Mary Katrantzou, reine des imprimés et incontournable de la mode britannique

© sdp

Depuis dix ans, fidèle à son amour de l’imprimé rehaussé d’ennoblissements, la créatrice imagine des silhouettes féminines et ludiques. Depuis son atelier de l’East London, elle ose la nostalgie joyeuse, part s’exposer à Dallas et chérit son titre, Queen of prints. Une figure incontournable de la scène brit’, tout en singularités.

Elle a choisi d’habiter dans un quartier populaire où pactisent take-away exotiques, coiffeurs sans prétention et indispensables wasserettes. Au fond d’une cour de la New North Road, London, sur deux étages d’un bâtiment en brique rouge, avec fenêtres à croisillons, Mary Katrantzou a installé son studio, son équipe, ses matières premières, son passé et son futur. Sous les rangées de néons pâles s’amoncellent ses archives, dix ans de création bien ordonnée, qui s’apprêtent à traverser l’Atlantique, direction le Texas où les attend le Dallas Contemporary museum qui fête ses 40 ans avec cette exposition solo, laissant entrer ainsi la mode en son sein pour la première fois, quel honneur.

La curatrice Justine Ludwig ne voulait pas d’une rétrospective chronologique, Mary Katrantzou non plus. Elles ont préféré jouer les catégories chromatiques pour mettre en scène 200 vêtements tout droit sortis de son imagination, qu’elle n’a jamais craint de débrider. Car depuis ses débuts officiels, en septembre 2008 exactement, la jeune femme s’essaie à traduire ce qui gravite dans son cerveau et elle y réussit avec une vitalité contagieuse. Enserrées délicatement dans leur housse en plastique, ses robes aux mille ennoblissements attendent le signal de départ, posées ainsi à plat, offertes au regard, elles racontent ses racines, la Grèce, sa joie à juxtaposer les images, son goût pour les collages, ses envies de volumes, son amour immodéré pour les savoir-faire et les techniques artisanales.

Un printemps-été comme un hommage à l'enfance, à sa créativité et aux friendship bracelets.
Un printemps-été comme un hommage à l’enfance, à sa créativité et aux friendship bracelets.© sdp

N’a-t-elle pas osé demander aux ateliers Lesage une  » pencil skirt  » en vrais crayons ? N’a-t-elle pas choisi des fils d’or pour rehausser les broderies qu’elle avait commandées à la vénérable maison Hand & Lock, fournisseur de la cour depuis 1767 ? N’a-t-elle pas toujours parsemé ses trompe-l’oeil de cristaux Swarovski habilement placés çà et là ? Et pour ce printemps-été 18, n’a-t-elle pas désiré très fort l’impossible, trois robes en  » friendship bracelet « , un macramé délicat dont on fait des colifichets à nouer au poignet, qui exige talent, patience et abnégation, surtout en format fourreau frangé ?

Happy birthday

Elle semble s’enchanter sans fin de ce cadeau d’anniversaire, cette expo nommée Mary Katrantzou, Queen of prints, on reviendra sur ce titre qui ne se contente pas de sonner comme un surnom.  » C’est toujours beau de voir des bouts de ses collections dans un musée, dit-elle d’une voix claire et joyeuse. Et puis c’était le bon moment pour se pencher sur tout ce que nous avons réalisé depuis dix ans. Tout va si vite, je n’avais jamais eu un instant pour célébrer quoi que ce soit et encore moins pour regarder derrière moi. «  Car il est vrai que sa carrière a ceci d’extraordinaire qu’elle ne lui a pas laissé un instant à elle dès lors qu’elle eut trouvé sa voie.

Expo de Dallas -
Expo de Dallas –  » Quand on cartographie mes collections, on comprend tout de suite mon travail, mon sens des couleurs, comment je les nuance et comment je joue avec elles « , dit Mary Katrantzou.© DR

De son enfance à Athènes, dans une maison décorée par ses parents, mère architecte d’intérieur et père ingénieur textile, on voit d’où peut venir la justesse de ton. De sa scolarité en forme de choix assumés, on comprend l’harmonie, même si pour elle, c’est après coup seulement. En 2003, à 20 ans, Mary s’inscrit en architecture, à la Rhode Island School of Design, USA. Mais très vite, la voilà à Londres, elle y a rejoint son amoureux, le même que celui à qui elle destine encore et toujours le coeur qu’elle porte discrètement au majeur de la main gauche. Elle décide alors d’étudier le design textile à Central Saint Martins.  » La mode n’était pas à l’ordre du jour, je n’y ai jamais pensé avant mon Master. Dans un coin de ma tête, cela devait sans doute bien être présent mais je ne l’ai compris que lorsque j’ai été prête… Ce fut une révélation. « 

Mary Katrantzou, reine des imprimés et incontournable de la mode britannique
© sdp

En réalité, la fin de son Bachelor la pousse à essayer  » quelque chose de nouveau « , influencée positivement par ses amis qui s’adonnent également au print mais à destination vestimentaire.  » J’aimais l’idée de travailler sur et pour un corps de femme, je trouvais cela plus profond conceptuellement. Et plus stimulant. Je pensais des papiers peints, des rideaux, des tapis, tout était si plat, rien ne changeait, tandis que là, il fallait créer en tenant compte des proportions, en trois dimensions, pour une personne vivante. Je rêvais de ce challenge, j’avais envie de me tester. «  N’allez surtout pas croire que Mary Katrantzou y va la fleur au fusil, elle se sait autodidacte et débutante –  » Mes références mode étaient pratiquement inexistantes, je n’avais aucune compétence. « 

Si l’audace l’habite, les doutes aussi. Jamais elle n’oubliera ce que, à peine diplômée, Louise Wilson lui a soufflé – c’est pour elle, entre autres, pour suivre les enseignements de cette professeur hors normes, directrice du cursus MA Fashion de Central Saint Martins, qu’elle avait bifurqué et embrassé la mode. En substance, et en anglais, il était question de ses doutes, la phrase dit ceci :  » The greater the artist, the greater the doubt. Perfect confidence is granted to the less talented as a consolation prize. «  Mary se tait, passe la main dans ses cheveux qui cascadent, n’en revient toujours pas,  » my god, it is an amazing quote « .

Mary Katrantzou, reine des imprimés et incontournable de la mode britannique
© sdp

En 2008, forte de cette bénédiction-là et du soutien du British Fashion Council via la plate-forme NewGen, sponsorisée alors par Topshop, elle lance son label à son nom et présente sa première collection pendant la London Fashion Week. Ses imprimés frappent les esprits, ils prennent le corps d’assaut, elle y forgera sa signature. Avec réjouissance, elle les patchworke, ne s’interdisant jamais rien, il n’y a pas une image qui ne la nourrit pas – bouteilles de parfum oversize, portraits XVIIIe siècle, verre soufflé, objets de tous les jours, oeufs Fabergé, porcelaine de Saxe, intérieurs shootés par Guy Bourdin ou Helmut Newton, carlingues de voiture, timbres vintage, photos de paysages brumeux, blasons médiévaux et symboles quotidiens.

Elle rafle les prix, le Swiss Textiles Award (2010) et le British Fashion Award for Emerging Talent (2011), le BFC Vogue Designer Fashion Fund (2015), collabore avec les marques Longchamp, Current Elliott, Adidas, bosse la nuit, s’habille toujours de noir et finit par être lassée de son titre et de ses imprimés.  » Je n’avais plus du tout envie de porter ce  » Queen of prints « . Ce n’est pas que j’étais contre, c’est là qu’est mon coeur depuis toujours, mais nous en avions développé beaucoup, je sentais que nous avions repoussé les limites grâce aux images digitalisées, que notre travail avait été audacieux mais que cela oblitérait finalement le reste. D’autant que c’était alors bien plus qu’une tendance ; comment se distinguer quand le monde entier est fou de prints? Je voulais être capable de me concentrer sur d’autres choses, combattre simplement la nature stérile qui nous emprisonne parfois. J’ai alors décidé de faire défiler une collection printemps-été 15 sans aucun imprimé. Puis j’ai traversé tout cela… Et je les ai à nouveau intégrés, doucement. Je trouvais que j’avais une responsabilité à l’égard de ma marque et des femmes qui la portent, je me devais d’offrir le meilleur de ce que l’on peut trouver chez nous. «  Michelle Obama, Cate Blanchett, Michelle Pfeiffer, Zendaya et toutes les autres, plus anonymes et moins red carpet, lui en savent gré.

Mary Katrantzou, reine des imprimés et incontournable de la mode britannique
© sdp

La joie de vivre

Le calendrier dictant sa loi, il est désormais l’heure de célébrer son essence. Mary Katrantzou fête ses dix ans dans un grand élan juvénile et s’adonne à ce qu’elle fait de mieux, juxtaposant à foison ce qui peuple sa banque de données intime, la joie en plus. Son printemps-été 18 a des parfums d’enfance, beaucoup d’innocence et un peu de légère nostalgie, un imaginaire collectif que partagent les mômes des eighties, peuplé de ballons, de Lego, de Hama Beads, de jeu de coloriages numérotés, de sacs de plage gonflables, de bracelet de l’amitié et de jelly shoes (ces fameuses sandales en plastique) vraiment désirables, ce n’est pas un caprice, promis.

Des jelly shoes en plastique estival.
Des jelly shoes en plastique estival.  » N’est-ce pas un peu trop fou ?  »  » Mais non. « © sdp

 » Je ne sais pas pourquoi mais cela fait deux saisons que je travaille sur des références à l’enfance : l’automne-hiver s’inspirait de Fantasia, le film d’animation de Disney qui date de 1940, et celle-ci de toute cette créativité dont j’étais fan. C’est un challenge extrêmement intéressant, d’autant que j’étais consciente de réaliser des silhouettes sophistiquées et matures, qui n’ont rien d’enfantin mais sont pourtant ludiques. Je voulais décupler cette inspiration grâce aux techniques souvent très artisanales qui les amènent vers une certaine modernité et une pertinence contemporaine. Je sais que ce style peut provoquer des émotions chez chacun, ces idées sont tellement universelles, peu importe où vous avez grandi, que vous soyez un garçon ou une fille, il y a quelque chose de particulier à se remémorer ces instants-là, quand vous jouiez, vous coloriez, vous bricoliez… Et les jelly shoes font partie de ces souvenirs. Je me suis demandé :  » N’est-ce pas un peu trop fou ?  » Mais non, ça ne l’est pas. Si c’est flatteur, féminin et désirable, il n’y a rien de sot là-dedans. « 

Porter sa fantaisie en bandoulière.
Porter sa fantaisie en bandoulière.© sdp

Mary rit, un éclat espiègle qui emporte tout sur son passage, à son cou veille discrètement un pendentif en forme d’oeil porte-bonheur. Elle a beau avoir signé dix ans d’une garde-robe qui fait sens, elle doute encore, « à 100 % et tout le temps ». « Ce ne serait pas naturel si je créais une collection sans douter, ce serait comme si cela m’importait peu. Il faut douter, sans cela, pas d’expérimentation possible. » C’est là que réside son secret, l’étincelle qui fait d’elle une créatrice ; on ne se lasse pas de contempler l’aura qui se dégage d’elle quand elle l’évoque. Il est question soudain d’un projet, dans un futur plus ou moins proche, elle travaille aux costumes d’un ballet avec les chorégraphes du Sadler’s Wells Theatre et Vangelis. Elle s’émerveille, Evángelos Odysséas Papathanassíou, à 75 ans, est toujours aussi « curieux ». « Comment se fait-il qu’à cet âge-là, il ait de telles idées, et si modernes? Il est incroyablement visionnaire. Il m’inspire… » Et comme une enfant qui a trouvé un trésor et qui n’hésite pas à le partager, Mary Katrantzou fait alors un voeu tout haut : « Que chaque designer puisse vivre des moments pareils, où l’on aiguise sa créativité dans une autre catégorie que la sienne, sur un projet qui n’est pas commercial, où il faut penser au mouvement différemment et regarder le corps humain autrement. » Ainsi soit-elle.

La reine des prints est aussi la reine de l'ennoblissement.
La reine des prints est aussi la reine de l’ennoblissement.© sdp

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content