Gilets jaunes, pussyhats roses… Zoom sur les « tenues de combats »

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Katrien Huysentruyt Journaliste

Malgré la crise sanitaire, les derniers mois ont été marqués par des mouvements de protestation, du Black Lives Matter aux débordements pro-Trump. Souvent, un même dress code est apparu dans la foule. Chaque lutte a ses références vestimentaires, qui participent aussi à la puissance du message.

La mode est un reflet de la personnalité: chacun de nous, en s’habillant, dévoile son identité au monde et proclame un certain message. Jadis, les codes vestimentaires étaient figés au point de mettre les gens dans des cases. Aujourd’hui, nous sommes bien plus libres: nous pouvons choisir d’appartenir à tel ou tel groupe selon notre style. Mais l’homme, animal social par excellence, reste en quête d’une identité commune. Et le vêtement crée du lien, qu’il s’agisse d’un it bag griffé Gucci ou d’un tee-shirt appelant à préserver la forêt amazonienne.

Dans le secteur militaire, l’uniforme indique aussi à quel camp les soldats appartiennent. Il gomme également les inégalités: quel que soit le milieu social, le combat se fait dans un même élan. Mais arborer une telle tenue est aussi considéré comme un privilège, celui d’être adoubé, accepté comme représentant d’un collectif. Un groupe vêtu de manière identique fera toujours plus forte impression. Et tous ces principes valent également pour le dress code des manifestants en tout genre.

Pour garder leur attractivité, les marques doivent jouer honnêtement la carte des valeurs.

La couleur en étendard

Ainsi, la Marche des Femmes de 2017, consécutive à l’investiture de Donald Trump, s’est gravée dans nos souvenirs grâce aux bonnets roses à oreilles de chat, les pussyhats. Plus récemment, une marée de gilets jaune fluo, en Belgique et en France, s’est imprimée sur notre rétine. Rien de tel que la couleur pour uniformiser une foule qui pense pareil. Le mouvement britannique Extinction Rebellion a même demandé à un studio de design londonien de lui créer un outfit reconnaissable entre tous. En plus des logos et d’une typo spécifique, leur tenue comporte une dizaine de tons qui peuvent être utilisés par les partisans du monde entier, et qui les rassemblent. Ces teintes sont couplées à une série de messages, par exemple le vert pour la non-violence, le bleu pour l’action, le rose pour la vérité.

Une mer de pussyhats rose pour la Marche des Femmes, en 2017.
Une mer de pussyhats rose pour la Marche des Femmes, en 2017.© GETTY IMAGES

Dans un même ordre d’idées, les capuches rouges et blanches que l’on voit dans la série La servante écarlate, et qui sont portées par ces filles fertiles, justes bonnes à la reproduction dans ce récit, sont devenues un signe de ralliement dans les manifestations pour les droits des femmes. C’est aux Etats-Unis, en 2017, qu’ont été signalées les premières capes vermillon, suite à l’annonce de plusieurs projets de lois anti-avortement – la série avait démarré en avril de cette année-là. Elles ont ensuite essaimé rapidement dans d’autres pays, de l’Irlande à l’Argentine. A Londres, les Servantes écarlates protestaient contre la venue de Trump au Royaume-Uni; à Varsovie, elles ont interrompu son discours, et au Costa Rica, elles se sont rendues dans l’isoloir pour exprimer leur opposition à l’égard d’un des candidats à la présidence. La costumière Ane Crabtree et Margaret Atwood, l’autrice du livre dont a été tirée la série, n’ont rien trouvé à y redire et ont même avoué avoir été émues par ces différentes actions.

La symbolique cape rouge de La servante écarlate.
La symbolique cape rouge de La servante écarlate.© GETTY IMAGES

En revanche, la marque Fred Perry a été nettement moins ravie lorsqu’un de ses polos est devenu, à son corps défendant, le symbole des partisans d’extrême droite du président Trump, les Proud Boys. Le fondateur du label et champion de tennis Fred Perry était issu de la classe ouvrière britannique, ce qui avait contribué à la popularité des polos au sein des contre-cultures: les Mods, les punks, les fans de ska et de britpop, mais aussi les premiers skinheads des sixties, très marqués à gauche. Les skinheads de droite ont détourné ensuite ce look à leur profit. Les Proud Boys ont intégré le fameux polo en piqué de coton à leur look preppy trompeur (lire encadré ci-dessous) et la griffe – qui a aussi des racines partiellement juives – a été contrainte, fin 2020, de suspendre la vente de son modèle noir et jaune aux Etats-Unis et au Canada.

Les Proud Boys ont forcé Fred Perry à arrêter de vendre son polo emblématique.
Les Proud Boys ont forcé Fred Perry à arrêter de vendre son polo emblématique.© BELGA IMAGE

Défilés engagés

Mais les liens entre mode et engagement ne se limitent pas à des mouvements de récupération plus ou moins subis. Les collections 2017 de Vera Wang et de Preen, par exemple, adressaient des clins d’oeil appuyés aux Servantes écarlates de Margaret Atwood également. Les mannequins défilant pour Missoni portaient, eux, des pussyhats et, chez Dior, la directrice artistique Maria Grazia Chiuri proclamait sur ses tee-shirts « We Should All Be Feminists »…

Le tee-shirt 'We Should All Be Feminists' de Maria Grazia Chiuri pour sa première collection chez Dior.
Le tee-shirt ‘We Should All Be Feminists’ de Maria Grazia Chiuri pour sa première collection chez Dior.© GETTY IMAGES

Si l’on remonte plus loin dans l’histoire, au début du XXe siècle, lorsque la militante britannique pour les droits des femmes Emmeline Pethick-Lawrence a défini les codes couleurs des Suffragettes (le blanc pour la pureté, le vert pour l’espoir et le violet pour la loyauté), les grands magasins Selfridges et Liberty se sont empressés de faire des stocks de rubans et de rosettes dans ces trois couleurs. Depuis les années 70, Vivienne Westwood tisse également la moindre de ses collections de messages sociaux, environnementaux et politiques. Signe des temps: au printemps 2019, elle avait fait de son défilé un manifeste contre tout ce qui remue désormais notre société, du dérèglement climatique au #metoo, en passant par le Brexit.

Le catwalk engagé de Vivienne Westwood, en 2019.
Le catwalk engagé de Vivienne Westwood, en 2019.© GETTY IMAGES

Dans son ensemble cependant, à force de montrer toujours les mêmes corps idéalisés, d’être complice d’un esclavage moderne et de se vautrer dans la surproduction, l’industrie du vêtement reste en contradiction avec les idéaux d’une jeunesse prompte à manifester, notamment pour le climat… Des protestataires qui, dans ce cas, n’affichent d’ailleurs pas de code vestimentaire visible puisqu’ils rejettent le modèle de consommation de leurs aînés et n’achètent (quasi) rien, ou en seconde main. Pour garder leur attractivité, les marques doivent donc jouer – honnêtement – la carte des valeurs de ces nouveaux consommateurs, que ce soit avec des messages féministes ou des jeans produits éthiquement. Et progressivement, de plus en plus de créateurs semblent embrasser cette volonté d’engagement, sur les catwalks comme en coulisses.

L'intermède d'Extinction Rebellion lors du show Dior.
L’intermède d’Extinction Rebellion lors du show Dior.© GETTY IMAGES

Le défilé Dior pour ce printemps 21 en est un bel exemple. Lorsqu’une manifestante a déboulé sur le podium en brandissant une bannière « We Are All Fashion Victims », le public n’aurait su dire si elle faisait partie du show ou non. On a appris par la suite qu’il s’agissait d’un membre d’Extinction Rebellion qui avait déjà perturbé la Fashion Week londonienne. L’activisme en mode est plus marqué que jamais, d’autant qu’une grande partie des mouvements de protestation ont lieu via les réseaux sociaux. Ceux-ci facilitent la sensibilisation des masses et la viralité des symboles de contestation. Il suffit que Michelle Obama porte un collier « Vote » pour que des millions de gens le remarquent. Idem lorsque Beyoncé apparaît au Super Bowl en total look Black Panther lors des manifestations Black Lives Matter. L’impact est mondial…

Dress codes

Le pussyhat
Le pussyhat© GETTY IMAGES

Le pussyhat

En 2016, Donald Trump affirme dans une vidéo que la célébrité autorise à faire ce qu’on veut avec les femmes. Lors de son investiture, des centaines de bonnets roses à oreilles de chat défilent lors des Marches des Femmes. Ces pussyhats évoquent l’expression trumpienne fleurie: « Grab them by the pussy » (« attrapez-les par la chatte », sic). Les filles derrière ce projet ont offert en ligne le patron pour que tout le monde puisse se tailler son propre couvre-chef. Leur post a été téléchargé plus de 100.000 fois et a provoqué une pénurie de pelotes de laine rose vif. L’accessoire a toutefois disparu pour des questions d’inclusivité – toutes les femmes ne naissent pas avec une chatte et celle-ci n’est pas toujours rose – mais un exemplaire de pussyhat a déjà fait son entrée au Victoria & Albert Museum de Londres.

Le gilet jaune
Le gilet jaune© GETTY IMAGES

Le gilet jaune

A l’origine, les gilets de sécurité jaune fluo ont été arborés, en 2018, par les Français venant des régions rurales et amenés à parcourir chaque jour de nombreux kilomètres au volant. Ceux-ci protestaient contre l’augmentation du prix des carburants suite à la hausse de la taxe de consommation sur les produits énergétiques. Progressivement, leurs revendications se sont élargies aux impôts, à la précarité et au manque de réaction du monde politique. Et le vêtement utilitaire a pris une tout autre symbolique, même hors des frontières hexagonales.

Le tailleur-pantalon blanc
Le tailleur-pantalon blanc© GETTY IMAGES

Le tailleur-pantalon blanc

Kamala Harris, la nouvelle vice-présidente des Etats-Unis, a prononcé son discours de victoire dans un costume-pantalon blanc griffé Carolina Herrera. Alexandria Ocasio-Cortez était elle aussi en blanc lorsqu’elle a prêté serment en devenant membre démocrate au Congrès. Avant cela, en 2016, Hillary Clinton avait pris acte de sa nomination à la présidentielle dans un même ensemble immaculé. Les réseaux sociaux ont par la suite appelé les femmes à aller voter en blanc. Cette couleur est une façon de rendre hommage aux femmes qui ont ouvert la voie politique auparavant, jusqu’aux Suffragettes. Ce sont elles qui ont fait du blanc la couleur symbole de la résistance féminine en politique.

Le costume fuchsia
Le costume fuchsia© GETTY IMAGES

Le costume fuchsia

Juste avant les élections américaines de 2020, des photos de people en costume deux-pièces fuchsia ont surgi dans les médias et sur les réseaux sociaux. Sous le hashtag #Ambitionsuitsyou, ils ont incité les femmes à aller voter vêtues de cette façon, en signe d’ambition et de puissance féminine. Cette fois, point d’activistes derrière cette action mais la marque de vêtements Argent. Par ces temps difficiles, promouvoir un ensemble coûtant 400 dollars a été jugé discutable.

L'abaya retournée
L’abaya retournée© GETTY IMAGES

L’abaya retournée

En novembre 2018, des Saoudiennes ont décidé de porter leur abaya – cette tunique noire couvrante qu’elles doivent enfiler pour sortir de chez elles – à l’envers. Elles estiment que personne ne devrait avoir le droit d’imposer le port d’un vêtement en particulier. Malgré les réformes menées par le prince héritier Mohammed ben Salmane, il n’est pas rare que des militant.e.s soient arrêté.e.s; les fonctionnaires du régime semblent d’ailleurs de plus en plus zélés et répressifs.

L'alt-right preppy
L’alt-right preppy© GETTY IMAGES

L’alt-right preppy

Ni crânes rasés, ni tatouages douteux: aujourd’hui, la droite alternative américaine opte plutôt pour des chinos bien repassés et des polos flatteurs. Les manifestants ont pour instruction de s’habiller correctement – selon le néonazi Andrew Anglin, ils doivent être hype, sexy, résistants et séduisants. Leur allure mainstream rendrait le public plus réceptif à leurs idées. Contrairement aux skinheads, cela aide les supporters qui auraient encore des hésitations à franchir le pas.

Kilts et chemises hawaïennes
Kilts et chemises hawaïennes© GETTY IMAGES

Kilts et chemises hawaïennes

Pendant les Marches pour Trump, dénonçant les soi-disant fraudes qui auraient entaché la dernière élection, on a vu les Proud Boys vêtus de kilts de la marque Verillas. La griffe US a rapidement versé un don supérieur au prix d’achat présumé de ces articles à une organisation de défense des droits civils. Ailleurs, ce sont les chemises hawaïennes qui pullulent, uniforme par excellence du mouvement Boogaloo – l’extrême droite radicale américaine. Ce look joyeux complique le fait de les présenter comme dangereux. Détail particulièrement odieux: ces chemises étaient auparavant portées par des personnes de couleur.

Costard du dimanche
Costard du dimanche© BELGA IMAGE

Costard du dimanche

Les manifestants Black Lives Matter n’ont pas à proprement parler d’uniforme ou de code vestimentaire, si ce n’est leur merchandising avec slogans et portraits des victimes de violences policières. Quoique… Lors de certaines manifestations à la mémoire de George Floyd, les militants ont mis un point d’honneur à arborer leur plus beau complet. Une façon de contrer les stéréotypes raciaux et en même temps de rendre hommage aux grands mouvements civiques des années 60.

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