Fashion Week Paris 2024
Avec l'élégance comme seule arme, et l'espoir en guise d'armure, la mode entre en résistance © SDP

« L’élégance est résilience », à Paris et Milan, la mode féminine entre en résistance (et nous charme)

Comme à chaque saison, les Fashion Weeks ont mis la mode sous le feu des projecteurs. Les propositions vues à Milan et à Paris expriment la colère, la fragilité, la volonté d’étendre le champ de la douceur, l’imparable nécessité de protection. Dans la garde-robe, l’hiver 24 sera noir et alluré.

La mode a ceci de magique qu’en un mois de Fashion Weeks condensé, elle convoque toute la palette des émotions. Comme un résumé de ce qui nous attend l’automne-hiver prochain mais reflète cependant les sentiments contradictoires qui nous emportent aujourd’hui.

A commencer par ce «colère» affiché par Rei Kawakubo, la reine mère des créatrices, qui officie pour Comme des Garçons depuis cinquante-cinq ans maintenant. En guise de note d’intention à sa collection de l’hiver prochain, elle confesse : « Je ressens de la colère envers tout ce qui existe dans le monde, et surtout contre moi-même. »

Et sur un Beethoven qui ne laisse pas la place à la demi-teinte, ses mannequins avancent coiffés de perruques que ne renierait pas la reine Marie-Antoinette, dans des robes crinolines, volumineuses, noires, gonflées par la rage. Elles s’arrêtent soudain, comme on dit non, approchent jusqu’à toucher le public assis au premier rang, le fixe d’un air de défiance.

Il arrive cependant que l’on parvienne à atténuer la colère… En une ultime sublime silhouette virginale faite de Latex de bonnets de piscine et de tulle en cascade, Rei Kawakubo nous montre ainsi le chemin – pour la transcender, il nous faut créer de la beauté.

Faire l’Histoire

A Milan, quelques jours auparavant, le duo formé par Miuccia Prada et Raf Simons ne disait pas autre chose, répétant que bien plus qu’une « recherche intellectuelle » sur l’histoire, la mémoire et le passé, leur collection était « une réaction émotionnelle emplie d’idéaux de beauté qui résonnent encore ».

Et dans la foulée, Matthieu Blazy, pour Bottega Veneta, osait mêler l’espoir et l’allure, dans un décor de désert calciné et aride où les cactus parviennent à survivre, presque miraculeusement. « Nous regardons tous les mêmes news, reconnaît le créateur. Il est difficile de se sentir festif. Pourtant, l’idée de renaissance est belle, aussi.  Des fleurs peuvent pousser après que la terre ait été brûlée – elles nous donnent de l’espoir. Ici, l’élégance est résilience. »

Dans un monde en flamme, il s’attache à l’allure. Et en une tentative réussie de faire du quotidien un monument, il ôte « toutes les fioritures ». « Réduire, dit-il, réduire, non pas au minimum mais au maximum. »

Faire la différence

Pour faire entendre sa voix dans une Semaine de la mode chargée – dans le calendrier parisien, on compte 71 shows et 38 présentations -, chacun.e marque sa différence, dans la mesure de ses moyens créatifs et financiers. Ainsi Yohji Yamamoto, 80 ans, plus poète que jamais, chante ses textes et joue de la guitare pour toute bande-son de son défilé qui débute en silence, à peine perturbé par le souffle du public qui le retient et le pas de ses mannequins qui foulent le catwalks lentement.

Dries Van Noten laisse lui les oiseaux chanter suivi de Sade, dans le décor brut de l’ancien C&A du boulevard Haussmann tandis que son impeccable sens du patchwork donne le LA, pour « une femme qui ose couper sa frange » – l’audace personnifiée pour le créateur anversois.

Tandis que pour Nicolas Di Felice chez Courrèges, elle se place ailleurs, du côté de la sensualité proche de l’extase. N’ignorant pas que dans cette maison avant-gardiste, les poches, c’est une longue histoire d’amour, il réinvente celle de ce siècle : une poche devant, sur l’endroit le plus intime du corps, où l’on glisse sa main – vous seule savez ce que vous faites de vos doigts ainsi tenus secret.

Portrait d’humanité

Enfin, pour Balenciaga, Demna collecte les objets kitsch sur eBay en guise d’invitation singulière, habille le sol, les murs, le plafond d’écrans pour un public en immersion. Une succession ultrarapide d’images de nature enchanteresse où défilent les saisons, puis des vues de Paris et Tokyo, puis des milliers de selfies issus des réseaux sociaux, et puis plus rien, à part un pointillisme vibrant qui invite au débranchement.

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« Je me suis posé la question du style, selon la définition de Coco Chanel, et quel était le mien », confie cet enfant de son temps qui mixe sportswear et red carpet. Voilà pourquoi il revendique un espace pour la créativité, « qui mêle l’imperfection à la perfection, ce qui nous différencie des machines. Et fait de nous des êtres humains ».

Welcome or Not Welcome ?

Dans une volonté de démocratiser la mode, Glenn Martens chez Diesel ouvre son show et permet à tout qui veut d’y assister via Zoom, avec caméra braquées h24 sur le studio, la salle de casting, la coiffure et le maquillage. Un millier de « zoomers » se sont donc installés au premier rang par la grâce de la technologie, avec leur visage affiché sur l’écran tapissant le lieu du défilé en un effet de miroir grossissant – qui regarde qui in fine ?

A l’extrême opposée, les deux sœurs Olsen pour The Row préfèrent inviter leurs rares hôtes à ne pas dégainer leur téléphone, on ne verra rien de ce défilé sur les réseaux. Petite tempête dans un verre d’eau. Car qui se souvient du temps où les journalistes prenaient des notes au vol dans leur petit carnet ? Et où le public applaudissait des deux mains lors de la finale qui se déroule désormais dans un silence confondant trop occupé que l’on est à filmer le moment par stupide réflexe grégaire ?

Happy Birthday Nicolas Ghesquière @Vuitton

Il y a dix ans, jour pour jour, dans la cour Carrée du Louvre, Nicolas Ghesquière présentait sa première collection pour Louis Vuitton. Ce 5 mars 2024, il y défilait à nouveau. Et devant 4.000 invités, dont Emma Stone, Cate Blanchett plus l’ensemble du personnel de la maison basé à Paris. Sa collection flash-back revient sur tous les points forts de la décennie, depuis les robes de soir asymétriques et frangées des débuts aux vestes brodées de fils métalliques de 2018. La nostalgie n’était pourtant pas au rendez-vous, le créateur a définitivement le regard tourné vers l’avenir.

Par les femmes…

Elles se comptent sur les doigts des deux mains, les créatrices qui imaginent une mode pour les femmes. En presque jeune première, la Belge Marie Adam Leenaerdt entame sa troisième saison en parfaite adéquation avec ses revendications : du conceptuel et de vrais vêtements – soit la jupe interprétée sous toutes ses formes en un exercice brillamment réussi.

Pour Hermès, Nadège Vanhée a jeté tout ce qui l’encombrait, désormais avide et légère et féminine, elle ancre sa saison dans les références équestres mâtinées de bikeuses « un peu rebelles ». L’idée est de « se mettre en selle, sur un cheval, une moto, dans la vie ». Allons-y donc parée de boots cowboy et d’une combinaison de pilote jaune avoine, tout de cuir vêtue.

Maria Grazia Chiuri chez Dior tient depuis ses débuts un langage féministe, appuyé par des installations d’artistes qui plussoient son discours, telle cette dizaine de sculptures en rotin signées Shakuntala Kulkarni, titrées Of Bodies, Amour and Cages. Très rationnellement, elle propose une garde-robe inspirée des archives de 1967 – un « slim look pour une nouvelle génération qui avait un rapport au corps plus libre que leurs aînées ».

… Et pour (toutes) les femmes

Des corps des femmes, il a toujours été question chez Ester Manas, qui œuvre en duo avec Balthazar Delepierre. Leurs idéaux fondateurs faits d’inclusivité et de générosité se condensent en une collection très élégante, mature et désirable – « Elle est le témoignage de ce que nous brûlons de partager avec vous, disent-ils en chœur. Elle est dense, volantée, rassurante, enveloppante, protectrice, joyeuse et fierce ». Et elle vaut tous les câlins du monde.

Chez Ester Manas, le vêtement se porte comme câlin, et sur tous les corps !

Chez Marine Serre, tout fait sens. Le lieu du défilé, Ground control, un ancien hangar de trains devenu un endroit comme seul ce siècle qui se crashe en invente, un tiers-lieu hybride, un conglomérat heureux de jeunes gens qui pensent le monde autrement ; des mannequins de tous horizons, sosie de Kate Moss, amies de la maison, famille de cœur, top models phares des années 80 ; la lune comme emblème rassembleur et un vestiaire pour le quotidien, bref, sont issus joyeusement et courageusement réunis tous les fondamentaux de cette marque qui entend changer le système de l’intérieur.

Et il est grand temps… A voir le petit garçon de Chemena Kemali se précipiter dans ses bras à la fin de son premier défilé Chloé, on se dit que dans ce milieu où l’on ne parle guère « enfant » et « parentalité » quelque chose de bon pourrait peut-être enfin advenir.

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