Décryptage: comment les marques utilisent le virtuel pour mieux combler leurs clients

. © LUCIA CALFAPIETRA

Box personnalisées, stylistes en ligne, reconnaissance visuelle de produits, customisation en un clic… Les marques multiplient les initiatives pour se mettre au diapason d’un consommateur de plus en plus friand d’articles et de services pensés à son image.

La jolie petite robe bleue dont elle rêvait et qu’elle avait commandée par assistance vocale, grâce à son casque de shopping virtuel, a été livrée par drone, dans sa résidence de campagne. Elle lance l’application de son styliste personnel pour qu’il lui suggère une paire de chaussures avec lesquelles coordonner sa nouvelle acquisition. Cela tombe bien, l’algorithme lui propose d’opter pour les escarpins à talons qu’elle vient d’imprimer, à dimensions, dans son dressing. Si la journée de cette consommatrice du futur a commencé sous les meilleurs auspices, nous n’en sommes pas encore là actuellement. Mais, à quelques années près, ce scénario ne relève plus de la science-fiction, tant les entreprises se décarcassent désormais pour offrir à leurs clients des expériences d’achat online de plus en plus personnalisées.

On peut recourir à la reconnaissance visuelle pour prédire les tendances du marché, par l’analyse des images sur les réseaux sociaux.

Customisation de baskets chez Nike, Converse et d’autres, essayage virtuel de lunettes par webcam chez Alain Afflelou, ou possibilité de rechercher un produit semblable à celui repéré en photo via l’application pour smartphone de La Redoute… Les fonctionnalités centrées sur les attentes spécifiques de l’internaute ne cessent de se multiplier, sur un marché en pleine croissance. Selon Marc Lolivier, directeur général de la Fédération française de l’e-commerce et de la vente à distance (Fevad), ce traitement individuel des demandes est de nos jours une tendance forte: « Dans ce secteur très concurrentiel, les marques ont compris la nécessité de personnaliser le parcours du client pour se distinguer les unes des autres et favoriser le passage à l’acte d’achat. » Face à elles, on retrouve un public ultraconnecté toujours plus exigeant. C’est du moins ce qu’observe Robert Sangers, le directeur général d’Online Heroes, une entreprise belge accompagnant les griffes dans leur développement sur la Toile: « Nos recherches nous apprennent que 74% des consommateurs seraient satisfaits de vivre une expérience plus personnalisée sur les sites qu’ils visitent et 48% d’entre eux affirment qu’ils dépenseraient plus, si elle était améliorée. »

Boîte à surprises

C’est donc pour répondre à ces attentes exponentielles que Zalando a lancé, en 2015 déjà, son service de shopping personnalisé en ligne Zalon by Zalando, d’abord en Allemagne et en Autriche, puis en Flandre en 2017, et récemment en Wallonie. Sur la base d’un questionnaire, l’utilisateur peut recevoir une tenue, sélectionnée selon ses goûts et besoins vestimentaires, dans une box unique. « Lorsque le shopping en ligne est apparu, le plus important était la disponibilité des produits et le confort d’achat, se souvient Ivo Scherkamp, PDG de Zalon. Aujourd’hui, les clients attendent quelque chose de plus sophistiqué. C’est pourquoi nous misons sur cette expérience, en leur permettant de profiter des services d’un styliste également. » Parmi eux, Lonneke Timmerman, qui choisit les silhouettes, à partir du profil de l’internaute, un personal shopper joignable à tout moment pour donner des conseils ou son avis sur les looks créés pour l’utilisateur: « Même si je me conforme à l’image des clients, j’essaie toutefois de les sortir un peu de leur zone de confort avec des tenues certes qui leur ressemblent, mais avec un petit plus auquel ils n’auraient pas pensé, explique-t-elle. La plupart du temps, ils sont agréablement surpris. »

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« Ce qui est chouette avec ce type de box, c’est qu’on ne sait pas à quoi s’attendre », confie Annabelle, qui confesse avoir plutôt tendance à acheter des produits très classiques. Abonnée au service personnalisé de la créatrice belge de sacs et d’accessoires Clio Goldbrenner, la jeune femme précise: « Avec Clio, je m’ouvre à la découverte, tout en sachant qu’elle collera à mes envies, comme quand elle m’a envoyé, après notre discussion par téléphone, un sac totalement adapté aux cahiers de notes que j’emmène partout avec moi. »

« Caroline Biss, Xandres, Marie Méro, Gigue ou encore Julia June… Les marques de mode belges réfléchissent beaucoup à la personnalisation, tant pour l’online que pour les boutiques, avec lesquelles la complémentarité est privilégiée », note de son côté Wendy Luyckx, porte-parole de la Fédération de la mode belge Creamoda. Ainsi, fin 2016, l’entreprise belge de lingerie Van de Velde a inauguré, chez Lincherie, son réseau de vente au détail aux Pays-Bas, un nouveau concept de boutique, le Styling Center, associé à des achats en ligne. Dans le magasin pilote d’Amsterdam et dorénavant dans quarante autres enseignes, la cliente peut faire mesurer sa taille exacte de soutien-gorge, grâce à un miroir de numérisation 3D, dans la cabine d’essayage. Ce miroir communique avec la tablette du styliste qui, sur place, peut lui fournir des conseils spécifiques. L’acheteuse ayant fait son choix, les articles sont livrés à domicile, comme pour une commande virtuelle. Le styliste va également créer, pour la consommatrice, un espace personnel sur le Web, où elle pourra découvrir les modèles qui lui conviennent exactement, en taille et en style, pour son prochain shopping.

Essayage virtuel

La société Van de Velde a, par ailleurs, fait des expérimentations sur l’utilisation du « chatbot », un agent conversationnel qui dialogue avec l’utilisateur sur la Toile, et travaille actuellement sur un projet de cabines d’essayage virtuelles. Pour ce faire, la firme belge dispose de son propre département de recherche et développement qui collabore avec des partenaires technologiques, une pratique de plus en plus courante dans le secteur. « Les marques et les grands groupes sont à l’affût des innovations, un véritable atout pour leur stratégie digitale, souligne Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode et membre de l’Académie des technologies. On assiste à un renforcement de leur volonté de collaborer avec les start-up et d’explorer les usages de la data ou de l’intelligence artificielle, de même que les autres domaines des technologies de la mode. » Même son de cloche chez BeCommerce, l’Association belge de l’e-commerce, dont la directrice générale, Sofie Geeroms, confirme: « En Belgique, un tiers des e-commerçants a déjà commencé à tester des solutions d’intelligence artificielle. »

Vers moins de gaspillage

L’intelligence artificielle (IA): nous voici au coeur technologique de cette problématique de la personnalisation. Il s’agit d’un ensemble de théories et de techniques algorithmiques de traitement de données brutes (big data), destinées à simuler les fonctions cognitives humaines, comme la mémoire, le raisonnement, la prédiction ou la prise de décision. Elle est utile sur les sites d’e-commerce, dans le sens où elle permet, entre autres, d’identifier les clients, en fonction de leurs caractéristiques et de leur comportement de navigation. Sur la base de leur profil, il devient possible d’adapter l’expérience de shopping, en leur recommandant, par exemple, des vêtements qu’ils pourraient apprécier, cela dans un environnement visuel potentiellement séduisant, leur correspondant au mieux.

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L’IA est, de plus, employée pour sa capacité à reconnaître visuellement des images et des formes, par exemple dans des photographies prises avec un smartphone ou une tablette, pour que le surfeur puisse, en un clic, trouver un article similaire à acquérir. On peut aussi recourir à la reconnaissance visuelle pour prédire les tendances du marché, par l’analyse des images des réseaux sociaux. Quel sera le must-have que tout le monde s’arrachera, dans les prochains mois? La jupe plissée léopard? Le sac banane rose en vinyle? La réponse est sur Facebook, Instagram, chez les influenceurs, selon la société française Heuritech, hébergée dans la Maison des start-up LVMH, un espace parisien dédié à la co-conception de produits et services innovants pour la mode, la maroquinerie, la beauté, etc. Heuritech aide des maisons comme Dior et Louis Vuitton à mieux comprendre leurs clients, la manière dont ils réagissent vis-à-vis des créations de la griffe et, ainsi, à mieux peaufiner leur relation avec eux.

Egalement incubée dans l’espace de LVMH, l’entreprise française Euveka a conçu un mannequin intelligent évolutif, afin de créer des modèles uniques, adaptés à la diversité morphologique. Pour l’instant destiné aux professionnels des industries textiles, ce robot pourrait trouver sa place, à l’avenir, sur les plates-formes de vente en ligne, pour assister l’acheteur potentiel dans sa quête – ô combien difficile – de la taille parfaite. « Ces outils vont permettre de produire mieux, au bon moment, des vêtements qui collent totalement aux envies des consommateurs, en limitant au maximum les déceptions à la réception du colis, les retours, les invendus et le gaspillage textile », s’enthousiasme Tony Pinville, PDG d’Heuritech. « Ce qu’on peut espérer pour le futur, c’est que la personnalisation pousse les marques à évoluer dans leur manière d’imaginer une mode plus durable, plus écoresponsable et plus respectueuse de l’environnement », enchérit Gaël Séguillon, directeur e-commerce du salon des professionnels de la mode Première Vision.

Dans un monde en pleine mutation, où la mode représente la seconde industrie la plus polluante, après celle de la pétrochimie, autant de pistes de réflexion stimulantes pour concrétiser de nouvelles façons de consommer nos vêtements.

La personnalisation, pourquoi?

3 questions à Alexandra Balikdjian, docteur en psychologie de la consommation, spécialiste du comportement du consommateur et de son environnement.

Pourquoi ces services personnalisés en ligne?

La personnalisation n’est pas nouvelle. Elle existe dans les magasins, où le rapport privilégié entretenu entre le client et la vendeuse, par exemple, joue un rôle important dans la fidélisation du consommateur. Le client aime être considéré comme un être unique et singulier. Face à la diversification de l’offre sur Internet, non plus liée à la proximité, mais à la possibilité d’acheter des produits, où l’on veut, dans le monde entier, les marques enrichissent l’expérience client, grâce à ces nouveaux services.

Le consommateur en veut-il toujours plus?

Dans cette immensité de l’offre, le client devient de plus en plus exigeant, par rapport à la satisfaction de ces attentes, de ce qu’il recherche. Il est dans l’immédiateté. Si consommer, c’est exister, quand il a décidé d’exister, c’est tout de suite, là, maintenant.

Comment voyez-vous évoluer cette tendance?

Le développement du big data aidant, on fera au client des suggestions de plus en plus personnalisées, pour une expérience de shopping encore plus simple et fluide.

Mise en garde

Les données à caractère personnel, collectées par les services personnalisés, permettent d’identifier l’utilisateur sur Internet. Elles sont protégées par le Règlement général sur la protection des données (RGPD), un texte européen entré en vigueur le 25 mai 2018. « Soyez vigilants avec vos données personnelles, conseille Julie Frère, porte-parole de Test-Achats, l’association belge de consommateurs. Sachez à qui vous les donnez, ce que cette société va en faire, et que vous avez le droit de changer d’avis par la suite, en demandant de les modifier dans un fichier ou de les supprimer. »

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