Stéphane Ashpool
Stéphane Ashpool © Alex Cascallana

Stéphane Ashpool créateur des tenues olympiques des athlètes français : « On m’a dit que cela ressemblait aux couleurs du dentifrice Aquafresh »

Anne-Françoise Moyson

Le créateur touche-à-tout Stéphane Ashpool a imaginé les tenues des 840 athlètes de l’équipe de France olympique et paralympiques des Jeux d’été de Paris 2024. Les sportifs voulaient que ce soit beau et cool. Défi relevé. Avec un message, en plus : vive le métissage.

Stéphane Ashpool s’apprête à aller voir les épreuves des Jeux d’été « un max de chez max ». Et ce n’est pas seulement parce que c’est un amoureux du sport, un basketteur patenté, un ex-bébé danseur, la légende veut que sa rencontre avec le sport date d’avant sa naissance, sa mère danseuse au Moulin rouge a dansé jusqu’à 6 mois de grossesse.

Mais c’est surtout parce que cet « autodidacte touche-à-tout » a signé pour Le Coq Sportif les tenues des 840 athlètes de l’équipe de France olympique et paralympique des Jeux d’été de Paris 2024. Un vrai défi, une première. La mode et le streetwear ont inscrit cet outsider sur la carte de la sphère fashion, avec son label Pigalle, d’abord conçu sous forme de boutique puis de marque, adoubée par Rihanna et ASAP Rocky, récompensée par le grand prix de l’Andam en 2015.

Stéphane Ashpool: « C’était fait pour moi » (copyright Alex Cascallana)

Depuis, il a fréquenté assidument les ateliers des métiers d’art du 19 M, collaboré avec Nike et imaginé un Playground qui claque, rue Duperré à Paris, offrant ainsi un terrain de basket-ball stylé aux jeunes du quartier et aux touristes qui instagramment volontiers cet espace de liberté en plein Paris. Interview d’un homme qui aime les figures libres.

Comment vous sentez-vous à l’avant-veille de ce projet pharaonique qui vous a occupé pendant près deux ans?

C’est comme quelque chose qui approche rapidement mais sans qu’on s’en rende vraiment compte. Je pense que je vais vraiment m’en rendre compte quand les Jeux démarreront. Là je suis un peu… pas anxieux mais excité. Et j’espère vraiment que Le Coq Sportif qui a relevé un challenge absolument gigantesque va réussir à tout livrer en temps et en heure. C’est tellement gigantesque comme projet…

Il y a pas mal de choses qui sont faites sur mesure pour des athlètes qui se sont donnés du mal. Certains ont musclé leurs cuisses de 20 %, donc ils se sentent serrés dans leurs vêtements… Il y a tellement de facteurs qui jouent. Il faut faire un medley entre des productions à des centaines de milliers et certaines pièces qui sont vraiment du sur-mesure de chez sur-mesure. C’est un peu ce doublon-là qui n’est parfois pas simple à faire.

C’est la première fois qu’un seul créateur est chargé de l’ensemble des tenues de l’équipe de France pour les Jeux Olympiques et les Paralympiques. C’était votre exigence ?  

Non, pas du tout. Tout est né d’une rencontre avec le Comité Olympique, dans mon atelier, un rendez-vous d’une heure qui en a duré trois. Le Coq Sportif n’avait pas de directeur artistique. Et le Comité voulait une ligne directrice commune… En trois semaines c’était signé, cela peut sonner très mégalo, mais je pense que c’était vraiment fait pour moi, Je l’ai senti comme ça et je pense qu’ils l’ont ressenti comme ça.

Et pourquoi était-ce fait pour vous ?

Je pense que c’est lié à mon expérience : j’ai travaillé avec une grosse entité comme Nike pendant dix ans, je suis allé souvent dans leurs usines, je suis un des seuls Français, hormis les gens qui travaillent là-bas, à avoir vu les entrailles d’une production de vêtements techniques. J’ai fait des collaborations avec Nike, je participais à des collections pour eux, pour des athlètes. J’ai fait des produits pour des sportifs, cela m’a amené à être proche de la production. Et avec ma marque Pigalle, on a fait quatre ou cinq collab’ très consistantes.

Mais ce n’était pas la raison unique, chaque petit segment a participé. Pour mettre en valeur Paris, notamment, parce que j’ai une volonté de mélanger les gens, je le fais depuis longtemps à travers des fêtes, de la musique et le terrain de basket, le playground Duperré, à deux pas de la place Pigalle… Ça faisait quand même pas mal d’éléments qui se cumulaient. 

Comment avez-vous entamé le processus de création ? Avez-vous d’abord écouté les désirs des athlètes et étudié ce qui s’était fait précédemment ?

En réalité, il y avait un sentiment d’urgence, parce qu’on avait déjà perdu une année à cause du Covid et que les JO de Tokyo s’étaient déroulés un an plus tard. La première chose que j’ai faite, c’est aller dans les ateliers, pour bien comprendre les moyens que j’avais devant moi, essayer de les cibler, pour ne pas me retrouver avec des choses que l’on n’aurait pas été capable de produire, cela aurait été une perte de temps. C’était important pour moi de scanner ça.

Et puis j’ai rencontré les athlètes, cela m’importait aussi. J’en ai rencontré une quinzaine, qui sont arrivés avec des mots clés… Le premier truc qui est sorti, c’est vraiment : « on veut avoir l’air beau et cool ». C’était ok ! Et puis j’ai pris le cahier de charges de Paris 2024, du Comité Olympique, qui est évidemment énorme, avec une régulation gigantesque. J’ai essayé d’assimiler les sports, je les ai observés. J’ai mis mes équipes sur un mood board en leur donnant des mots clés. Et moi, en parallèle, j’ai commencé à produire des pièces qui étaient vraiment de l’ordre de l’atelier couture : j’ai fait des mélanges de plumes, des essais de teinture, des plissés, des broderies chez Lesage…

Je me suis donné ce temps de création libre à juste ressentir les couleurs. Parce que le bleu, le blanc et le rouge, ce ne sont pas des teintes simples. Et partir d’un drapeau, ce n’est pas évident, cela fige. Ces trois blocs de couleurs, il faut se donner le temps de les ressentir et de les recomposer…

Et vous avez carrément réinventé le drapeau français en préférant la nuance, la fusion du bleu, du blanc et du rouge, « symbole de mixité ».

A vrai dire, j’avais une piste différente au départ, plus liée à de la ponctuation de couleurs dans un élément blanc cassé, des taches faites par des fils ou peu importe, sauf que très vite, j’ai dû shifter parce que le tissage aléatoire ou alternatif demande beaucoup de temps, des machines assez précises et finalement, j’ai toujours dû garder en tête que les moyens étaient limités par le fait qu’on produit à proximité.

Tout est fait en France, au Portugal et au Maroc, donc tout ce que les athlètes porteront a été fabriqué à 2 heures d’avions maximum, cela paraît absolument insensé d’y être arrivé ! Parce qu’effectivement, si on va à l’autre bout du monde, en Asie, à Taïwan, au Vietnam ou en Chine, ils ont un parc de machines très élaborées, ce que l’on n’a pas en Europe ni dans le bassin méditerranéen et cela influe donc sur la création. C’est pour ça que j’ai commencé à transformer, à faire de la sublimation, à diluer les couleurs, le bleu dans le blanc et le rouge pour créer de nouvelles couleurs, pour métisser les couleurs. Voilà. Et cela peut effectivement laisser sous-entendre le métissage des corps, des sports et des cultures.

Ce qui a provoqué des critiques …

Oui, il y a eu des critiques qui trouvaient que cela ressemble aux couleurs du tube de dentifrice Aquafresh… Ou d’autres qui disaient que j’avais déformé le drapeau, qu’on ne voyait plus les couleurs. Effectivement, le bleu est turquoise, le rouge est rosé, j’aurais été seul, j’aurais encore poussé plus loin. J’avais même mis du jaune parce que le jaune est très lumineux et qu’il accompagne merveilleusement le bleu et le rouge.

Il y a eu beaucoup, beaucoup de phases de validation. La diplomatie créative était forte mais ne m’a pas brimé. Et puis comme Le Coq Sportif est le petit Poucet, on le respecte moins que si c’est l’énorme machine Dark Vador d’une grosse multinationale. Il y avait toute une danse à faire pour être libre et satisfaire tout le monde. Mais comme je suis très têtu, je suis Bélier, j’ai dépassé les cases… Et même si on me fait descendre un peu, j’aurai toujours dépassé :  si je dépasse d’un mètre et qu’on me fait reculer de 60 centimètres, j’ai quand même dépassé de 40 centimètres. C’est comme ça qu’on change des choses.

Après, il y avait aussi cette envie d’utiliser très peu de blanc optique et de venir avec un blanc un peu cassé, que je trouve plus élégant, comme pour un mariage. C’était aussi un message lié à la célébration et au côté héritage. J’avais envie aussi d’avoir des petits moments lumineux avec de la métallerie, un logo France un peu miroir qui amène de la modernité. Et qui peut faire penser à La Ville Lumière. Je travaille vraiment très librement, je fais mon buffet avec tous les ingrédients, je les mélange en sachant où je veux aller, avec un peu d’intuition et de liberté.

Quel est le message que vous aimeriez que l’on retienne ?

Que ce sont des tenues pour notre époque, que c’est dans l’air du temps, que cela prend en considération l’hier et le demain et que cela a un côté un peu rupture. Innovant. Et évidemment, même en ayant la peau très claire, je suis né d’un métissage de gens qui sont arrivés d’ailleurs en France et que c’est cette France-là que j’ai vu quand j’ai rencontré tous les athlètes, et que ça va être incroyable de voir la parallèle entre ce qui nous arrive politiquement et tous ces athlètes qui représentent la France. Si on prend l’entièreté des athlètes olympiques et paralympiques, le niveau de métissage est absolument incroyable. Et le message de la diversité à travers le sport, c’est la meilleure façon de l’illustrer. Ça va en remettre une couche.

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