La fourrure, en porter ou pas?
Synonymes de chaleur et de confort, mais aussi signes d’appartenance sociale, les visons, moutons retournés et autres peaux poilues se dotent à nouveau d’une aura mode. Et, entre matières naturelles, synthétiques ou récup’, renouent avec les convictions éthiques.
On la retrouve sur le dos des femmes, mais aussi de certains hommes. D’une gamine haute comme trois pommes à une mamie aux cheveux permanentés, en passant par une trentenaire prise entre son boulot et sa vie de famille, ou une post-ado partie fouiller dans les placards de ses aïeules. Vraie, fausse ou vintage ? Il est désormais (presque) impossible de faire la différence. La fourrure a le vent en poupe, ces dernières saisons.
Pour l’automne-hiver 15-16, elle prend tour à tour une allure ethnique chez Dsquared2, folk chez Lanvin, patchwork chez Salvatore Ferragamo, moelleuse et virginale chez Louis Vuitton et Stella McCartney, colorée chez Kenzo et Sonia Rykiel. Elle est mixée à d’autres textures chez Sacai, pensée façon matelassé chez MaxMara, se présente par petites touches sur les accessoires d’Emporio Armani et Gucci, se concentre sur les manches et les poches chez Marni, se porte en étole chez Jason Wu ou se décline en noir et blanc chez Philipp Plein.
Les chiffres de Fur Europe, fédération qui rassemble les éleveurs, fabricants et magasins du secteur, sont à ce sujet sans appel : début 2014, plus de deux tiers des collections dévoilées lors des quatre principales Fashion Weeks contenaient des pièces à poils. Fendi, maison italienne qui en a fait sa spécialité, a même mis sur pied un show Haute Fourrure, en juillet dernier, à Paris, histoire de fêter en grande pompe les cinquante ans de collaboration avec son directeur artistique Karl Lagerfeld. Soit une magnifique démonstration de savoir-faire et d’artisanat. Car jamais les techniques modernes n’ont permis autant de diversités et d’innovations, entre pièces toujours plus légères, rasées, colorées, mixées ou encore traitées comme de la marqueterie. Ce qui n’a pas empêché les militants « anti » de la Fondation Brigitte Bardot et de Peta de se mobiliser…
La pelisse n’est désormais plus seulement objet de confort, de chaleur ou de distinction sociale ; elle devient article de mode, prétexte à des créations ludiques. Et à partir du moment où elle est davantage visible sur les podiums, elle se repère aussi dans la rue, qu’il s’agisse de parures vintage ou de modèles neufs. « Depuis 2005, les ventes augmentent légèrement chaque année », confirme Christian Parmentier, fourreur dans plusieurs boutiques spécialisées en Belgique et membre de la Fédération belge de la fourrure. Une tendance à la hausse confirmée également par Fur Europe : depuis dix ans, la production européenne est approximativement passée de 27 à 43 millions de peaux, soit une augmentation de 37 %. Et ce alors que la valeur de ce marché, à l’échelon international, a été évaluée à plus de 35 milliards d’euros, pour 2014.
Autre évolution constatée : « Lorsque, fin des années 90, début 2000, les lobbys anti-fur étaient particulièrement actifs, nous avons continué à proposer des manteaux, mais de façon plus discrète, poursuit Christian Parmentier. Les clients se tournaient vers des spécimens épilés ou vers du mouton retourné, qui constituaient 90 % des ventes. Désormais, nous sommes revenus à un meilleur équilibre, avec pour moitié des versions naturelles et authentiques et, pour l’autre, des modèles moins ostentatoires. »
À rebrousse-poil
Mais ce succès croissant n’empêche pas visons, renards et autres hermines de rester au coeur de la polémique, voire presque tabous. Jamais un matériau n’aura autant fait débat dans la mode. Argument de taille ? La question du bien-être animal. Créé en 1980, l’association Peta (acronyme de Pour une éthique dans le traitement des animaux) ne cesse, encore et toujours, de le répéter : « La fourrure est souvent présentée comme le comble du raffinement et de l’élégance, mais les publicités se gardent bien de montrer ce qu’ont enduré les animaux qui les portaient. Chaque année, des millions d’entre eux sont tués par électrocution dans les élevages. Les autres, capturés dans la nature, sont noyés, piégés ou battus à mort. » Un avis que partage bien évidemment l’ASBL belge Gaia (Groupe d’action dans l’intérêt des animaux), qui se bat, depuis 1992, pour un traitement respectueux et une existence digne des bêtes, ne cessant de pointer du doigt les discours de façade du secteur.
A force de manifestations, de sensibilisations, de campagnes de pub choquantes et d’actes parfois à la limite de l’agression – certaines rédactrices de mode se souviennent encore de ces forcenés qui ont tenté de leur arracher leur manteau, à l’entrée d’un défilé -, des lois ont vu le jour, protégeant les espèces en voie d’extinction. La Fédération internationale de la fourrure (IFTF) a également créé, fin 2006, un nouveau label, qui certifie la provenance des pelages. Tout ornement estampillé du logo « Origin Assured » est fabriqué à partir de matériaux originaires de pays où la production est soumise à des normes reconnues. La Belgique n’est pas non plus en reste, puisque le Parlement wallon a adopté un décret interdisant l’élevage d’animaux pour leur toison.
Une politique qui fait lever les yeux au ciel de certains acteurs concernés par cette problématique, à l’instar de Karl Lagerfeld, qui rétorque, tout de go : « Il faut être cohérent. Comment peut-on critiquer la fourrure en mangeant un hamburger et en portant des chaussures en cuir ? Car, quand même, le cuir, c’est de la fourrure épilée ! »
Un avis partagé par Christian Parmentier, qui voit dans cette hostilité une forme de jalousie vis-à-vis de ce signe extérieur de richesse. « Un peu comme toutes ces personnes qui ne savent pas s’offrir une voiture de sport et critiquent, dès lors, son caractère peu écologique. Mais ici, nous avons justement affaire à un objet durable, qui se garde plusieurs dizaines d’années. Il est évident que nous n’en avons pas besoin pour survivre, tout comme il n’est pas nécessaire d’acquérir de beaux vêtements, de boire de la bière ou du vin, de manger une glace ou de posséder un véhicule avec intérieur cuir. A partir du moment où une législation sévère réglemente le secteur, cela relève finalement du libre choix, comme on décide, ou non, de manger de la viande. »
Pour toutes les philosophies
Heureusement, de plus en plus d’alternatives existent. La qualité du « faux » ne cesse de s’améliorer. Et ce n’est pas la créatrice britannique Stella McCartney qui dira le contraire. Après avoir imaginé des sacs et chaussures en cuir végétal, la voici qui a mis sur pied, pour cet hiver, une série de pièces judicieusement baptisées Fur Free Fur. « Cela prouve à l’industrie et aux clients qu’il n’est pas nécessaire de porter de véritables pelages animaux », martelait la fille de l’ancien Beatles, à la sortie de son défilé.
Il y a aussi des usages raisonnés des toisons, comme le prouvent ces deux exemples. D’une part, l’orylag, cette pelisse luxueuse, issue d’une réflexion sur les déchets de l’agroalimentaire. En remarquant que l’homme apprécie manger la chair d’un lapin baptisé rex du Poitou, des chercheurs ont mis au point des croisements génétiques et ont réussi à lui donner la douceur et la beauté du vison ou du chinchilla. D’autre part, le label de niche Hice. Ces chaussures en peau de phoque sont produites au Groenland, selon des règles très strictes, contrôlées par le gouvernement. Non seulement la chair de ces bêtes est consommée principalement par les populations locales, mais la fabrication de ces bottes génère une source de revenus pour les Inuits, tout en assurant une pérennité à leurs traditions et coutumes.
Et puis, reste toujours l’option de remettre au goût du jour un paletot vintage. Une belle manière d’associer beauté, confort et geste écologique. De nombreux fourreurs se proposent ainsi de nettoyer, réparer, alléger et retailler d’anciens manteaux. La jeune société One Off en a même fait sa spécialité, depuis trois ans. « L’idée est de concilier le retour du désir des consommateurs vis-à-vis de ces parures, avec un esprit de récupération, en évitant de tuer de nouveaux animaux et en réactualisant des modèles démodés », résume sa fondatrice Dalia Wyszegrodzki. Cela va du simple remorphing à une personnalisation complète de l’ensemble, avec, par exemple, des colliers rebrodés sur le col, ou encore des doublures confectionnées à partir de carrés de soie anciens. Le tout pour un montant qui tourne autour des 600 euros, selon le travail à exécuter ; soit bien moins cher qu’une véritable fourrure avec, ici, l’aspect affectif en prime, s’il s’agit d’un objet de famille. « Certains modèles ont près de 20 ou 40 ans et sont toujours magnifiques », conclut la Bruxelloise, arguant qu’il serait dommage de les voir relégués aux oubliettes de la mode…
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Histoire de poils p>
Dans les années 50, pas question d’accéder au statut de bourgeoise sans un manteau de vison, un diamant et un collier de perles. « C’était le rêve de toutes les femmes ; le symbole d’une réussite sociale, la preuve que son mari gagnait bien sa vie », raconte l’historienne française Catherine Örmen, qui vient de publier l’ouvrage L’Art de la mode, aux éditions Citadelles et Mazenod. p>
Mais il faut remonter bien avant les fifties, pour retrouver les premières traces de toisons. Les résultats des fouilles archéologiques l’associent à la préhistoire, lorsque des morceaux d’os servent d’aiguille et des tendons agissent comme des fils. Tout naturellement, « les peaux étaient alors utilisées pour se protéger du froid », poursuit la Française. p>
Ce n’est qu’au Moyen Age qu’elle devient synonyme de distinction sociale. L’usage est alors courant et universel, mais certains animaux à poil sont destinés à l’élite. « La belle fourrure a longtemps été aussi précieuse que l’or, détaille ainsi l’historien et médiéviste Robert Delort dans l’ouvrage de référence Histoire des fourrures, paru aux éditions Lazarus en 1987. Les lois somptuaires, qui fleurissent dans tout l’Occident aux XIVe et XVe siècles, réservent différents types de pelages aux différents groupes sociaux en fonction de la richesse. Hermine, zibeline, castor et petit-gris (le « vair » de la pantoufle de Cendrillon) sont dédiés aux rois et aux princesses. » p>
Après le succès rencontré au milieu du XXe siècle, la voici qui se désembourgeoise progressivement. Les goûts et besoins évoluent. « Durant les années 60, les femmes prennent leur indépendance et souhaitent voir disparaître certains symboles, comme cette idée ridicule de porter des pelisses tellement énormes qu’il est impossible de se glisser derrière un volant », détaille Silvia Venturini Fendi, de la maison italienne éponyme, qui a fait des fourrures et de sacs sa spécialité. p>
Résultat, ces manteaux très classiques sont peu à peu abandonnés, pour laisser la place à des modèles inédits. « C’est à ce moment-là qu’un business spécialisé a vu le jour en Italie, se souvient Karl Lagerfeld, directeur artistique de Fendi depuis 1965. Ils ont accepté de sortir du cadre, en imaginant des pièces auxquelles personne n’avait encore pensé jusqu’alors. » Ce matériau est désormais considéré comme un tissu, auquel on peut appliquer de nouvelles techniques de fabrication. p>
Les seventies apportent également une connotation très érotique à l’ensemble. « Ces parures se chargent d’une tension animale et féline, poursuit l’historienne. Toute une fantasmagorie se met en place. C’est l’époque du peau contre peau, lorsque le photographe Helmut Newton immortalise des demoiselles nues sous leur pelisse. » La bourgeoise d’antan vire séductrice, en pleine période d’émancipation de la femme et de libération sexuelle. p>
Enfin, dès 1980, on voit apparaître la fourrure synthétique. « De quoi permettre aux créateurs de mode de s’amuser au jeu du chic et du toc, et de détourner tous les poncifs attribués tour à tour à cette matière », note Catherine Örmen. De quoi, aussi, dédramatiser l’usage des vêtements à poil et semer le trouble dans l’esprit des gens, et ce au moment où les manifestations anti-fur commencent à prendre de l’ampleur et polarisent le débat sur cette question. p>
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