Les dessous de la cravate
Vous l’avez peut-être portée cet été à l’occasion d’un mariage, ou sortie du placard pour vous présenter au bureau ou à un entretien d’embauche. Pourtant, la cravate n’a pas d’utilité en soi, si ce n’est affirmer un style. D’où vient ce curieux accessoire, et que signifie-t-il ?
Le port de la cravate est à l’origine militaire. Dès le IIIème siècle, des foulards de soie colorés permettaient aux soldats chinois de distinguer leur grade. Mais le vocable « cravate » n’est utilisé qu’à partir du XVIIème siècle. Il désigne alors les cavaliers croates de la garde du roi Louis XIII, reconnaissables à la bande de tissu nouée autour de leur cou. « Cravate » serait donc une déformation de « Croate » même si, selon certains linguistes, le mot serait apparu dès le XVIème siècle dans les écrits du poète Eustache Deschamps. L’accessoire, qui permet d’arborer les imposantes perruques en vogue à l’époque, remplace rapidement les fraises et les dentelles dans les cours d’Europe. Au point que le Louis XIV créé en 1669 la fonction d' »écuyer cravatier du Roi ».
La parure devient réellement populaire lorsque, au XVIIIème siècle, le peuple s’y essaye pour imiter les personnalités de l’époque, du penseur Diderot au comédien Garat. Honoré de Balzac, dans son article « Physiologie de la toilette » publié en 1830 dans le journal La Silhouette, explique que, « sous l’ancien régime, chaque classe de la société avait son costume ; on reconnaissait à l’habit le seigneur, le bourgeois, l’artisan. » À la Révolution, ces différences de toilettes se seraient gommées, délaissées au profit de tenues sobres. « Par quel signe extérieur distinguer le rang de chaque individu ? Dès lors était réservée à la cravate une destinée nouvelle : (…) elle devint le critérium auquel on reconnaîtrait l’homme comme il faut et l’homme sans éducation. »
Et la cravate devint virile
Ces modèles n’ont cependant que peu à voir avec la cravate d’aujourd’hui. Sa version moderne, dite « régate », est mise au point dans les années 1920 par le cravatier new-yorkais Jesse Langsdorf. Il a l’idée de découper le tissu dans la diagonale, afin d’éviter l’effet « tire-bouchon ». Cette innovation s’accompagne d’une plus grande variété de motifs et coloris, et du phénomène de la « cravate-club ». Elle devient les armoiries d’une organisation, notamment dans les prestigieuses universités anglaises et américaines, et donc essentielle dans les sphères du pouvoir. Elle s’est ensuite adaptée à la mode du moment. Comprise entre 7,5 à 8,5 cm aujourd’hui, à l’exception des modèles « slim », sa largeur a connu de grandes variations. Dans les années 1970 par exemple, la mode était aux modèles larges, jusqu’à 14 cm, s’accordant aux pantalons pattes d’éléphant et cols pelle à tarte.
La cravate est aussi devenue virile ; portée tant par les femmes que les hommes à la Renaissance, elle est aujourd’hui devenue un symbole du masculin. Ces usages féminins modernes proviennent tout d’abord d’initiatives d’émancipation et de contrôle de sa propre image. George Sand, Coco Chanel ou Marlène Dietrich l’avaient adoptée, visant un look androgyne, aujourd’hui popularisé dans le style tomboy. Plus récemment, la cravate a également été associée à l’affirmation de son homosexualité, portée par exemple par l’actrice Ellen Page ou la présentatrice de télévision Ellen DeGeneres. Ou tout simplement pour revendiquer le droit au mélange des genres ou à l’égalité homme-femme sur les tapis rouges hollywoodien.
Mais dans le milieu des affaires ou de la politique, les femmes, même haut placées, ne portent pas cet accessoire. Angela Merkel en est un bon exemple ; la chancelière allemande se présente régulièrement en pantalon, veste et chemise, tenue plutôt masculine, mais jamais assortie d’une cravate. Pourquoi ? Si celle-ci symbolise en effet le pouvoir, elle revêtirait aussi un autre sens plus… métaphorique. Pour preuve, lors de la Weiberfastnacht de Cologne, sorte de fête des fous, les femmes ouvrent le carnaval et prennent le pouvoir pour la semaine… en coupant aux ciseaux la cravate de leur patron.
Un monde de significations
Plus qu’un accessoire, la cravate est un mode d’expression. La manière de faire le noeud est notamment très codifiée. Simple, Victoria, Windsor ou noeud double, demi Windsor, Saint-André, Cavendish… il existerait 85 manières de la nouer, selon une étude de 1999 des mathématiciens américains Thomas Fink et Yong Mao, même si seulement 13 d’entre elles seraient véritablement esthétiques. La couleur est également un étendard important ; les représentants de commerce la portent de manière à représenter leur entreprise, quand les hommes politiques y expriment leur orientation. Vert pour les écologistes, rose pour les socialistes, orange pour les centristes. Et traditionnellement bleu pour les républicains, rouge pour les démocrates, même si le code peut être parfois inversé.
Plus récemment, c’est son non-port qui est devenu un moyen de s’affirmer. Les députés du parti français d’extrême gauche La France insoumise ont notamment obtenu, en juin 2017, de ne plus avoir à se présenter aux séances de l’Assemblée nationale en veste et cravate, tenue conventionnelle mais en effet non-obligatoire, se comparant alors aux « sans-culottes ». La cravate est en effet de moins en moins présente dans la vie quotidienne de la plupart des hommes, particulièrement dans le cadre du travail. Elle est même parfois rejetée, avec l’émergence du phénomène Friday Wear. Le vendredi, jour précédent le week-end, il est maintenant permis de faire tomber la cravate dans certaines entreprises. Jusqu’au prochain effet de mode ?
Juliette Chable
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