Frivoles, polluantes, festives et politiques: pourquoi les paillettes méritent une exposition

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David Bowie en Ziggy Stardust, en 1973. Première image : Glitterboy, une photo prise en 2017 par le photographe new-yorkais Quil Lemons. © GF

Après des siècles de scintillement, elles ont été interdites en 2023 en raison des microplastiques qui entrent dans leur composition. Aujourd’hui, pour la première fois, les paillettes font l’objet d’une exposition, mettant en avant leur aspect glamour mais aussi la controverse qu’elles soulèvent.

Quiconque a déjà utilisé des paillettes en est conscient: il est quasiment impossible de s’en débarrasser. Des mois, voire des années plus tard, on en retrouve encore aux quatre coins de la maison. Fin 2023, l’Union européenne en a interdit la vente en vrac dans le cadre de l’interdiction des microplastiques. Mais leur pouvoir indestructible est aussi leur force, selon Nina Lucia Groß et Julia Meer, curatrices de l’exposition Glitter! qui ouvre ses portes fin février à Hambourg, au Museum für Kunst und Gewerbe. «Les paillettes sont jolies, mais aussi rebelles et indomptables. Elles collent à tout et se répandent de manière incontrôlée. C’est un moyen de protestation idéal. Je pense notamment à ces bombes à paillettes que les activistes lancent sur les figures politiques, souvent pour défendre les droits des personnes LGBTQ+.»

Complexité pailletée

C’est la toute première installation consacrée à cette thématique, et c’est plutôt étonnant pour un matériau aussi omniprésent dans notre société. «Les paillettes font l’objet de nombreux préjugés dans les secteurs de l’art et du design. On les considère comme superficielles et légères et à mille lieues de l’art disons sérieux. Les artistes qui les utilisent doivent souvent justifier leur choix ou sont regardés d’un mauvais œil. Même les quelques historiens de l’art qui ont mené des recherches sur le sujet se concentrent davantage sur la question de savoir pourquoi les paillettes sont un sujet intéressant plutôt que sur le produit en tant que tel, explique Julia Meer, curatrice. Pour nous, en tant que musée, une exposition sur ce thème est presque un paradoxe. La conservation est l’une de nos tâches essentielles, mais il est presque impossible de conserver intacte une œuvre d’art contenant des paillettes. Après l’installation, on retrouvera probablement des résidus un peu partout.»

Les paillettes ont quelque chose de mélancolique, comme lorsque l’on en retrouve le lendemain d’une soirée.

La mission de Glitter! est claire: rendre aux paillettes la place qu’elles méritent, et les sortir de leur marginalité, le tout de manière accessible. «Il s’agit d’une expérience immersive et sensorielle. Un spectacle visuel qui ne nécessite pas forcément beaucoup de textes et d’explications. Bien qu’il y en ait pour ceux qui s’y intéressent, comme une chronologie très complète de l’histoire des paillettes, expliquent les curatrices. Nous présentons beaucoup de photographies et de vidéos, mais aussi des perruques, des vêtements, des produits de beauté et du nail art. Nous avons notamment aménagé une pièce comme une chambre d’ado, en suivant le modèle des musées traditionnels, avec des salles à thème. C’est dans cette pièce que la concentration en paillettes est la plus élevée. Bref, de quoi montrer à quel point les paillettes sont polyvalentes et complexes.»

L’exposition est également un petit peu belge. A partir du 5 juin, elle sera en effet prolongée par une installation du duo turco-belge :mentalKLINIK. On pourra y voir vingt robots aspirateurs circulant dans une salle de 300 m2 remplie de paillettes fuchsia. Après avoir été aspirées, celles-ci seront recrachées, créant ainsi un tableau en constante évolution. 

Puff out, une installation du duo turco-belge: mentalKLINIK.

La cerise sur le gâteau

Les paillettes sont connotées. De l’agressivité à l’inertie, en passant par l’amusement, la fête et l’optimisme, elles ne laissent personne indifférent. Elles ont aussi quelque chose de mélancolique, comme lorsque l’on retrouve des paillettes le lendemain d’une soirée. Il est impossible de les éviter, même si on le voulait. L’être humain primitif qui sommeille en nous est attiré par tout ce qui brille. Un réflexe plutôt utile lorsque nos ancêtres cherchaient de l’eau fraîche, par exemple.

Teeth, une photo signée Hannah Altman en 2015, pour sa série And Everything Nice.

«Les paillettes semblent être un concept simple, mais elles sont pleines de dualité, avance Nina Lucia Groß, curatrice de l’exposition. C’est ce qui les rend si attrayantes. Elles sont insaisissables. Chaque regard posé sur elles est différent. Elles restent insondables et mystérieuses, et se situent par ailleurs à la frontière du matériel et de l’immatériel. Elles sont extrêmement visibles, mais en même temps si petites qu’on peut à peine les saisir. Ce qui est également unique, c’est que les paillettes ne sont jamais seules, comme le bois ou le verre. Elles décorent quelque chose — la peau, les vêtements, les ongles, les objets — qui pourrait également exister sans elles. Elles sont la cerise sur le gâteau, rendent les choses plus belles, plus excitantes ou plus drôles.»

Une arme pour les minorités

Omniprésentes et disponibles partout, elles sont pourtant utilisées par les sous-cultures et les minorités pour se démarquer du courant dominant. C’est notamment le cas de la communauté queer. «En raison de leur brillance, les paillettes sont pour ainsi dire non binaires, explique Nina Lucia Groß. Et le pouvoir visuel des paillettes nous rend ultravisible, tout en offrant un masque derrière lequel se cacher. Avec elles, on se construit une identité, une utopie. Nous constatons même des différences au sein de la communauté LGBTQ+. Les lesbiennes utilisent moins de paillettes que les gays, les trans et les drags.» Le lien entre queer et paillettes est également abordé dans le livre Glitter Up the Dark: How Pop Music Broke the Binary. Sasha Geffen y examine la notion de queerness et la non-conformité au genre au cours des 100 dernières années de la musique pop. Et mentionne David Bowie, qui s’approprie des éléments existants de l’esthétique queer et les montre sur scène au grand public. Son personnage androgyne Ziggy Stardust, par exemple, ne rechignait pas à se parer de paillettes.

La sociologue américaine Nicole Seymore traite également le sujet dans son dernier livre Glitter. Elle y décrit l’évolution de la composition et du statut de ces dernières, qui sont passées des insectes, du verre, des pierres, du sel, du sucre et du plastique à la cellulose. On en retrouve dans les produits de cosmétique antiques, elles sont parfois politiques, et polluaient fortement l’environnement avant l’apparition d’une alternative biodégradable.

©Marea Verde

L’autrice établit un lien remarquable entre les paillettes en tant que microplastiques, d’une part, et l’homophobie, d’autre part. Dans les cercles conservateurs, les couples homosexuels sont présentés comme quelque chose d’artificiel, de contre-nature, par opposition aux couples hétéro-normatifs naturels. C’est dans ce cadre que la sociologue critique l’interdiction des paillettes dans l’Union européenne. Les dommages limités (seulement 0,01% de tous les microplastiques sont des paillettes) sont disproportionnés par rapport à l’impact important sur les communautés queer qui les utilisent comme un symbole révolutionnaire.

D’or ou de coléoptères

Les paillettes semblent si modernes qu’on pourrait croire qu’il s’agit d’une invention du XXe siècle. Or, elles sont vieilles comme le monde. Il y a 50.000 ans, les Néandertaliens mélangeaient des pigments à des minéraux brillants pour se maquiller. Nos ancêtres utilisaient du mica comme touche pailletée dans leurs peintures rupestres. Dix mille ans avant Jésus-Christ, en Indonésie, on cousait des morceaux de coquille de nautile sur les vêtements, pour apporter de la brillance. Dans l’Egypte ancienne, on faisait de même avec des morceaux d’or. Cléopâtre se maquillait à l’aide de paillettes fabriquées à partir d’ailes de coléoptères écrasées. Le mot «paillettes» remonte au début du Moyen Age. Enfin, à la fin du XIXe siècle, un fabricant de verre allemand a commencé à produire des paillettes à partir de poussière de verre, qui servaient ensuite aux décorations de Noël.

‘Après l’expo, il y aura probablement des paillettes un peu partout dans nos bâtiments, et ce pour toujours.’                        Julia Meer, curatrice de l’exposition

Les paillettes telles que nous les connaissons aujourd’hui ont été inventées par accident en 1934 aux Etats-Unis par Henry Frank Ruschmann, lorsque sa machine à découper les photos s’est déréglée et que le sol s’est rempli de copeaux de cellulose brillants. L’homme a rapidement compris le potentiel du produit et l’a développé en y ajoutant, entre autres, des feuilles d’aluminium polies. Les paillettes modernes étaient nées. Grâce à la production industrielle, elles sont devenues bon marché et accessibles à tous. «Les paillettes ont toujours été un substitut à un matériau plus cher. Ceux qui ne pouvaient s’offrir de l’or ou des diamants pouvaient briller grâce à des pierres précieuses broyées, des minéraux, du verre ou du plastique», explique Julia Meer.

Beyoncé lors de sa tournée Renaissance World Tour en 2023. ©Getty

Briller sur scène

Aujourd’hui encore, la mode et la beauté sont de fidèles consommatrices de paillettes. Sequins et tissus métallisés font partie intégrante de notre garde-robe et ont cessé depuis longtemps d’être réservés aux soirées. Il en va de même en cosmétique. Bien plus que la vision traditionnelle du maquillage où l’on accentue ses yeux avec du mascara ou l’on camoufle ses taches rouges avec du fond de teint, le make-up brillant sert ici à l’expression de soi, le visage étant une toile vierge sur laquelle s’exprimer. Dans la série à succès Euphoria, le maquillage pailleté fait véritablement partie du scénario, et son impact sur la tendance glitter est à souligner. Les grandes maisons de mode surfent quant à elles sur le phénomène, à l’image de MiuMiu et son crayon à lèvres scintillant aperçu lors de son dernier défilé.

La tournée The Eras Tour de Taylor Swift a fait augmenter les ventes de bottes métallisées.

S’il est un domaine où les vêtements et le maquillage pailletés sont les plus présents, c’est dans le milieu musical. On pense au disco et au glam rock des années 70 et 80 avec David Bowie, déjà mentionné plus haut, mais aussi Gary Glitter, Freddie Mercury et Elton John. «Les paillettes se sont toujours affichées sur scène. Dans les Années Folles, il y avait les robes à sequins, inspirées par le tombeau de Toutânkhamon découvert en 1922. Mais aujourd’hui encore, les paillettes restent omniprésentes dans la culture pop. On pense aux Renaissance Tour de Beyoncé et The Eras Tour de Taylor Swift notamment», explique Julia Meer. Selon CNN, les ventes de bottes métallisées et de robes à paillettes ont connu une hausse significative après la tournée, les «Swifties» voulant s’habiller comme leur idole.

Une image de la série Euphoria

Alternative écolo

Alors, quel avenir pour les paillettes? Le monde a bien changé depuis leur invention en 1934. Après nonante ans, la législation européenne met-elle fin à la fête en les interdisant? «Certainement pas, affirme Nina Lucia Groß. Il existe aujourd’hui de très bonnes paillettes écologiques sans plastique et biodégradables, que nous utilisons également pour la scénographie de l’exposition. La variante écologique est particulièrement intéressante pour les cosmétiques, car elle est douce et respirante. Certaines paillettes ne brillent pas encore comme leurs homologues en plastique, mais l’évolution est rapide et il existe déjà de très bonnes alternatives. Les paillettes ne disparaîtront jamais.» Dans tous les sens du terme.

Glitter!, du 28 février au 26 octobre, mkg-hamburg.de

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