La lingerie non genrée: « Le non-binaire n’est plus une tendance, c’est une réalité qui va se normaliser »

La ligne no gender qu'ils ont créée pour La Fille d'O. © MURIELLEVICTORINESCHERRE.COM
Lut Clincke Journaliste

Depuis qu’il a quitté la maison de couture Ann Demeulemeester, Sébastien Meunier n’est pas resté inactif. Entre deux emplois, il a décidé de mettre au point une collection de lingerie non genrée avec Murielle Scherre, la créatrice derrière La Fille d’O.

Sébastien Meunier et Murielle Scherre n’en sont pas à leur coup d’essai. Les deux créateurs ont déjà travaillé ensemble lorsque Sébastien Meunier était directeur artistique d’Ann Demeulemeester. « J’ai rencontré Murielle il y a des années, explique le Français. Son travail m’intéressait car je cherchais des dessous appropriés pour les vêtements transparents de la collection que je dessinais. Sur les podiums, la transparence ne pose pas de souci, mais pour que les pièces puissent être portées dans la vraie vie, des sous-vêtements assortis sont nécessaires. Cela dit, même dans les défilés, on peut créer une silhouette intéressante et complexe en ajoutant un body ou un legging, par exemple. » Aujourd’hui, le duo réédite la collaboration, cette fois pour une ligne de lingerie complètement inclusive, chez La Fille d’O. Explications.

Comment est née cette collection?

Murielle Scherre: Lorsque j’ai rencontré Sébastien il y a quelques années, j’ai senti que nous avions beaucoup de choses en commun. Nous venons d’univers différents, mais nous pouvons être le miroir l’un de l’autre. Nous travaillons tous les deux à partir de nos personnalités et nous partageons beaucoup de sources d’inspiration. J’avais déjà parlé d’une collection inclusive avec Sébastien, mais nous n’avions jamais eu le temps de joindre le geste à la parole. Et puis le confinement s’en est mêlé, ce qui, d’une certaine manière, a été une véritable bénédiction: nous avions tout le temps d’y réfléchir.

Sébastien Meunier: Pour moi, cette collaboration est arrivée au bon moment, comme un intervalle entre deux emplois. Et à ce jour, il s’agit de la meilleure coopération de ma carrière. Pouvoir travailler en toute liberté est un luxe. Il n’y avait pas de pression extérieure, nous n’avions aucune contrainte temporelle. Nous le faisions parce que nous en avions envie. Notre projet commun s’inscrit dans la continuité de ce que Murielle a toujours fait: elle crée pour tous les types de femmes. Avec cette collaboration, nous allons plus loin et travaillons pour toutes les personnes: hommes, femmes, binaires, non-binaires, personnes transgenres, mais aussi pour tous ceux qui veulent se sentir dans la peau d’un homme ou d’une femme un moment, sans avoir envie de changer de genre. De plus en plus de personnes sont à la recherche de leur identité et en parler est une bonne chose. Nous évoluons lentement mais sûrement vers une société non binaire. Les formulaires de candidature et d’autres documents comportent aujourd’hui une troisième option dans la catégorie « genre ». Il est intéressant de noter que cette option existe déjà officiellement. Ce n’est plus une tendance, c’est une réalité qui va se normaliser.

La ligne no gender qu'ils ont créée pour La Fille d'O.
La ligne no gender qu’ils ont créée pour La Fille d’O.© MURIELLEVICTORINESCHERRE.COM

Avec cette collection, vous lanciez-vous dans l’inconnu?

S.M.: Dans ma première collection, que j’ai présentée au festival d’Hyères, fin des années 90, je travaillais déjà autour de formes qui façonnent le corps, notamment au niveau des muscles. Il y a aussi un côté non binaire dans l’ADN d’Ann Demeulemeester: la collection pour hommes oscille entre le poétique et le masculin, la collection pour femmes a un côté doux et dur à la fois. En tant que directeur artistique de cette marque, j’ai mis en avant cet aspect fluide à ma manière, et je l’ai peut-être sexualisé davantage. Cette collection en collaboration avec La Fille d’O est évidemment totalement différente, c’est un concept innovant qui renferme beaucoup de savoir-faire traditionnel. Elle a été conçue dans le respect des personnes et de la planète. Nous avons créé une silhouette pour les personnes qui désirent un autre type de corps, ou pas. Tout le monde peut se retrouver dans cette ligne, indépendamment de sa morphologie ou de sa personnalité.

Nous évoluons lentement mais sûrement vers une société non binaire. Ce n’est plus une tendance, c’est une réalité qui va se normaliser.’ Sébastien Meunier

M.S.: Ce n’est pas nouveau pour moi non plus. Je n’aime pas les sous-vêtements traditionnels que je trouve presque caricaturaux: un soutien-gorge à armature en dentelle pour elle et un slip blanc pour lui. Même moi, femme hétérosexuelle, je ne suis pas attirée par cela. C’est aussi pour ça que j’ai créé La Fille d’O il y a des années, pour proposer ma version de la lingerie. Au contact des clients de la boutique, j’ai été confrontée aux besoins des mères allaitantes et des femmes ayant subi une mastectomie, entre autres. J’avais déjà proposé une solution pour ces deux groupes cibles. La collection avec Sébastien Meunier s’inscrit dans la même logique, mais elle va plus loin. Pour moi, l’idée a germé naturellement. Ces dernières années, j’ai régulièrement reçu des personnes qui ne se sentaient bien nulle part. Des personnes transgenres qui, pendant ou après leur transition, cherchaient des dessous adaptés à leur situation aussi. En général, elles devaient se contenter des articles qu’elles trouvaient dans les sex-shops. Comme ma lingerie est assez neutre, elles trouvaient parfois leur bonheur dans ma boutique. Pour moi, une pièce doit être parfaitement ajustée. C’est pourquoi j’ai adapté certains modèles existants de ma gamme aux besoins spécifiques des personnes transgenres. Par exemple, j’ai donné une forme plate à un soutien-gorge et un bonnet ou une couture spécifique à un slip. J’ai également conçu des pièces pour les femmes transgenres, notamment au niveau des hanches. J’ai suivi ces personnes sur Instagram, pour voir comment elles vivaient, ce qu’elles portaient, afin de mieux les comprendre.

De nouvelles formes, pour briser les codes de la lingerie et supprimer la polarité Homme-Femme.
De nouvelles formes, pour briser les codes de la lingerie et supprimer la polarité Homme-Femme.© MURIELLEVICTORINESCHERRE.COM

Qui a fait quoi dans ce tandem?

S.M.: Je n’ai pas les connaissances techniques de Murielle en matière de lingerie. Elle est techniquement très forte et elle sculpte le corps. Ma principale contribution à ce projet a été d’ajouter une vision de la mode à cette histoire. Je sors les pièces de la sphère de la lingerie et je les place dans un contexte plus large. J’aime mélanger différentes pièces pour en faire un nouvel ensemble. La plupart des modèles sont réversibles, ce qui ouvre encore plus le champ des possibles. Vous pouvez porter les articles sous ou sur vos vêtements. Le résultat est une collection qui brise les codes de la lingerie.

M.S: Nous avons imaginé cette collection en dialogue avec notre public-cible, selon la devise « nothing about us without us ». Certaines de ces personnes sont également des modèles pour la collection. Dans les images de la campagne, elles portent des pièces qui leur vont bien et elles pourraient aussi les porter dans la vraie vie. Nous n’avons rien mis en scène. Afin de rester complètement dans le discours inclusif, nous avons également dû inventer de nouveaux termes neutres qui correspondent à cette réalité. Il existe donc des hauts « flat fit » pour les personnes sans poitrine, sans bonnet, ainsi que des slips « bottom cup ». Les personnes en transition ont parfois du mal lorsqu’elles sont confrontées à un corps dans lequel elles ne se sentent pas bien, c’est pourquoi nous nous écartons des désignations traditionnelles basées sur le genre.

Murielle Scherre et Sébastien Meunier, réunis pour cette collection.
Murielle Scherre et Sébastien Meunier, réunis pour cette collection.© MURIELLEVICTORINESCHERRE.COM

Comment imaginez-vous l’avenir de la collection?

M.S: Il s’agit d’une collection durable. L’intention n’est pas de dévoiler une gamme inédite chaque saison. Toutes les pièces restent dans notre ligne, sauf si elles ne répondent plus à la demande. Nous ajoutons de nouveaux modèles, en fonction des nouveaux besoins qui apparaissent. La collection évoluera donc de manière organique.

Cette ligne no gender sera vendue en ligne et dans les boutiques de La Fille d’O, mais aussi dans les magasins multimarques où est distribuée la collection principale, ainsi que dans de nouveaux points de vente. lafilledo.com

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