Le retour en grâce du lin

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Le lin a tout pour lui: un profil environnemental irréprochable, une solide base européenne, un confort, une beauté et une durabilité intrinsèque, une histoire riche de savoir-faire et d’innovations. Ajouté à cela le momentum. Et l’on comprend pourquoi la mode de ce printemps-été 21 le remet en vogue.

Quand les planètes sont parfaitement alignées, alors soudain l’ampleur d’un phénomène peut se révéler. C’est le cas du lin dans la mode. Cette noble fibre végétale peut s’enorgueillir d’avoir défilé plus que de coutume sur les catwalks et d’être donc bien présente dans les collections printemps-été 21. Mieux, de Paris à Milan, on l’a vue pour la première fois chez Dior, Fendi, Louis Vuitton et Thom Browne. Comme si les maisons de luxe s’étaient donné le mot, emboîtant le pas à quelques visionnaires attachés à cette matière depuis longtemps déjà, toutes générations de créateurs, de créatrices confondues.

Pour les chiffres officiels, on se référera à l’étude de Tagwalk, « The Fashion Search Engine », puissant moteur de recherche lancé en 2016, sollicité par la Confédération européenne du Lin et du Chanvre. Par rapport au printemps 2020, dans les shows du calendrier officiel des Fashion Weeks, on constate une augmentation de 102% de looks en lin et de 49% de designers qui ont eu l’idée de glisser au moins une silhouette en cette matière dans leur collection Femme de la saison. Parmi eux, 64% l’ont osé pour la première fois. Et 28% font partie des griffes appartenant à des groupes de luxe, tels Fendi, Stella McCartney ou Maison Margiela.

Le retour en grâce du lin
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Pour la créativité et ce que le lin génère comme singulière fécondité, on lira ce commentaire de la Belge Sofie d’Hoore, qui aime cette matière depuis toujours: « J’adore cet aspect de froissement tridimensionnel, sa façon de prendre la lumière, de bouger. Même quand je le marie à la dentelle, il ne faut surtout pas le repasser, cela doit rester fluide. » Et l’on écoutera aussi Marine Serre, créatrice française formée à La Cambre mode(s), qui avec pugnacité entend notamment régénérer nappes, draps, rideaux, serviettes déjà usités et les transforme en vêtements du quotidien grâce à son inventivité aventurière. Dans sa collection Core, elle rassemble ce linge de maison dans un chapitre intitulé « Household linen », on y trouve du lin bien évidemment. Et si elle affectionne cette matière, c’est pour « sa fonctionnalité, son utilité, sa résilience, son rapport au temps, son intemporalité, il y a avec le lin un rapport à la résistance, car sa temporalité est longue. Et si je le trouve particulier, c’est aussi pour sa couleur, cette espèce de blanc cassé crème. Cela reste une matière peu teinte, contrairement à la soie ou au jeans. Cela renforce cette neutralité, cette intemporalité ».

Marine Serre a réinventé sa collection, au départ de linge de maison.
Marine Serre a réinventé sa collection, au départ de linge de maison.© SDP

Pour les émotions sensorielles et personnelles, on se reverra en flash-back dans une brocante de la Drôme, tout à la joie d’avoir en main le trousseau d’une arrière-grand-mère inconnue, s’émerveillant de ces draps brodés qui si joliment ont traversé les ans. On s’était alors souvenue fort à propos de ces archéologues paléontologues qui, en 2009, dans la grotte de Dzudzuana, en Géorgie, découvraient de minuscules fragments de fibres de lin, datées de 36.000 ans avant notre ère. Certaines étaient colorées de turquoise, de rose, de noir et de gris, d’autres avaient été clairement modifiées, coupées, tordues, ils avaient trouvé là, sans presque aucun doute, les traces des premiers textiles développés par l’être humain alors chasseur-cueilleur.

Des racines et des ailes

Le lin fascinant est chargé d’histoire, ne l’ignorez plus quand vous lirez l’étiquette de vos vêtements. Mais il a bien d’autres qualités. « Il coche toutes les cases, précise Marie-Emmanuelle Belzung, déléguée générale de la Confédération européenne du Lin et du Chanvre. C’est une fibre végétale de proximité, cultivée en Europe, sur 162.851 hectares, dans une zone côtière qui va de Caen à Amsterdam, en passant par la Belgique, qui représente 80% de la production mondiale. Et ce lin-là est le plus beau. » Il ne s’agit nullement de vantardise, juste une constatation. Car ce terroir circonscrit cumule les atouts pour une culture exigeante, ancestrale: un climat océanique humide, une faible densité thermique avec des températures qui n’excèdent pas 25 °C en moyenne durant la croissance de la plante, des sols généreux, des terres profondes dans lesquelles prédominent les limons, des précipitations qui couvrent naturellement tous les besoins en eau. « Zéro irrigation donc, précise la déléguée générale, zéro défoliant et zéro déchet puisque 100% de la plante est utilisé. Par ailleurs, les producteurs européens de lin fibre se sont engagés sur le zéro OGM. La filière n’est pas encore parfaite mais elle est extrêmement vertueuse. » Et elle en profite pour rappeler que « derrière, effectivement, il y a des hommes et des femmes dont les savoir-faire sont portés par l’innovation ».

On a été bluffé par l’utilisation qu’en ont fait les créateurs.

Pour partie, c’est grâce à sa réinvention et à quelques progrès notoires que cette fibre devenue textile, tissé ou tricoté, défile désormais à Milan ou Paris. « Le tricotage est le fruit d’une innovation récente, mais la première des innovations, tout à fait capitale, date de ces dix dernières années, poursuit l’experte. C’est le lin lavé, qui l’a libéré d’une contrainte de repassage et l’a modernisé. Cela lui a donné un coup de peps. Ce printemps 21, on a vraiment été bluffé par l’utilisation qu’en ont fait les créateurs. Et surpris également, même si on savait que cela allait arriver. Nous avons essayé d’accompagner les innovations, via la maille notamment, portées par les filatures européennes, pour préparer notre filière. Avant la pandémie, il y avait certes déjà eu une accélération, un bouleversement en matière de développement durable, de simplicité, de matières plus vraies, le lin et ses valeurs, correspondent à ces aspirations-là. Dorénavant, les créateurs semblent le vivre comme une réponse à donner au consommateur. »

« Le lin est une fibre têtue, pas facile à tisser », affirme le CEO de Libeco.© SDP

Un amour génétique

Tout ceci fait évidemment le bonheur des tisseurs, qui y voient une reconnaissance de leur métier, et de l’amour qu’ils lui portent. Lequel est souvent génétique, prenez Libeco et sa cinquième génération de tisseurs, désormais élargie. A Meulebeke, en Flandre-Occidentale, cette entreprise peut se targuer de tisser plus de 3 millions de mètres de lin par an, sur les meilleures machines du monde, dans une usine zéro carbone. Bart Vandamme, son co-CEO est « tombé dans le lin » il y a dix ans, il en connaît toute les subtilités – « On dit que c’est une fibre têtue parce qu’elle n’est pas très élastique et donc pas facile à tisser. » Il n’a pas besoin de se forcer pour vanter ses mérites, la beauté de sa patine lorsqu’elle vieillit, le doigté qu’elle exige quand il s’agit de pratiquer à la main le stoppage, le juste équilibre à trouver pour l’apprêtage et le stone washing. Il mesure parfaitement l’engouement qu’il suscite. « Cela fait déjà deux ans qu’on avait remarqué une augmentation de demandes pour des échantillons, surtout de la part de jeunes créateurs plutôt enclins à l’écologie et à l’utilisation de ressources locales. Depuis, cela a explosé. Nous travaillons avec Icicle, Bottega Veneta, Hermès, Chanel. » Et ces lettres de noblesse s’ajoutent au reste, à la diversification de la palette de produits, de l’ameublement au canevas des toiles pour les peintres, Rubens et Picasso en savent quelque chose, du linge de maison aux raquettes de tennis et autres planches à voile, car c’est une fibre haute performance qui entre dans la composition d’une nouvelle génération de composites – mais ça, c’est une autre histoire.

Cent jours après les semis, la plante est arrachée, le temps du rouissage peut commencer.
Cent jours après les semis, la plante est arrachée, le temps du rouissage peut commencer.© S.RANDÉ

Pendant ce temps, dans un champ hesbignon, non loin de Saint-Trond, Bert Wolfcarius, pour l’entreprise familiale Flaxbox, prépare ses semis de lin de printemps tout en surveillant avec un peu d’inquiétude ses lins d’hiver – sa réponse au réchauffement climatique. « Je cherche à le résoudre, ce défi, avec de nouvelles variétés qui pourraient plus résister au gel. Le lin a besoin de modération: pas trop de gel, pas plus de 30 °C, un peu de soleil, un peu de pluie… » Dans quelque 70 jours, il aura poussé, il aura fleuri, il craindra les orages mais plus les altises, ses ennemis ravageurs. Il lui faudra encore 30 jours avant d’être arraché pour rouir à même la terre, dépendre encore de la météo et être finalement teillé mécaniquement dans l’usine de Zulte. Puis plus tard et ailleurs, être filé, tissé, apprêté, teint, ennobli, coupé, cousu et défiler enfin sur un catwalk pour mieux descendre dans la rue, la boucle est bouclée.

Cent jours après les semis, la plante est arrachée, le temps du rouissage peut commencer.
Cent jours après les semis, la plante est arrachée, le temps du rouissage peut commencer.© S.RANDÉ

C’est l’histoire de cette tige au profil environnemental irréprochable, aux petites fleurs bleues qui ne vivent qu’un matin, que Bert et quelques collègues de la filière comptent raconter à qui veut les écouter à Paris, dès ce 17 avril, dès la réouverture des grands magasins, si l’époque hautement virale n’en décide pas autrement. Ces liniculteurs européens devraient y avoir les deux pieds plantés dans un champ de lin qui colonisera les trottoirs de la rue de Rivoli et du Bazar de l’Hôtel de Ville ainsi paré de vert durant un mois de « Jardinons », l’occasion de répéter « J’aime le lin ».

« Jardinons », au BHV Marais, à Paris, du 17 avril au 16 mai (en principe). Le champ de lin ainsi planté par le groupe Depestele est une initiative de la Confédération européenne du Lin et du Chanvre.

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