Hyères 2016: les beaux jours de la jeune création

Wataru Tominaga est le gagnant de la 31ème édition du Festival international de Mode et de Photographie à Hyères. Le Vif Weekend y était et a pu prendre le pouls de la mode de demain.

Et si une trente et unième édition était plus délicate à organiser qu’une trentième voire une trente deuxième ? Eviter l’essoufflement, se renouveler, inventer, oser malgré trois décennies d’archives et de souvenirs. Nulle angoisse, on connaît l’appétence de Jean-Pierre Blanc, directeur et père fondateur. Il y a un an, sur les hauteurs d’Hyères, dans les jardins de la villa Noailles, il avait ouvert avec des larmes dans la voix son Festival international de mode et de photographie. Cette fois-ci, ce jeudi 21 avril 2016, c’était le ciel qui joue les pleureuses, en jetant des trombes d’eau sur l’herbe verte, les festivaliers visiblement heureux d’être là, une bière à la main, attendant gentiment que les éléments se calment, las, on annonce que la cérémonie d’ouverture est remise, pas de concert, pas de discours, demain sera un autre jour. Et puis comme par miracle la pluie cesse et l’inventeur de ce concours incontournable peut prononcer quelques mots, en pestant un peu sur le temps pourri, voilà son Festival officiellement ouvert.

Wataru Tominaga
Wataru Tominaga© Etienne Tordoir/Catwalkpictures.com

Les dix jeunes créateurs sélectionnés sont prêts, les photographes aussi, pareil pour les deux jurys présidés respectivement par Julien Dossena, directeur artistique de Paco Rabanne et William Klein, peintre, photographe et réalisateur de 88 ans, de même pour les professionnels de la mode, les amoureux de ce festival pas comme les autres, les anciens lauréats, dont notre héraut belge Jean-Paul Lespagnard et les autres élus invités par Petit Bateau à se lancer dans une carte blanche, le trio gagnant étant Annelie Schubert, Kenta Matsushige et Satu Maaranen, qui en marinière revisitée ne dépareillent pas dans ces jardins magnifiques avec vue plongeante sur la baie brumeuse.

Le vendredi à Hyères, c’est le jour où tout semble possible, les dix jeunes créateurs sélectionnés présentent leur collection au jury, avec émotion souvent, excitation et passion toujours. Ce festival est un excellent baromètre de l’émulation qui traverse les capitales de mode – il fut un temps où les Belges formés à La Cambre faisaient l’admiration et raflaient tous les prix, de Julien Dossena à Anthony Vaccarello, d’Eric Beauduin à Billie Mertens, ils sont à jamais gravés dans les annales de ce concours qui sert souvent de passeport pour entrer par la grande porte dans le monde de la mode.

Les stylistes en compétition se suivent et ne se ressemblent guère, dans une tente écrasée de lumière, Akino Kurosawa (Japon) parle de son « Winter melancholy », de ses envies de motifs de ciel aiguillettés, de sa maille fine tie and dye pour demoiselles évanescentes.

Shohei Kinoshita (Japon) explique comment le mouvement black des années 40 entré en collision avec la culture des street girls tokyoïtes peut donner une collection Femme baptisée « Zoot » qui utilise le tailoring, la laine bleue sombre, la flanelle grise et les tee-shirts blancs à double cols ?

Hanne Jurmu & Anton Vartiainen
Hanne Jurmu & Anton Vartiainen© Etienne Tordoir/Catwalkpictures.com

A deux voix, Hanne Jurmu et Anton Vartiainen (Finlande) racontent leur vision ultra contemporaine d’un monde qu’il faut sauver, même s’ils ne le disent pas ainsi, ils préfèrent le vivre, pratiquant, pour leur Homme moderne, la récupération à même les poubelles, l’utilisation de peaux de melon, de pétales de fleurs, de rebuts abandonnés, avec un art consommé du rapiècement, du macramé et de la réinvention de matériaux dont plus personne ne voulait sauf eux.

Clara Daguin
Clara Daguin© Etienne Tordoir/Catwalkpictures.com

Clara Daguin (France- Etats-Unis) électrise ses silhouettes Femme de Led, dévoilant ce que l’on n’a pas souvent l’habitude de voir, l’anatomie du corps par des jeux de découpes et de mise en lumière, en un « Body electric » un peu formel.

Rolf Ekroth (Finlande) commence par tracer son parcours inhabituel, travailleur social qui doute, inscrit à un cours de coupe-couture dans un club de seniors avec grand-mères attachantes qui le prennent sous leur aile puis enfin styliste qui ne dénigre pas sa passion pour le sport, avec une collection Homme titrée « June 17 th 1994 », où il démontre avec verve son sens de l’humour, de l’artisanat et du fait main.

Amanda Svart (Suède) a peaufiné un « Formflow » seyant, qui (dés) habille des jeunes filles fragiles, drapées dans des jerseys épais et argentés mariés à de la toile de coton blanche, aux coupes à bords francs et contrastes tranchés mais sensuels.

Clémentine Küng (Suisse) s’inspire des cartes postales que les Poilus envoyaient à leur famille durant la Première guerre mondiale, avec petits mots trompeurs « Je vais bien » ou « Joyeux Noël ». Elle réinterprète tout cela avec des prints de fleurs agrandis, du néoprène contrecollé, des guêtres gainantes et une attitude fragile d’hommes qui savent qu’ils vont mourir et font semblant que non, elle a lu Arthur Rimbaud, sa collection s’appelle « Le cresson bleu ».

Laura Boned (France) s’est penchée sur d’autres souvenirs, « Memory of wounds on a body », une collection Femme en textile artisanal, composé de couches de jersey, de georgette de soie, de mousseline, de crêpe de chine dans des camaïeux de rouges et de blancs ou de marine profond.

Wataru Tominaga
Wataru Tominaga© Etienne Tordoir/Catwalkpictures.com

Wataru Tominaga (Japon) a étudié au Central Saint Martins College of Art and Design et se joue de la matière et des tissus pour mieux les réinventer, il les embellit de rayures floquées, de couleurs éclatantes, de fleurs, de contrastes énergiques jaune, vert, blanc, rouge, orange, il teste le patchwork et le volume avec légèreté et ose la superposition joyeuse sur des jeunes gens qui offrent le visage de la coolitude parfaite.

Yuhei Mukai
Yuhei Mukai© Etienne Tordoir/Catwalkpictures.com

Yuhei Mukai s’amuse avec son nom et son visage, il l’imprime sur ses robes bustiers pour jeunes filles kawaii, cache leur visage avec des foulards à son image, baptise sa collection « 3-A Mukai » et aime assurément les pastels printaniers.

A Hyères, on ne sait où donner de la tête. Dans la piscine, Julien Dossena a installé une exposition Paco Rabanne Work in Progress , 22 silhouettes d’hier et d’aujourd’hui qui prouvent combien le fil rouge déroulé par le créateur espagnol dans les années 60 et par lui désormais est cohérent – métal, rhodoïd, mesh, laine, sportswear, il est permis de réinventer la modernité.

Dans la salle de squash, hommage à William Klein, avec extraits du cultissime Qui êtes-vous, Polly Maggoo (1966), robes du défilé dudit film, en métal, version grandeur nature et miniature sur des poupées de bois stylisées, cartels et murs striés de noir et blanc. Le pouvoir des images est puissant, dans la tête tourne en boucle, la voix et l’accent si charmant de Dorothy McGowan qui se prêta au jeu de la mannequin vampirisée.

Quand tombe le soir, direction le Hangar de la Mouture, au Salin des Pesquiers sur la route de Giens, c’est là qu’a lieu le défilé. On y voit en musique et en mouvement les collections des jeunes stylistes, plus celle de la lauréate 2015, Annelie Schubert, réalisée avec les Métiers d’art de Chanel – soit une fructueuse incursion dans ces ateliers de l’excellence, où elle a découvert les secrets des bottiers, brodeurs, plisseurs, plumassiers. La jeune créatrice a travaillé avec eux et avec une grande maturité, rien ne vient désavouer son talent, elle manie l’épure, les drapés et les couleurs comme personne, elle a déjà forgé son langage. Quand elle plonge dans les archives de Petit Bateau qui lui donna carte blanche pour l’occasion, elle réussit à exhaler sa singularité à travers une mini-collection qui marie la marinière à tout ce qu’elle aime, le drapé en tête. Respect.

Wataru Tominaga
Wataru Tominaga© Etienne Tordoir/Catwalkpictures.com

Mais puisque le Festival de mode et de photographie à Hyères est une compétition, il faut bien faire des choix, nommer ses préférés, argumenter ses coups de coeur. Le jury mode a délibéré. Wataru Tominaga l’emporte, à lui le Grand Prix du Jury Première vision, soit 15 000 euros, doté également d’une collaboration avec Chanel et Petit Bateau. Ce qui, par-dessus tout, a plu à l’équipe présidée par Julien Dossena ? « L’audace, la force graphique et l’impact visuel très fort de sa collection, soutenues par les recherches sur la matière et la technique du vêtement. Le travail de Wataru apparaît comme une évidence qui dépasse les limites des genres masculin/féminin et qui crée une dynamique positive. »

Hanne Jurmu & Anton Vartiainen
Hanne Jurmu & Anton Vartiainen© Etienne Tordoir/Catwalkpictures.com

Ce couronnement à l’unanimité prouve qu’il y a des raisons de ne pas désespérer de la mode : elle est capable de se renouveler, pour autant que l’on écoute ces jeunes qui définissent des vestiaires en prise directe avec ce qui assaille, traverse, questionne et anime notre planète. Et c’est bien pour cette raison que le jury mode offre ensuite une mention spéciale à Hanne Jurmu et Anton Vartiainen – « dans une ère de changement climatique, ils montrent que l’on peut créer de la beauté et de la poésie avec ce qui est considéré comme du rebut. Avec cette collection, ils suscitent un sentiment romantique. » Ce n’est pas non plus un hasard si le tandem finnois remporte le Prix Chloé pour une silhouette d’une romantisme écolo ravageur, une mariée comme un premier matin du monde que Gaby Aghion n’aurait pas reniée.

Amanda Svart
Amanda Svart© Etienne Tordoir/Catwalkpictures.com

Enfin si le public a aimé ces collections – à l’applaudimètre, elles se rangeaient dans les favorites, c’est celle de la suédoise Amanda Svart qui a pourtant remporté les suffrages, la virtuosité a de beaux jours devant elle. La jeune création aussi.

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