La saga de la parka, pièce intemporelle et incontournable

Carven © MONDADORI

A la croisée d’une envie fashion, de la créativité des designers et des innovations technologiques. C’est la pièce mode reine de l’hiver.

Sur les podiums millésimés automne-hiver 18-19, on a vu défiler la parka un peu partout – chez Lanvin, Balenciaga, Calvin Klein, House of Holland, Maison Margiela, Marni, Chloé, Trussardi, Victoria Beckham, Carven, Lacoste, J.W. Anderson, on s’arrête là. Et si les maisons de luxe se la sont appropriée, c’est parce que la rue a fait de même, antérieurement, avec des hauts et des bas, et ce depuis les golden sixties. Les Mods l’avaient en effet élue pour mieux fendre le smog londonien sur leur Vespa ou leur Lambretta, tout en protégeant leur petit costume stylé. C’était à l’aube des années 60, ils ignoraient alors qu’ils resteraient dans l’histoire au rayon subculture et qu’ils donneraient naissance à quelques avatars, skinheads et revivals compris, toujours prêts à s’emparer des dégaines inusables.

Sportmax
Sportmax© MONDADORI

Depuis, la parka s’est affranchie de tout – courant modeux, âge, classe sociale et genre. Elle a même choisi de ne pas choisir : on peut à loisir lui coller le féminin ou le masculin puisque les deux versions conviennent parfaitement à ce substantif venu du froid et de l’esquimau – on préférera très subjectivement le  » la « .

Elle n’est pourtant pas versatile, puisque ses bases sont bien définies, mais c’est en cela justement que les créateurs lui trouvent un intérêt : la liberté naît des contraintes, qui permettent de repousser ses limites et de jouer de ses impératifs pour mieux la métamorphoser. D’autant que cet archétype fonctionnel peut se renouveler en douce grâce aux innovations technologiques des filateurs et des fabricants de tissus qui se dotent désormais d’entités de recherche et développement. Tous s’entendent sur sa définition, dans les grandes lignes.  » C’est une veste trois-quarts, sous les fesses, plutôt droite, avec poches plaquées généralement.  » C’est ainsi que la décrit Pascaline Wilhelm, directrice mode de Première Vision, salon mondial des professionnels du secteur.  » Au départ, c’est un vêtement utilitaire. Il protège principalement de la pluie – à la base, il était en coton huilé dans un tissu gras qui existe toujours. On en vend d’ailleurs encore avec bouteille d’huile de protection. Mais on arrive à présent à imiter cet aspect gras sans le gras, on n’en a plus plein les mains ! Et l’on peut désormais être protégé de toutes les intempéries sans en avoir l’air. Je me souviens qu’il y a vingt ans, les premières parkas à sortir le soir étaient très épaisses, on aurait pu aller sur l’Everest mais on prenait juste le métro. Aujourd’hui, les tissus sont plus légers et l’ultratechnique rencontre l’ultra-esthétique. La parka est désormais thermique, respirante, légère, confortable, elle a la bonne couleur, les bons Zips et les bons fermoirs et toutes ses performances sont invisibles. Elle est ainsi devenue un vêtement de ville, on la porte avec un costume, un jeans ou un veston et on va bosser en vélo… Cette multifonctionnalité est l’une des raisons de son succès. Je ne veux pas faire de psychologie de comptoir mais il s’agit aussi d’écoresponsabilité, avec cette idée d’avoir des vêtements durables, qui permettent de répondre à des fonctions différentes.  »

Junya Watanabe
Junya Watanabe© MONDADORI

Allers-retours féconds

Dries Van Noten
Dries Van Noten© MONDADORI

Ce succès, on le doit également aux matériaux technologiques qui n’existaient auparavant que dans le monde du sport, lequel n’a jamais autant infusé l’univers de la mode.  » Cette géniale histoire d’amour est devenue pérenne, analyse Pascaline Wilhelm. On le constate à ce grand machin un peu fourre-tout que l’on appelle l’athleisure, ce joli terme qui contracte sport et loisir. Auparavant, on parlait de casual, mais c’est devenu presque un vilain mot, il est en tout cas ringard, jusqu’à ce qu’il soit suffisamment vintage pour qu’on ait à nouveau envie de l’utiliser ! Les collaborations ont démarré avec Yohji Yamamoto et Adidas il y a quinze ans, elles se poursuivent avec Supreme et la nouvelle génération. Par ailleurs, les marques de sport, Nike ou Adidas, pour ne citer que les géants, se sont lancées dans le lifestyle tandis que celles de prêt-à-porter, telles qu’Uniqlo, Maje, Sandro, ont leur ligne sport, outdoor ou wellness.  » Autant d’allers-retours féconds qui insufflent une dynamique aux développeurs de matières. Et la directrice mode de Première Vision de constater une évolution des étoffes et accessoires sur des domaines fondamentaux, liés à la protection.  » Sur le poids, notamment : l’allègement est incroyable, que ce soit dans les tissus pour les doudounes ou l’intérieur des vestes, nécessitant des recherches extrêmement poussées. Car le fabricant qui parvient à gagner deux grammes par mètre carré remporte le marché.  » Une révolution douce qui n’interdit pas de connaître ses classiques et de rendre hommage aux deux ancêtres que sont la veste en peau de bête que portaient les fiers Nénètses de Sibérie et la M-51 Fishtail parka qu’enfilaient, faussement nonchalants, les pilotes de l’US Air Force en partance pour la Corée en guerre.

Selon Lutz Huelle, créateur

Lutz Huelle
Lutz Huelle© MONDADORI

 » La parka, c’est le vêtement classique par excellence, militaire, extrêmement pratique, un peu oversize, avec des poches énormes. J’adore son côté très grand dans lequel on peut se glisser, et qui protège. Comme pour tous les vêtements qui ont été inventés pour servir à quelque chose, ses codes sont immédiatement reconnaissables. J’aime la décliner, la transformer, l’adapter, je la travaille depuis toujours. J’ai déjà coupé le col autour pour le transformer en col en V, placé à l’intérieur des épaulettes forme pagode, j’ai fait de toutes petites épaules, rajouté une bande noire ou de couleur fuchsia, et c’était devenu vraiment autre chose. La parka très militaire et masculine s’était ainsi muée en robe légère. J’en ai également créé en chiffon de soie imprimé crocodile, avec des petits boutons dans le même tissu et une capuche énorme qui retombait tout autour du corps, c’était très joli. Et très cher parce qu’il y avait énormément de travail dedans… Pour cet automne-hiver, j’ai utilisé de vraies parkas militaires, fabriquées par Alpha Industries, qui a débuté à la fin des années 50, à Knoxville, dans le Tennessee, et qui fournit l’armée américaine. Je les ai coupées du col jusqu’au dos en diagonale, j’ai ouvert cette ligne et y ai placé un triangle de double laine rouge et, sur une autre version, un matelassé. Comme le devant est plus large, il tombe vers le bas, les pans se croisent et la veste devient asymétrique. J’ai aussi utilisé ce même principe sur des vestes en jeans, des bombers, toujours en collaboration avec Alpha Industries – en réalité, ces vêtements sont tellement parfaits dans leur classicisme que je ne pourrais jamais parvenir à ce niveau de perfection. Et puis ils sont tellement complexes que ce serait extrêmement compliqué à fabriquer. Ce serait fou de ma part de m’y aventurer, je préfère donc les utiliser tels quels, couper dedans, m’attacher à les détourner et puis confier les finitions à notre atelier à Paris.  »

Lacoste
Lacoste© MONDADORI
Selon Lucas Ossendrijver, directeur artistique de Lanvin Homme

 » Ce que j’aime dans la parka, c’est sa connotation un peu ringarde : pour un créateur, c’est la pièce en soi qui ne donne pas très envie, ce n’est pas très glamour, ni très nouveau. Pourtant, tout le monde en porte – des parkas grises dans la rue, on en voit tant ! C’est une pièce un peu entre deux, on ne sait pas trop ce que c’est, c’est flou, elle peut être très longue ou courte, petite et technique et s’appeler parka… On peut donc l’interpréter très librement, la rendre très noble ; elle offre plein de possibilités. C’est autrement plus ouvert qu’une veste tailleur.  »

Tod's
Tod’s© MONDADORI

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