Felipe Oliveira Baptista: Crocodile Dandy

Il vient de présenter à New York son premier défilé pour Lacoste, dont il a repris la direction artistique. Son challenge ? Faire glisser la marque française vers un sportswear plus urbain, plus mode et plus féminin aussi. Rencontre avec un créateur solaire.

Par Katell Pouliquen

L’amateur de femmes puissantes, aux coupes androgynes et radicales, sévit depuis quelques mois en charmeur de crocodile. F.O.B., esthète vantant une mode épurée aux lignes architecturales, se partage désormais entre sa propre griffe et Lacoste, pour qui il a livré, le 10 septembre dernier, son premier défilé très attendu. Trente-cinq passages mixtes (deux tiers femme, un tiers homme, une nouveauté pour lui) dessinant un « message concis, fort » pour le printemps-été 2012. Contrairement à ce qui se passait jusque-là, cette collection catwalk, loin d’être seulement une vitrine de la maison, sera largement commercialisée.

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Successeur de Christophe Lemaire – parti chez Hermès -, Oliveira Baptista, 36 ans et diplômé de la Kingston University de Londres en 1997, hérite d’une marque vivant encore à 80 % des ventes de polos. « Je trouve intéressant de travailler dans un cadre. Je suis un directeur artistique ici, pas un créateur à l’ego boursouflé. Mais j’ai envie de bousculer un peu Lacoste, au sens positif du mot. Pas dans le but de provoquer, mais afin de conquérir des territoires légitimes pour la marque. Et la faire glisser vers un sportswear plus urbain, plus mode aussi. »

Que restera-t-il d’Oliveira Baptista chez le Crocodile ? Gageons le sens de la coupe et celui de la couleur. Le côté « boy meets girl », où les codes masculins sont empruntés par les filles. Et un style graphique doublé d’une sensualité nourrie aux images des grands photographes américains Peter Beard ou de Richard Avedon. « J’imagine un cocktail au bord d’une piscine. Une fille très racée n’ayant pas forcément 20 ans… Une élégance effortless », glisse-t-il. Découverte en cinq actes de sa révolution douce.

Les racines du clan Dans son livre d’intention, présenté chez Lacoste alors qu’il briguait le job, on lit les valeurs que F.O.B. associe à la marque : « Optimisme et joie de vivre, bien-être, sens du corps. » « René Lacoste, star du tennis et fondateur de la marque, est un personnage très inspirant par tout ce qu’il a inventé, notamment la chemise en jersey petit piqué, dont il a coupé les manches en 1927 pour accroître son confort sur le court, inventant le polo. » La famille Lacoste, soudée par un immense sens du clan, a souvent été immortalisée par Jacques-Henri Lartigue, photographe d’une époque indolente et d’une vie de loisirs élégante sur la Riviera. L’hommage de Felipe Oliveira Baptista à cette idée de clan est une réinterprétation aussi futée que stylée du sac de Catherine Lacoste, fille de, et championne de golf ayant remporté l’US Open de golf féminin en 1967. Son sac ventru et imposant devient, sous le crayon du directeur artistique, le très urbain Cathy Bag, en cuir noir verni et liseré doré dessinant des arabesques. Le prix ? 600 euros, quand un sac Lacoste flirtait plutôt avec les 150 euros jusqu’ici. « Un test », souffle le créateur.

La mode féminine, le nouveau défi Car son ambition (son « obsession », avoue-t-il) est clairement affichée : développer une garde-robe complète chez Lacoste, plus mode et plus haut de gamme, avec des matières nobles, des empiècements de cuir, etc. La gamme masculine représentait jusqu’ici 75 % du chiffre d’affaires du Crocodile. Ça va changer… « Enrichir la ligne femme est un immense défi. Je veux donner envie de porter Lacoste tous les jours. » Les prix vont augmenter, en même temps que la griffe va glisser du rayon sportswear vers ce que Oliveira Baptista nomme le « luxe abordable », citant Isabel Marant, Theory ou Alexander Wang. S’il se dit « très attaché au côté démocratique » de cette marque vendant 12 millions de polos par an, il ajoute : « Lacoste n’est pas une griffe de luxe, mais porte une grande tradition de qualité. De même, ce n’est traditionnellement pas une maison de mode, mais je veux asseoir cette identité. » Qui est donc la nouvelle femme Lacoste ? « Une fille racée, chic, typique de cette élégance française très naturelle. Même si, aux États-Unis ou au Japon, les clients ne savent pas forcément que Lacoste est français ! J’aime la liberté de pouvoir jouer avec ça », avoue le créateur portugais, lui-même marié à une Française. Et, au final, c’est Jane Birkin qui est punaisée sur son mur d’inspiration…

Un style urbain qui s’émancipe du sportswear « On est une maison de sportswear et on doit le rester… Mais il y a plusieurs occasions de le porter, pas seulement pour les sports et les loisirs. J’ai envie que le style maison soit plus urbain », explique le directeur artistique, qui pratique lui-même vélo et sports aquatiques. Comme on ne se refait pas, F.O.B., qui joue sans cesse avec les codes androgynes dans sa propre marque, a plutôt puisé dans le patrimoine masculin de Lacoste. « D’où mon envie de retravailler au féminin certaines pièces cultes du vestiaire : le blazer de René Lacoste, un trench, un slim, une vareuse, un chino trop large… J’aime l’idée d’un vêtement fonctionnel mais sensuel, avec une attention très vive portée aux matières (jersey, grosse maille) et aux innovations techniques. » Bien sûr, le polo mythique est un terrain de jeu spectaculaire, « en termes de formes, de détails et de matières ». Il l’envisage « en piqué de soie, plus doux et souple ». D’un polo taille 9 (autant dire XXL) coupé, il fait un caraco court. Il revisite le polo de rugby en robe façon patchwork, dessine des vareuses en cuir pour femme et des robes en jersey de soie aux emmanchures très larges dénudant le bras de façon sexy, l’air de rien. Et une série de combinaisons en tricot évoquent les bains chics des années 20-30.

No logo ? Né en même temps que la marque, en 1933, le logo au crocodile est l’un des dix plus célèbres au monde, avec ceux de Coca-Cola et d’Apple. L’un des plus copiés aussi. Autant dire un mythe. Donc intouchable ? Pas sûr. Parmi les valeurs que le créateur associe à Lacoste, on a relevé « audace » autant qu’ « authenticité ». « Je souhaite m’émanciper de la dictature du logo », avance prudemment le directeur artistique d’une marque comptant plus de 5 millions de fans sur Facebook. « Sur les modèles femme, je vais enlever le croco. Mais on le verra sur les boutons, les Zips, la doublure monogrammée. Je vais privilégier les détails subtils : un logo fondu dans la couleur, ou ton sur ton, en version mini au bas du vêtement. » En attendant, pour l’hiver 2012, une véritable relecture du logo crocodile par Felipe lui-même…

Des couleurs raffinées Né aux Açores et descendant de navigateurs ayant découvert ces îles fantasmagoriques, le créateur a grandi à Lisbonne, sous le soleil brûlant de l’Atlantique. Il lui en reste un goût prononcé pour la couleur, souvent vive. Pour Lacoste, il commence sa gamme par des « bases sourdes et classiques : marine, gris chiné, caramel chaud, kaki tirant vers le sapin », traitées sur un thème de safari urbain. Les bleus, blancs, rouges évoquent l’air marin. Et soudain, « des couleurs plus acides, frôlant le court-circuit tels un bleu Sumatra, un jaune citron, un rouge flamenco » s’entrechoquent sur un magnifique imprimé d’inspiration Art déco. Les prémices du nouveau Crocodile, plus solaire et féminin que jamais.

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