Les jolis looks d’antan

" La meilleure carapace n'est autre que celle qui nous rappelle les moments heureux que nous avons vécus. " © Getty Images
Catherine Pleeck

Shorts à bretelles, blouses volantées, bloomers, cardigans et béguins : le vestiaire rétro séduit. Une envie de retourner dans le passé, moins morose et connecté, dont l’image a été sublimée au fil des années. Mais rien de suranné, l’idée est d’ancrer ces madeleines de Proust dans la modernité.

Chez Florence Peslard, mieux connue sur Internet sous le pseudo J’aurais pu m’appeler Marcel, des planches botaniques et animalières vintage sont punaisées aux murs. Dans un vieux canapé en cuir patiné par le temps, cette mère de famille nombreuse aime tricoter une grosse maille écrue. Il suffit d’observer le vestiaire de ses bambins pour retrouver le parfum désuet de cette époque où elle et sa soeur jumelle étaient hautes comme trois pommes, lorsque leur mère couturière leur fabriquait des robes, portées avec des babys et des socquettes.  » J’aime bien ce côté rétro, confirme la Française.

Le blog J'aurais pu m'appeler Marcel
Le blog J’aurais pu m’appeler Marcel© DR

Je craque devant mes garçons habillés avec des chaussettes hautes et un petit bloomer ou un pantalon à bretelles. Il y a aussi l’aspect pratique. Jude a 1 an et il est à l’âge où il n’accepte pas d’avoir quelque chose sur la tête, ses chapeaux volent très vite ! Par contre, il supporte mieux les béguins, plus légers, qui se nouent autour du cou et sont moins encombrants.  »

Un coup d’oeil sur les comptes Instagram d’autres mamans influenceuses ou sur les collections de marques de niche, comme Caramel et son élégance so British, Soor Ploom et sa notion du vintage eco-friendly, Misha and Puff et sa maille tricotée main au Pérou, ou encore Le Petit Germain et ses charmants gilets, permet de se rendre compte que J’aurais pu m’appeler Marcel n’est pas la seule à céder à cette vague nostalgique. En Belgique aussi, la tendance se fait ressentir, que ce soit via les beaux pyjamas gansés à l’ancienne du jeune label JoMarine, les robes-tabliers de Bonjour ou les smocks des griffes Les Trois Eléphants ou Les Petites Abeilles.

Les jolis looks d'antan
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Plus largement et d’un point de vue stylistique, cet engouement pour le passé se manifeste dans les détails : un boutonnage dans le dos, des bloomers, des cols arrondis, des pulls maille pop-corn, des volants, des bretelles, des cardigans, des bottines lacées en cuir cognac… Car les couleurs ne sont pas en reste.  » Le moutarde, le vert sourd, le bourgogne, les bruns : toutes ces teintes ont traversé le temps des années 1940 à 1980, en réalité « , constate Camille Chandèze-Longuépée, fondatrice de Le Petit Germain. Pour elle, pas question de se limiter à un bleu ciel ou un rose classique.  » J’aime les tons qui vibrent. Ce sont pour moi des demi-teintes : l’ocre n’est qu’un jaune que l’on a mélangé avec un brun. Cela peut aussi être un bleu-vert-grisé, l’important est que ce soit intense, que cela dégage quelque chose et ne soit pas juste un aplat sans vie. « 

On ne peut reproduire tel quel un vêtement du passé.

Oh happy days

D’après l’e-shop Smallable.com, qui sélectionne ce qui se fait de mieux et de plus hype dans la mode enfantine depuis près d’une décennie, cet amour pour les garde-robes d’antan a vu le jour il y a deux ou trois ans. Tout d’abord de manière confidentielle, avant de conquérir toujours plus d’adeptes. Une ferveur qui n’est pas près de s’arrêter.  » Cet engouement pour le rétro perdurera encore l’été prochain, avec un esprit Happy Days, prédit Martine Chadenier, directrice de style pour le bureau de tendances Peclers Paris. Des teintes ensoleillées, un style graphique, une notion de fraîcheur et d’élégance : les clients ont besoin de collections joyeuses, qui rassurent et prennent le contre-pied de cette période un peu trouble.  » Naturellement, la mode enfantine se nourrit de son pendant adulte, en laissant de côté les courants plus pointus, en s’arrêtant davantage sur ceux qui s’intègrent facilement dans son discours.  » C’est ce qui explique ce grand retour de la féminité et de l’élégance. Des codes qui sont repris chez l’enfant, via des smocks, des vêtements joliment fabriqués « , précise l’experte.

Louise Louise
Louise Louise© GETTY IMAGES / SDP

A noter que cet enthousiasme pour le vintage ne se limite pas au secteur de la mode, mais touche toute la société. Selon Sébastien Durand, conseil en communication, auteur de l’ouvrage Storytelling, réenchantez votre communication, paru aux éditions Dunod,  » cela se retrouve dans d’autres domaines, comme l’automobile ou l’alimentation « . Cela influence même le choix des prénoms des bébés, comme Marcel, Rose, Léonie ou Gaspard.  » Dans l’univers de l’enfance, cela concerne aussi la déco, la technologie, les jouets et vélos, jusqu’aux brosses à cheveux et produits de beauté « , remarque Cécile Roederer, cofondatrice de Smallable, qui référence 230 marques bébés, enfants et ados. Pour être dans l’air du temps aujourd’hui, il faut vraiment regarder dans son rétroviseur.  »

Slow, slow

Caramel @ Zalando
Caramel @ Zalando© GETTY IMAGES / SDP

Avec Internet et l’internationalisation des tendances apparaissent différentes mouvances.  » Il n’existe plus un seul grand courant, mais plusieurs, simultanés, qui piochent dans les époques et s’inspirent de ce qu’il y avait de mieux alors, analyse la créatrice du label Le Petit Germain. Chez l’enfant, en plus du vestiaire des années 1950 et 1960, on observe aussi des silhouettes plus étriquées qui évoquent les années 1970, les shorts en éponge…  »

 » La mode connaît depuis toujours des effets de balancier, confirme Sébastien Durand. Quand elle ne se tourne pas vers l’avenir, elle aime reprendre des éléments connus des décennies précédentes. Une nostalgie de nos propres années ou de celles qu’on aurait aimé connaître. Elle oscille entre des moments où elle va de l’avant et des périodes où elle regarde en arrière, pour des raisons qui peuvent être positives ou pas.  » Au rayon négatif, il y a la peur du futur, marqué par les crises et le terrorisme.  » On veut se rabattre sur des références qui nous apaisent, que ce soit dans les formes, les motifs ou la gamme chromatique. La meilleure carapace n’est autre que celle qui nous rappelle les moments heureux que nous avons vécus et que nous pouvons porter sur soi, via un vêtement.  »

Soor Poom
Soor Poom© GETTY IMAGES / SDP

Autre raison expliquant cet attrait néostalgique ? Le syndrome de Peter Pan.  » La nouvelle génération d’adultes ne veut pas se sentir vieillir, poursuit le pro du storytelling. Elle assume le fait qu’elle aime encore son doudou, ses jeux vidéo, ses dessins animés. Et elle fait porter à ses enfants ce qu’elle aimait à l’époque, comme si le temps ne s’était pas écoulé entre eux.  » Ce n’est pas autre chose qui motive Anna Wallack, à l’origine de la griffe américaine Misha and Puff.  » Se sentir connectée aux vêtements est vraiment important pour moi, affirme-t-elle. J’aime être ramenée à l’enfance. J’aime aussi penser à cette époque où les fringues n’étaient pas jetables. Vous possédiez moins de pièces, mais la qualité était au rendez-vous. Elles étaient faites pour durer. C’est quelque chose de très important pour ma marque. Si vous vous offrez un pull pour l’hiver, vous devriez pouvoir le porter chaque jour. Il doit résister au temps et continuer de paraître incroyable.  »

Le Petit Germain
Le Petit Germain© GETTY IMAGES / SDP

Un état d’esprit qui correspond totalement à la mouvance slow, qui traverse actuellement aussi bien l’univers fashion que celui de la gastronomie ou la beauté. Très représentée sur Instagram par des familles établies aux quatre coins du monde, cette façon d’appréhender les choses prend conscience de l’importance de se déconnecter, de ralentir, de prendre le temps, de soigner la planète, de bien manger, de s’habiller de manière consciente… De mieux vivre, en somme.

 » Quand je dessine une collection ou quand je pioche dans le dressing de mes enfants, je me pose souvent la question : si je voyais une photo de ce look, serais-je capable de dire à quelle époque il a été créé ?, poursuit Anna Wallack. J’adore quand la réponse est non. Je ne suis pas anti-tendance, mais je suis contre la branchitude. J’aime l’intemporalité. Il en va de même pour les silhouettes, les détails ou les couleurs. Une pièce peut faire référence aux seventies, mais cette époque a elle-même été inspirée par une période antérieure. Nous travaillons toujours avec une longue histoire d’emprunts et références, c’est ce qui nous relie à un récit plus large.  »

Pointu mais inspirant

Louise Misha
Louise Misha© GETTY IMAGES / SDP

Attention toutefois à ne pas tomber dans la généralisation. Surtout ne pas croire que cette mode rétro va se retrouver sur chaque banc de chaque école.  » Ces nuances de brun ou de moutarde sont assez difficiles à travailler d’un point de vue stylistique, avoue Martine Chadenier. Ce sont des coloris de niche. On les retrouve dans les garde-robes des enfants de jeunes mamans blogueuses ou d’initiées. Mais ce n’est pas forcément quelque chose qui plaît à tout le monde et que nous allons reprendre dans la grande distribution. Ces couleurs ne sont pas si faciles que cela à porter, elles ne conviennent pas forcément à toutes les peaux.  »

Mais l’influence de ces jolis labels reste toutefois indéniable. Les marques plus grand public osent de plus en plus saupoudrer ces teintes dans leurs collections, accompagnées de tee-shirts à volants, de bretelles ou de cardigans à l’ancienne.  » L’idée d’associer ce genre de pièces à des produits plus quotidiens, comme le denim, plaît davantage, poursuit l’experte de Peclers Paris. C’est plus moderne. On mixe par exemple un manteau traditionnel à carreaux avec un sweat-shirt zippé. On va twister ces looks vintage. Les adoucir, les croiser, les bousculer, de façon à les rendre plus actuels. Le tout en améliorant le porté et en gardant cette notion de confort très importante pour les enfants.  »

Misha and Puff
Misha and Puff© GETTY IMAGES / SDP

Car il n’est pas question ici de céder à la moisistalgie,  » cette nostalgie poisseuse qui consiste à rester braqué sur le passé et croire que tout était mieux précédemment « , résume Sébastien Durand. Si la mode est friande de madeleines de Proust, elle est aussi très forte pour faire preuve d’amnésie sur certains chapitres de son histoire.  » Il me semble que nous avons tous en mémoire l’horreur des cagoules en laine que nous enfilaient nos parents, l’hiver, pour nous tenir chaud « , sourit Cécile Roederer. Et que dire de ces tissus rêches ou encore de ces tee-shirts en acrylique et polyester adulés dans les années 1970 ?

 » Il est évident qu’on ne peut reproduire tel quel un vêtement du passé, confirme la créatrice du Petit Germain. Les matières nous sembleraient trop raides et franchement pas agréables à porter. Il faut savoir adapter ces modèles et ces influences au confort auquel nous nous sommes habitués, sans oublier la praticité des vêtements, car nous n’avons majoritairement pas une heure pour nous habiller le matin, mais plutôt cinq minutes chrono !  » La mode doit donc définitivement pouvoir se réinventer et réinterpréter ces best-sellers de jadis.  » Cela passe par de nouveaux tissus, de nouveaux imprimés, de nouvelles formes, note la cofondatrice de Smallable.

Neck & Neck
Neck & Neck© GETTY IMAGES / SDP

Il est également possible de moderniser une marque à travers ses moyens de production, que ce soit grâce à du commerce équitable ou des matières premières écologiques. Des maisons emblématiques, comme Aigle, Petit Bateau ou Armor Lux ressortent de leurs archives des motifs, des bottes, des pulls et des vestes créés il y a plus de cinquante ans, et arrivent parfaitement à les remettre au goût du jour.  » Ou comment boucler éternellement la boucle des inspirations temporelles.

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