Gaspard Yurkievich: onde sensuelle

Gaspard Yurkievich revisite la silhouette masculine à la faveur d’un vocabulaire sexy et doucement underground. En dix ans, ce créateur indépendant est devenu un des piliers de l’avant-garde parisienne.

Gaspard Yurkievich revisite la silhouette masculine à la faveur d’un vocabulaire sexy et doucement underground. En dix ans, ce créateur indépendant est devenu un des piliers de l’avant-garde parisienne.

En 1997, il remportait le grand prix du Festival international de la mode à Hyères. Un tremplin, comme on dit. De fait : Gaspard Yurkievich s’est fait un joli nom. On le souligne car ce n’est pas systématiquement une sinécure. Même Hyères en poche. D’autant plus quand on joue la carte de l’indépendance sur la scène de la mode française, dominée par les grands groupes du luxe. Et devant faire face au lourd héritage des maisons de couture historiques. « Ça a été très dur pour les générations post-Saint Laurent confie-t-il, relax, jeans, simple pull en V, dans ses bureaux du Marais, à Paris. Maintenant, ma génération commence à jouer avec les anciens codes, tout en les respectant. Avec beaucoup de liberté. » Une émancipation créative : depuis dix ans pour la Femme, cinq pour l’Homme (qu’il crée en étroite collaboration avec Guido, son compagnon), le styliste parisien est fidèle au rendez-vous à chaque saison. Une nouvelle collection de prêt-à-porter sous le bras. Qu’il persiste à dessiner de manière totalement indépendante, comme un grand, sans aucune pression extérieure. Son luxe, son défi, sa marque de fabrique.

Pour pénétrer son univers stylistique, touffu, hyper-référencé, il suffit de commencer par le début. Les origines, donc. Il y a 36 ans. A Paris, déjà. Où il vient au monde le sang parcouru de multiples cultures, gorgé d’histoires. Celle de ses grands-parents paternels surtout, juifs polonais émigrés en Argentine. Puis, celle de son père, poète, expert en littérature latino-américaine, né là-bas puis émigré en France dans les années 1960. Important, le père : « Il m’a rapidement conscientisé sur ce qu’avait été la Shoah. Il y avait pas mal de livres sur le sujet à la maison. Mais à côté de cela il était aussi un très grand fan des comédies hollywoodiennes ». L’horreur d’une part, Mae West et Louise Brooks de l’autre. Deux souvenirs d’enfance, deux extrêmes qui, dit-il, « expliquent bien mon style, son côté sucré-salé ». L’or et le noir. Le glam et le grave. Désir et mémoire.

Prenons sa collection masculine pour le printemps-été 2009: on y fait la connaissance d’un homme sensuel, assumant sa part de féminité sans renier son identité XY. Des garçons sexy, disons. La ligne s’inspire à la fois de l’Art déco, par – gimmick de la griffe – son aspect graphique et décoratif. De la société gréco-romaine, aussi, avec des références aux drapés des toges dans les tee-shirts et des chaînes métalliques soulignant le haut du front, » réminiscences du diadème antique ». Désir et mémoire, donc. Une esthétique portée, comme dans tous les shows du créateur, par la voix sexy de la chanteuse Dani Siciliano accompagnée pour l’occasion d’un choeur, clin d’oeil aux tragédies grecques.

Chez Yurkievich, la scénographie des défilés est en effet aussi importante que les pièces présentées. Ses collaborations avec des artistes de tout bord sont récurrentes (l’architecte Didier Faustino, l’artiste conceptuel Edouard Levé, le groupe folk Coco Rosie, qu’il s’apprête à habiller pour un concert au Centre Pompidou en avril prochain). Il est de cette frange de stylistes qui conçoivent leur présentation comme un récit, une histoire à partager. Un happening. Selon lui, la fashion week est un « laboratoire ». Il établit une césure entre « la mode » et « les vêtements ». Au client de faire la différence, de se réapproprier ses pièces.

Ce serait par contre faire fausse route que de penser Gaspard Yurkievich enfermé dans sa tour d’ivoire. Dans un contexte de crise, la ligne bis de chemises pour hommes et de chaussures pour femmes plus abordables qu’il lancera en Europe au mois de juin prochain en est une preuve. Sa récente nomination à la direction artistique de Rodier, marque plus accessible, en est une autre.

Baudouin Galler

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