prône lui aussi les résurgences enfantines, avec une joie contagieuse. Sa méthode marie allègrement l’upcycling, le collage et les excroissances corporelles qui gonflent les silhouettes d’une manière faussement ingénue. Et quand il nous fait la surprise de clôturer son défilé avec Naomi Campbell plus sculpturale que jamais, on applaudit sa ferveur pré-adolescente qui fait plaisir à voir.

Kevin Germanier lui non plus n’a jamais quitté les rêves qui l’habitaient petit. Il enfile toujours autant les perles, upcycle à tour de bras et bricole des robes dans des guirlandes de Noël, en s’amusant à les faire porter par ses amies drag queens, de la même façon qu’il a enchanté la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Il aime dire que sa marque est « une plateforme pour véhiculer du bonheur ».

GERMANIER / PARIS FASHION WEEEK SS25 / 43 RUE DES ACACIAS 75017 PARIS

Du bonheur pendant 12 minutes, c’est toujours ça de pris à l’ennemi. C’est exactement cela que l’on pense tout haut en s’immergeant dans l’univers délicat, poétique d’Issey Miyake, sous l’impulsion du créateur Satoshi Kondo. Il a baptisé son printemps-été 25 « The Beauty of Paper », rappelant qu’une feuille de papier est confectionnée à la main et que « le toucher procure un sentiment d’enracinement ». Au Pavillon du Parc floral de Paris, sur des sièges faits de papier compressé, devant des vêtements de chanvre qui dégagent une sensation de pureté et de sérénité, on assiste à un moment suspendu où l’artisanat donne tout son sens à la mode.

Puiser dans les archives

Pour faire fi des doutes qui assaillent l’industrie de la mode, le plus sûr in fine est de revisiter les archives. Ainsi le confesse Alessandro Michele, chez Valentino, très attendu pour son premier défilé de la fashion parisienne. On se souvient du petit tremblement de terre qu’il avait provoqué quand il était sorti de l’ombre chez Gucci il y a presque dix ans. Fidèle à son esthétique, il investit une maison que porta haut son fondateur, le très chic Valentino Garavani. Au Pavillon des Folies, au sol de miroir brisé signé de l’artiste Alfredo Pirri, il aligne les chapeaux, voilettes, gants de dentelles, les jupons, les gilets brodés, le velours noir, des silhouettes à mille lieues du minimalisme et du less is more. Toute la panoplie vintage est ici rassemblée, mais portée par des jeunes gens ultra contemporains, qui superposent et contrastent les époques, avec une nonchalance non feinte. Le créateur italien a sauvé de l’oubli les pois chers à Valentino, qui sont devenus son obsession à lui. Il aime le passé, les sédiments de beauté qu’il exhume avec constance et pertinence. « Tout ce qui m’importe aujourd’hui, dit-il, c’est d’être sincère, pour n’avoir aucun regret. »

Même parti-pris de résurgence du passé chez Versace où Donatella répète, lucide : « La mode ne peut rien faire, hormis offrir un moment de légèreté. » Elle plonge donc dans ces bienheureuses années 90 avec couleurs vitaminées et imprimés floraux venus tout droit des archives de la maison. Dolce&Gabbana fait également référence aux nineties, quand le duo habillait Madonna pour ses tournées, et cite à foison leur héroïne assise en front row tandis que leur hommage à la « blonde ambitieuse » prend la forme de ce corset rose pâle à poitrine iconique, la nostalgie a parfois du bon.

Versace – Getty Images

Anthony Vaccarello, pour Saint Laurent, remonte aussi dans le temps. Il reçoit dans ses bureaux parisiens de la rue de Bellechasse et lance sur le catwalk détrempé par la pluie des mannequins sosies de Yves Mathieu-Saint-Laurent, cravatées et lunettées dans des costumes d’homme très amples et très années 80. Le maître, très flaubertien, avait un jour déclaré que la femme Saint Laurent, c’était lui. Anthony Vaccarello l’a pris au mot.

Chez Hermès, on ne fait jamais abstraction d’un passé riche, digne d’encore nourrir le présent. La créatrice Nadège Vanhée en grande forme s’est inspirée d’un dessin précieusement conservé dans les archives du sellier, une esquisse destinée au carré et baptisée Eau d’Artifice, de Gianpaolo Pagni et qui reprend la géométrie des enchapes de maroquinerie. A la Caserne des Célestins de la Garde Républicaine, dans un décor de toiles de canevas vierges, le cuir dévoile la peau et la transparence s’invite sur des silhouettes de résille dans des tons vert bronze d’une élégance folle.

Chez Dior, 1951 et 1971 sont les dates jalons de cette collection à dominante noire, la créatrice Maria Grazia Chiuri estime que la couleur n’est pas de mise et que « les gens veulent de l’intemporel ». Dont acte, dans les jardins du Musée Rodin, devant un parterre very VIP, Brigitte Macron, Jisoo, Rosalia, Aya Nakamura et Natalie Portman, toute « amies » de la maison de l’avenue Montaigne. Dans un décor tendu de bleu, l’artiste performeuse Sagg Napoli décoche des flèches pour questionner « l’hyperféminisation de notre société » tandis qu’un bataillon de mannequins joue les amazones, en maillots, dans des silhouettes sportswear au logo étiré daté de 1971 et en guise d’inspiration première, une robe d’après-midi en lainage noir de l’hiver 1951-1952 qui rappelle par sa construction les robes des amazones qui montaient à cheval comme d’autres postent des selfies.

Dior – Getty Images

Et puisqu’il est question de réseaux sociaux, plus que jamais, à voir la masse de fans hurlant quand débarquent les stars, celle de la K-Pop en tête, Miuccia Prada et Raf Simons se posent la question des algorithmes qui « personnalisent le flux ou uniformisent le contenu ». Avec la volonté que chaque passage exprime « une individualité », comme si chacun.e avait « le pouvoir d’être son propre super-héros ». Le tout, accessoirisé d’archives maison. On recycle, c’est dans l’air du temps, c’est rassurant.

Voilà pourquoi au Grand Palais rénové, entrés par la porte Gabrielle Chanel, les invités de la maison aux deux C, toujours sans directeur/trice artistique officiel.le, découvrent le décor de ce show printanier : une cage à oiseaux monumentale. On se souvient qu’en 1991, une toute fraîche jeune fille baptisée Vanessa Paradis était encagée dorée par Jean-Paul Goude pour interpréter l’esprit de Coco. Une référence et un message sous-jacent, car 33 ans plus tard, la cage est ouverte. De sorte que la petite robe noire, le tweed et le jersey, le sac matelassé et le soulier bicolore, tous ces codes façonnés depuis plus d’un siècle déjà, entendent rendre hommage « aux femmes qui se sont affranchies du regard que la société portait sur elles ». Continuons le combat…

Les Belges, toujours singuliers

Comment faire quand un directeur artistique a pris sa retraite et que la délicate tâche de la succession est endossée par le studio, dans l’attente ? Chez Dries Van Noten, on ne se pose pas la question, on fait. Et fort bien. La jeune équipe, formée aux côtés du créateur anversois, propose une garde-robe qui contient tout le vocubulaire maison, les couleurs qui voisinent et se clashent, les imprimés fauves et floraux, les déshabillés, les broderies, une allure qui a de l’allure. Il en exsude une fraîcheur enthousiaste que Dries Van Noten, en front row, accueille avec le sourire, incapable de dissimuler les larmes qui osent perler.

Dries Van Noten – Getty Images

Comment faire quand on n’a pas l’aisance pécuniaires d’une maison de luxe pour organiser un défilé qui marque les esprits un tant soit peu ? On fait comme Marie Adam-Leenaerdt, on s’invite au Terminus Nord, la brasserie immuable, juste en face de la gare, cela fait sens. Devant un œuf mayo et un pâté en croûte, on découvre de tout près les mannequins, belges pour la plupart, se frayer un passage entre les tables. La jeune créatrice à peine trentenaire s’amuse avec les codes du tee-shirt et construit/déconstruit des basiques de la garde-robe, de la robe au trench, qui tapent dans le mille.

Comment faire quand on défile pour la première fois à Paris et qu’on est Anversoise ? Comme Julie Kegels, on rassemble les amis, on convoque les maîtres – Walter Van Beirendonck ou Pieter Mulier (Alaïa), on investit le petit bassin de la Résidence de la Muette et on plonge dans les vibes californiennes, bien vu.

Comment faire quand on doit revisiter le Space Age au XXIème siècle ? On travaille la coupe, comme Nicolas Di Felice pour Courrèges. Qui s’inspire des cycles et de la forme du ruban de Moebius, « qui n’a ni début ni fin, parce que nous pouvons passer des heures et des vies à essayer de trouver notre propre chemin pour rentrer à la maison ». Et cerise sur le gâteau, on pense une scénographie sublime,  toute blanche, avec en son centre un plateau aimanté qui oscille doucement et sur lequel des milliers de billes de métal roulent en chantant le bruit hypnotique des vagues tout en imposant dans la douceur le silence, le calme, la sérénité.

Ester Manas – Getty Images

Comment faire quand on est les seuls à empouvoirer sincèrement tous les corps et à lutter pied à pied contre la grossophobie de la mode et le plus sizewashing ? On place un éléphant dans la pièce, en référence à l’expression et comme Ester Manas, on répète qu’il n’est plus temps de l’ignorer. Et l’on poursuit son chemin coûte que coûte avec un printemps-été 25 qui a des airs de scandale, les clichés d’Helmut Newton ne sont jamais très loin. Les femmes fatales ont la liberté dans la peau, une sensualité singulière, impertinente, joyeuse, grandeur nature. Le qu’en-dira-t-on, elles s’en moquent éperdument. Pour tout bagage, leurs rires et leur audace. C’est tout le bien que l’on souhaite à la moitié de l’humanité.

Top 5 des tendances repérées aux Fashion Weeks?

Le printemps été 25 sera jaune, comme chez Issey Miyake, Rick Owens, Loewe, Prada, Rabanne, Miu Miu ou Chanel.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Il sera volumineux, à la manière de Duran Lantink, Comme des Garçons, Rick Owens, Loewe, Chloé, Chanel, Courrèges, Yohji Yamamoto et Sacai.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Il sera chocolat, à l’image des silhouettes Hermès et Fendi.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Il sera frangé, façon Diesel, Mugler, CFCL, Ann Demeulemeester ou Sportmax.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Il sera fleuri, en s’inspirant de Chloé, Loewe, Rabanne et Chanel.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content