De coincé à branché, la renaissance tendance du cardigan

Rita Montezuma en cardigan lors de la dernière Fashion Week de Paris - Getty Images
Rita Montezuma en cardigan lors de la dernière Fashion Week de Paris - Getty Images
Katrien Huysentruyt Journaliste

Le vêtement le plus douillet (et sage?) de tous les temps connaît aujourd’hui – à nouveau – un véritable renouveau. Adopté avec autant d’enthousiasme par tous les âges, tous les sexes et tous les styles: avec un cardigan, tout est permis.

Le clou des dernières semaines de la mode a sans aucun doute été le cardigan tricoté de Jacob Elordi, au premier rang chez Bottega Veneta. Pedro Pascal le porte pour sa part tous les deux jours et Katie Holmes, Jennifer Garner, Reese Witherspoon, Dakota Johnson ou encore Kim Kardashian se sont récemment révélées être des adeptes du cardigan.

Jacob Elordi en cardigan au défilé Bottega Veneta.

Cependant, l’origine de cette pièce est loin d’être glamour ou neutre en termes de genre.

C’est en effet James Brudenell, général britannique et comte de Cardigan, qui a introduit la veste militaire en laine dans son régiment. Des histoires abracadabrantes sur la bataille de Balaklava pendant la guerre de Crimée en 1854 (en fait une défaite, mais les nouvelles voyageaient un peu plus lentement à l’époque) ont popularisé à la fois le comte et sa tenue. Lorsque la vérité a éclaté, l’amour pour ce vêtement devenu presque mythique s’est quelque peu refroidi, mais il n’a pas disparu des vestiaires pour autant, sa longueur et son épaisseur en faisant le parfait vêtement (masculin) d’extérieur.

Et c’est à Gabrielle Chanel que l’on doit son transfert au rayon femme. À partir des années 1920, ces dames se détournent en effet des codes vestimentaires restrictifs du siècle précédent. Elles s’inspirent du vestiaire masculin et s’habillent de manière plus fonctionnelle et confortable, prêtes à revendiquer leur place dans le monde moderne. L’esthétique de Chanel va dans ce sens.

On raconte ainsi qu’elle a coupé le devant des pulls en deux pour éviter que sa coiffure ne s’emmêle lorsqu’elle enfilait une petite laine. C’est ainsi qu’est née une version plus décontractée et plus féminine du cardigan aux origines militaires.

Lire aussi: Le noir, cette « non-couleur » qui n’en finit pas de séduire

Le cardigan, uniforme du féminisme

Après la Seconde Guerre mondiale, le gilet pour homme a également montré son côté plus doux. Ces messieurs troquent en effet leurs vêtements de ville pour le gilet le soir et l’article devient lié au monde universitaire, en tant qu’élément d’une tenue de collège BCBG, même si des chercheurs comme Albert Einstein ont pu apprécier son confort pendant qu’ils réfléchissaient. Et c’est aussi dans les universités américaines que le statut de symbole féministe du gilet est renforcé.

Les étudiantes abandonnent en effet le corset et portent des gilets amples, sur les hanches et avec les manches retroussées, comme les collégiens. En s’habillant de manière « négligée » et masculine, elles revendiquent leur corps et leur indépendance. Ce qui entraîne, comme d’habitude, de vives réactions de la part des milieux conservateurs…

Grace Kelly pose en cardigan en 1955.

À l’autre bout du spectre, on trouve les « jumper girls », qui portent des cardigans serrés autour de la poitrine, dans le sillage d’actrices hollywoodiennes comme Lana Turner, Jayne Mansfield ou Jane Russell. Dans les années soixante, les femmes à l’esprit libre reviennent aux cardigans plus amples sur leur minijupe.

Marilyn Monroe elle-même a également troqué le twinset pour une version plus « masculine » lors de sa dernière séance photo en 1962.

Lire aussi: La marque de Mats Rombaut fête ses 10 ans: “Quand Bella Hadid a commencé à porter mes sneakers, j’étais au bord de la banqueroute”

Dans ces années où la mode parisienne est contrainte de faire une cure de jouvence, la presse spécialisée signale soudain sur les podiums le « look studentikoze ».

Dès lors, le rapport à la mode s’installe, le gilet revenant régulièrement. Dans les années 1990, époque qui alimente aujourd’hui la nostalgie, Cameron Diaz, Winona Ryder, Gwyneth Paltrow et les copines de Friends prennent les devants. Le point de bascule de la vague actuelle remonte à 2019, avec une photo de paparazzi de Katie Holmes en soutien-gorge de laine et cardigan assorti de Khaite qui devient virale sur les médias sociaux.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Des marques comme Loewe, Isabel Marant, Sacai, Miu Miu, Altuzarra et Chanel ont déjà une vision d’ensemble : tout le monde portera un cardigan pendant l’hiver 2020.

Alessandro Michele est déjà apparu lui-même dans un cardigan surdimensionné après son défilé Gucci pour l’hiver 2020. Un peu trop prématuré, car la pandémie met soudain en veilleuse le cirque de la mode. Suffisamment longtemps pour que la tendance se transforme en quelque chose de plus grand…

TikTok et le « nouvel homme »

C’est que pendant que le monde était à l’arrêt, il tombait aussi sous le charme des tendances TikTok, de la mode vintage ou durable, et nous avions tous regardé suffisamment Succession pour finir par aimer les cols châles du patriarche Logan Roy. D’ailleurs, le monde nous a semblé bien inhospitalier au cours des cinq dernières années. Les tricots confortables constituent donc un havre de paix, concluront les psychologues. Le cardigan est également très pratique, et c’est un véritable métamorphe qui se plie à n’importe quel « -core ».

Une #FrenchGirl le porte à peine boutonné sur un cropped top ou le laisse glisser sur une épaule nue. Les skaterboys et les filles optent pour des motifs colorés de marques branchées au-dessus de leurs pantalons amples. En tant qu’élément d’un ensemble coordonné, le vêtement évoque un luxe discret, surtout lorsque le cachemire écru est de la partie. Grandpacore s’approvisionne en tricots dans une boutique vintage. Paco Rabanne a également adopté le look opale, Raf et Miuccia ont combiné des modèles pastel surdimensionnés avec des jupes crayon chez Prada. Kylie Jenner a été aperçue dans une Molly Goddard jaune, Blake Lively dans une robe en laine de Guest In Residence – la marque de Gigi Hadid. Chanel chic, Loro Piana luxe, Miu Miu preppy, Celine fluffy ou Chloe boho : tout est permis, le cardigan étant la constante.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Le fait que la mode masculine soit également au rendez-vous s’explique en grande partie par l’évolution du marché et des hommes. Il y a la jeune génération de célébrités – Timothée Chalamet, Harry Styles, Paul Mescal et Jacob Elordi en tête – qui sont devenues des icônes du style.

Leurs adeptes sont des clients potentiels pour les marques qui osent s’écarter du cardigan ringard en expérimentant les textures, les matières, les coupes et les codes de genre.

Ce dernier point nous amène à la redéfinition de la masculinité, dessinée par (les stylistes d’) une génération plus ancienne de modèles en cardigan tels que Jeff Goldblum, Ryan Reynolds, David Beckham, Daniel Craig, Jay-Z, Rob Lowe, Brad Pitt, Pharrell Williams et Pedro Pascal.

En effet, le cardigan tricoté respire la convivialité et la sécurité. Cela contribue à un look doux et inoffensif. Pensez au câlin Robin Williams dans Good Will Hunting, au « Dude » de Jeff Bridges dans The Big Lebowski ou à Joseph Lee dans le rôle du faux softboy George dans la série Netflix Beef. La pièce et son porteur sont tous deux ouverts au changement, sans distinction de sexe.

Lire aussi: Comment le luxe de seconde main est devenu le marqueur de statut ultime

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content