Dix ans de FILLES A PAPA: « Notre muse est une fille avec un quotidien qui laisse des traces »

Les soeurs Sarah et Carol Piron. © GOMEZ DEVILABOA

Elle est née à Liège il y a dix ans et s’écrit en majuscules. Avec FILLES A PAPA, les créatrices Carol et Sarah Piron réinventent une mode néo-90’s privilégiant l’humour, la liberté et l’ultraféminin. La mode belge a de l’avenir.

Elles ont tout de la « meuf pointue » – une beauté sauvage, une sororité complice, une bande de copines érigées en égéries, une garde-robe au sexy assumé ancrée dans leur époque, avec réminiscences de l’adolescence. Depuis 2010, Carol et Sarah Piron oeuvrent sous le nom de FILLES A PAPA, ce qu’elles ne sont pas. Si leur mode leur colle à la peau, cela n’interdit aucunement Marion Cotillard, Erin Wasson, Kendall Jenner, Hailey Baldwin, Cindy Bruna, les soeurs Kardashian ou Ursula Corbero de se glisser dedans – qui sait, d’ailleurs, si elles ne le font pas en chantonnant allègrement My heart belongs to daddy. Elles ont installé leur atelier-studio dans un zoning de Herstal rebaptisé Parc industriel des Hauts-Sarts. L’adresse, Première avenue, claque comme si on était à New York, pour peu qu’on ait de l’imagination. Laquelle du reste peut s’emballer dès l’entrée, qui baigne dans une atmosphère cadrée seventies, avec cactées et aloe vera rangés devant la baie vitrée, lambris de bois, fauteuil en cuir défoncé customisé d’autocollants qui siglent le lieu en un FAP devenu leur logo. Tandis que le chat Ninja se vautre sur les échantillons de tissus qui attendent leur aval, elles finalisent leur « collection des 10 ans », pour fêter l’anniversaire de leur marque fondée de manière instinctive. Le temps d’une matinée, mêlant leurs voix, elles se sont posées pour parler d’elles, un peu – elles ont l’élégance de la pudeur -, et beaucoup de FAP et de cette décennie mode pensée, créée, patronnée en Wallonie et made in Europe, mieux qu’un tour de force.

L’une sans l’autre, nous n’aurions pas construit FAP. L’histoire s’est vraiment écrite à deux.

Comment a débuté votre aventure?

On a commencé à deux dans un petit bureau, ici, à Herstal, au milieu des entreprises de gaz et de charbon avec les ouvriers qui passaient dans la pièce à côté, dans un local mis à notre disposition par papa. On a investi ce lieu et tout doucement, on a créé une première collection, puis une deuxième… On est aujourd’hui une dizaine à travailler ensemble, avec différentes responsabilités, dans une équipe sans hiérarchie – tout le monde touche à tout, bien que chacun se challenge par rapport à son domaine et à son talent. Il nous a fallu trouver des gens spécialisés dans la mode à Liège, et aussi plus expérimentés, même si on reste une jeune team, la moyenne d’âge tourne autour de la petite trentaine. On n’a pas d’héritage mode, c’est important de le souligner, notre père bossait dans l’énergie, il est entrepreneur, s’il y a quelque chose qu’on a hérité de lui, c’est ce côté entrepreneurial, qui mêle travail et plaisir. S’amuser dans ce que l’on fait reste notre leitmotiv number one.

Dix ans de FILLES A PAPA:
© SDP

Qu’est-ce qui a nourri vos inspirations mode?

On a surtout fréquenté une scène artistique liégeoise, assez présente et spécifique, mais effectivement pas spécialement mode, et cela nous a pas mal inspirées. Liège est une ville « off tracks », avec des sculpteurs, des graffeurs, des performeurs, et une mentalité particulière, je pense que cela a joué sur notre goût, notre manière de créer, notre humour qui renvoie à une façon de voir l’époque. Notre muse n’est pas une nana super glamour descendue des catwalks mais une fille avec un quotidien qui laisse des traces, à cause des claques que l’on prend, qui nous abîment et dont on sort plus forte, c’est à elle que l’on pense quand on crée une collection. Si, aujourd’hui, le streetwear est partout, FAP est dedans depuis dix ans, mais avec une vraie base féminine, même s’il y a un côté sexy et je-m’en-foutiste complètement assumé, c’est ce qui nous différencie, ce truc de liberté et de message positif à travers nos vêtements et nos campagnes. Nos archives sont révélatrices de notre travail, on y trouve des pièces faites avec des artistes, souvent des amis, et si ce n’est pas le cas, ils le deviennent – on a rencontré pas mal de gens différents au niveau des âges et des genres, de l’intellectuel au biker qui vit sur la péniche d’à côté. Nos influences sont multiples, qu’elles soient inconscientes ou pas… On adore être bousculées.

Notre muse est une fille avec un quotidien qui laisse des traces.

Dès 2013, avec votre collection Tomboy, le succès se profile à l’horizon…

On avait agrandi l’équipe petit à petit et la marque a commencé à cartonner. Pour le printemps-été 13, on avait imprimé un statement fort, Tomboy, en lettres capitales sur nos vêtements, cela a eu un succès fou et nous a propulsées à l’international. On avait eu besoin de quelques années de réglages, on avait tout mis au point step by step, on s’était entourées de bons partenaires, on avait aussi eu le temps de découvrir comment travailler, d’expérimenter et d’apprendre de nos erreurs. Finalement, notre métier, c’est trouver des solutions dans des délais très courts, surtout à un niveau comme le nôtre, avec une petite équipe. Et sans être soutenues par de gros investisseurs – on a reçu des propositions, mais on n’a pas envie de se faire bouffer, de devoir rendre des comptes, d’être sous pression… Certes, on ne fait pas le même chiffre d’affaires que si on avait un investisseur, mais on a la liberté de prendre des décisions par rapport à nous-mêmes et à ce que nous avons envie de construire.

Le Summer of love de FILLES A PAPA, pour l'été 2020.
Le Summer of love de FILLES A PAPA, pour l’été 2020.© SDP

Vous faites preuve d’une belle sororité complice. Quel est votre modus operandi?

On travaille de façon hyperinstinctive, que ce soit pour la création ou pour saisir les opportunités qui s’offrent à nous. On a une espèce de spontanéité, on ose, on est intuitives mais avec prudence, on ne se lance pas à corps perdu, sans réfléchir. Et s’il y a danger, on le sent, cela vient aussi de notre éducation et du fait que l’on soit deux et que l’on se consulte sans cesse, on se complète bien. L’une sans l’autre, nous n’aurions pas construit FAP, l’histoire s’est vraiment écrite à deux.

Votre collection printemps-été 20 s’intitule Summer of love. Comment est-elle née?

C’est parti d’un bouquin qui porte ce titre, Summer of love, on avait juste envie de ça, mais revisité à la FILLES A PAPA, pas du genre « hippie avec franges » mais à travers notre vestiaire streetwear avec ce côté seventies, des influences psychédéliques et toujours nos influences des années 90 qui s’étirent jusqu’au début des années 2000 et qui nous collent à la peau. Nous n’en sommes pas fatiguées, parce qu’on peut les exploiter de façon tellement différente et que cela arrive souvent par petites touches, sous forme d’illustrations un peu cyniques ou de clins d’oeil, notamment à ces héritières américaines, Lindsay Lohan, Paris Hilton et Nicole Richie, de cette époque de l’émission The Simple Life. Pour nous, il n’y a pas vraiment de frontières entre ce qui est beau et laid, on le traite de la même façon. On adore jouer avec le mariage de contraires, amener de multiples informations dans la création de la collection, mêler un univers à un autre, qui n’a rien à voir et qui donne ainsi quelque chose de plus nuancé. Ce sont des juxtapositions d’influences différentes. Et cela fait partie de nous, ce côté « on ne se prend pas la tête », parfois bling, en tout cas voyant. On fait toujours référence à cette muse, incarnée autant par des filles qui nous inspirent, comme Erin Wasson, que par des copines de Liège qui n’ont pas froid aux yeux ni besoin de l’aval de leur mec pour s’affirmer. Elles font partie de nos vies, on part toujours de ce que l’on connaît et de ce qui nous parle.

On ne trouve pas chez nous d’intellectualisme, ce n’est pas notre délire.

Un vestiaire streetwear
Un vestiaire streetwear « mais avec une vraie base féminine, même s’il y a un côté sexy et je-m’en-foutiste ».© SDP

Vous créez en somme votre garde-robe idéale?

Nous sommes des filles et nous portons nos collections. Est-ce pour cela que FAP est ce qu’elle est? C’est difficilement explicable, ce truc intuitif. Avec les années et le recul, on peut reconnaître ce que l’on fait spontanément, en tout cas, ce sexy assumé, cette envie de balancer les codes, d’être transgressives, au niveau de l’image et des collections. Elles ont grandi avec nous: si on a introduit le tailoring il y a quelques saisons, c’est parce que nous sommes désormais trentenaires et qu’un beau costume nous fait envie, même si on adore toujours porter un jeans avec un tee-shirt. Nos personnalités de femmes ont évolué.

Que retenez-vous de ces dix ans?

On a fait vingt-quatre collections, c’est énorme. Tout va tellement vite, le timing de la mode exige que tous les six mois, on doit débouler avec une collection de septante pièces, on a toujours le nez dans le guidon. On a pu cependant prendre un peu de recul et on a fait ce constat: on aime vraiment notre métier. Il y a plein de choses excitantes, d’autres moins faciles, mais en tout cas, il y a une force, qui est là, cela nous maintient depuis le début, on serait déstabilisées si on ne se levait pas le matin pour FILLES A PAPA. Et dans dix ans? On imagine que la barque va continuer à s’agrandir, ouvrir un flagship store serait super… Mais en même temps, on n’a jamais fonctionné autrement que jour après jour, en ne s’interdisant pas de rêver, c’est ainsi que l’on construit. On ne trouve pas chez nous d’intellectualisme, ce n’est pas notre délire. Par contre, il n’y a jamais d’effets faciles, tout est réfléchi afin de mixer les entre-deux et de trouver la bonne nuance. Pour que le design soit fort, il doit toujours y avoir une réflexion derrière.

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