Michael Kors, portrait d’un insatiable

Michael Kors, insatiable créateur © photos : imaxtree / sdp
Isabelle Willot

A 60 ans, le créateur new-yorkais a bâti un empire. Mais rien ne le rend plus fier que de croiser dans la rue une femme qui porte l’un de ses sacs ou l’une de ses fragrances. Pour la dernière campagne du parfum Wonderlust, il a choisi Gigi Hadid, incarnation uberfollowée de la jet-setteuse d’aujourd’hui.

Au milieu des années 80, Alphaville sanctifiait la jet-set sur l’album Forever Young. Michael Kors, lui, rêvait d’habiller ces nomades  » on the go  » en ouvrant son premier corner chez Bergdorf Goodman, le célèbrissime grand magasin de luxe new-yorkais. Le groupe de synth-pop est tombé dans l’oubli mais le natif de Long Island est devenu milliardaire, adjoignant ainsi un nouvel épisode, sous le signe de la mode, à la mythologie du rêve américain. Elevé par une mère célibataire et top model, c’est aux femmes actives qu’il a toujours pensé en dessinant ses collections, qu’elles soient aussi connues que Michele Obama ou Amal Clooney, ou qu’elles fassent partie des millions de fières propriétaires anonymes d’un sac ou d’une montre siglés MK.

Le parfum, c’est l’accessoire ultime, celui que l’on emmène partout avec soi

Roi des podiums aux Etats-Unis – lors de son défilé printemps-éte 20, le 11 septembre dernier, Nicole Kidman, Rachel Zoe et Kate Hudson se pressaient aux premiers rangs -, c’est pour ses accessoires qu’il est surtout connu en Europe. Où que vous vous trouviez, au bureau, au resto, dans le métro, vous avez de grandes chances d’apercevoir l’un ou l’autre de ses modèles. Des it bags pensés pour séduire les HENRY (NDLR : high earners not rich yet, soit à l’aise mais pas encore riche) et dont les prix dépassent rarement les 500 euros.  » Je crois que les femmes se sont distanciées de l’idée de posséder « le » sac de la saison super-trendy, explique-t-il lorsqu’on lui demande la recette de ce succès planétaire. Elles préfèrent investir dans des accessoires qu’elles utiliseront longtemps et c’est ce genre de produit-là que je dessine. Celui qu’elles attrapent jour après jour et qui de ce fait devient « leur » it bag parce qu’il est pratique, polyvalent et luxueux tout à la fois.  »

En backstage du défilé automne-hiver 19-20 de Michael Kors.
En backstage du défilé automne-hiver 19-20 de Michael Kors.© photos : imaxtree / sdp

Fonctionnel avec un soupçon de glam

Le jour de notre entretien téléphonique, il vient de rentrer des îles Turks et Caicos où s’est tournée la nouvelle campagne du parfum Wonderlust. L’archipel des Bahamas était encore intact. Et c’est une Gigi Hadid mutine et rêveuse à la fois que l’on voit virevolter à sa guise, un flacon géant dans les bras, sur des plages de rêve depuis lors en partie dévastées par l’ouragan Dorian…  » Je connais Gigi depuis un petit temps maintenant, détaille Michael Kors. Elle vit sa vie comme je vis la mienne : elle est toujours prête à tout essayer, elle est drôle et intelligente. Je cherchais quelqu’un qui puisse exprimer la joie, la curiosité. A chaque fois qu’elle touche quelque chose, cela lui réussit. D’une certaine manière, elle incarne la jet-set d’aujourd’hui : même si personne ne voyage plus qu’elle, c’est avant tout un état d’esprit.  »

A 60 ans, le créateur pourrait se croire arrivé, avoir l’envie de passer la main. Mais il n’en est rien. Avant d’intégrer le top 100 de Forbes, il a pourtant connu l’échec – sa première marque simplement baptisée Kors ne résistera pas à la crise des années 90 -, mais une success story qui se respecte comprend systématiquement quelques ratés. A l’entendre, la mode a toujours fait partie de sa vie. Il n’a que 5 ans lorsque sa mère, le mannequin Joan Hamburger, le laisse retoucher la robe de son deuxième mariage : il enlève tous les noeuds pour sublimer la simplicité de la coupe. Une anecdote fondatrice qui résume à elle seule la définition bien rodée qu’il aime à donner de son style :  » A la fois fonctionnel et féminin avec, pour celles qui le souhaitent, un soupçon d’extravagance glam.  » Son métier, il l’a appris sur le tas, après un passage éclair au célèbre Fashion institute of technology, à l’instar d’un autre constructeur d’empire, Giorgio Armani. Comme le créateur italien, c’est dans une boutique, au plus près de sa clientèle, qu’il apprend à cerner au mieux ses besoins.

Dans les coulisses du tournage de la campagne pour le parfum Wonderlust, avec Gigi Hadid.
Dans les coulisses du tournage de la campagne pour le parfum Wonderlust, avec Gigi Hadid.© photos : imaxtree / sdp

Il est vendeur chez Lothar’s – sorte de Colette de l’époque – lorsqu’il est découvert par Vera Wang. Alors rédactrice de mode, celle qui signe désormais les robes de mariée des riches et célèbres l’encourage à créer ses propres modèles.  » Depuis l’origine, même mes pièces les plus luxueuses se doivent de rester pragmatiques, insiste-t-il. Et cela s’applique également aux prix que je pratique. Tout va de plus en plus vite désormais grâce aux réseaux sociaux qui sont en quelque sorte des salons de la mode permanents. Mes consommateurs viennent du monde entier et je peux m’entretenir avec eux chaque jour, ce qui m’aide à me faire une meilleure idée de leurs envies. Le fait de voir porter mes pièces, dans la vraie vie, a davantage d’impact qu’un défilé.  »

Dans les coulisses du tournage de la campagne pour le parfum Wonderlust avec Gigi Hadid
Dans les coulisses du tournage de la campagne pour le parfum Wonderlust avec Gigi Hadid© photos : imaxtree / sdp

Des sacs hautement désirables

Son pragmatisme assumé ferait presque oublier qu’il a un jour été le directeur artistique de Celine, l’une des perles couture et pointue à souhait de l’empire LVMH. A l’époque – nous sommes en 1997 – les Américains font la pluie et le beau temps dans les grandes maisons. Tom Ford, à la tête de Gucci, s’apprête à imposer par ailleurs son style chez Saint Laurent. Marc Jacobs s’empare de Louis Vuitton et Narciso Rodriguez arrive chez Loewe. Jusqu’en 2004, Michael Kors imprime donc son empreinte chic et casual sur la mode parisienne.  » C’était le début du changement, rappelle-t-il. Il y avait alors une nette différence dans la manière dont les stylistes envisageaient leurs collections : les Français se voulaient élégants, les Anglais originaux et les Américains plutôt décontractés. Aujourd’hui, ce n’est plus tant l’origine du créateur qui détermine sa patte que son individualité. Une certaine idée du glamour cool qui a pu être la nôtre s’est largement globalisée.  »

Tout ce que je crée doit rester pragmatique.

Michael Kors aime habiller les femmes actives, à l'instar de Michele Obama.
Michael Kors aime habiller les femmes actives, à l’instar de Michele Obama.© photos : getty images / sdp

Le Boogie estampillé Celine devient son premier it bag, avant d’en inspirer bien d’autres. Lorsqu’il quitte Paris en 2004 pour rentrer à New York, bien décidé à relancer sa griffe, il a tout compris de l’utilité – y compris commerciale – de l’accessoire. Communicateur né, il accepte de devenir membre du jury de l’émission Project Runway. Et devient donc une star de télé-réalité, rompant ainsi avec la tradition des grands noms de la mode isolés dans leur tour d’ivoire. Une popularité assumée – souvent simplement vêtu de noir, on le reconnaît pourtant dans la rue et il adore ça – qui contribuera à faire de lui un milliardaire.

 » J’ai eu la chance de vite savoir ce que je voulais faire de ma vie, reconnaît-il. J’ai commencé jeune et je n’ai jamais baissé les bras. Encore maintenant, je considère que rien n’est acquis. Se dire que rien n’est impossible à celui qui a le talent, la motivation et la bonne idée au bon moment, c’est très américain. Je ne pense pas que ce soit plus difficile d’y parvenir aujourd’hui, quand je vois le succès que rencontrent des gens comme Brandon Maxwell, qui a commencé comme styliste personnel de célébrités et possède désormais sa propre marque, sans parler de Virgil Abloh, à la fois la tête de son label et chez Louis Vuitton ! L’essentiel, c’est de ne pas avoir peur de l’échec. La mode n’est que va-et-vient. Certaines choses peuvent être plus populaires mais de toute façon, il faut toujours aller de l’avant et proposer du neuf.  »

Un nouvel empire

Côté en bourse depuis 2011, le groupe Kors, aujourd’hui rebaptisé Capri – une île que le styliste visite deux fois par an -, vient de s’offrir la griffe Versace pour un peu plus de 1,8 milliard d’euros… En 2017, c’est le Britannique Jimmy Choo qui tombait dans son escarcelle. Ces opérations financières, comme la gestion quotidienne de ce conglomérat dirigé par John D. Idol, n’occupent que très peu le quotidien de Michael Kors, concentré comme au premier jour sur la création de ses vêtements et accessoires, désormais répartis dans trois lignes distinctes : Michael Kors Collection – le haut de gamme -, MICHAEL Michael Kors – plus abordable – et Michael Kors Men.  » Rien n’a changé fondamentalement… Si ce n’est que notre offre s’est bien sûr élargie, concède-t-il. Je suis chacun des projets, je les valide, je dois prendre davantage de décisions, sans cesse plus rapidement, mais j’ai aussi davantage d’expérience que lorsque j’ai commencé à travailler à 22 ans. Avec en tête le même mantra : proposer une sorte de yin et de yang d’utile et de glamour « .

Accessible, dans tous les sens du terme, celui que ses proches décrivent comme chaleureux, plein d’humour, les pieds sur terre, a su s’entourer de muses à haute valeur médiatique ajoutée. Des actrices, des First Ladies et des femmes d’affaires parmi lesquelles on retrouve Aerin Lauder, héritière du groupe cosmétique du même nom, qui produit et distribue les parfums Michael Kors. Et bien sûr, ère des Millennials oblige, les jeunes filles qui font la pluie et le beau temps sur les réseaux sociaux. Dans la famille Hadid, il a pris le combo, Bella pour la mode, Gigi pour le parfum – ensemble elles ne pèsent pas moins de 75,3 millions d’abonnés sur Instagram. Et c’est à l’aînée des deux soeurs qu’il a confié le soin d’incarner Wonderlust, un jus à la fois fleuri et gourmand que la top décrit comme  » de l’évasion en bouteille, un petit luxe qui vous fait voyager et vous tient compagnie aussi tant à la plage que le soir avec des amis « .

Amal Clooney, l'une des stars en vue adepte de la griffe.
Amal Clooney, l’une des stars en vue adepte de la griffe.© photos : getty images / sdp

Ce genre d’escapade impromptue, le New-Yorkais adore s’en offrir de temps en temps pour résister au stress.  » C’est mon secret pour tenir la pression, confie-t-il. Quand je ressens vraiment le besoin de décompresser, je pars quelques jours en quête de plage, de soleil et de mer, il n’y a pas de meilleur moyen pour recharger ses batteries. Et puis voyager, c’est pour moi une source éternelle d’inspiration « . Dans ses bagages, vous trouverez certainement davantage de paires de lunettes qu’il n’en pourra porter. C’est sa signature stylistique à lui, il ne s’en sépare jamais.  » J’en ai plus d’une centaine, avec à chaque fois un petit détail qui diffère « , ajoute-t-il. Pour la plupart, il les a dessinées lui-même ou chinées dans des boutiques vintage, en vacances, justement. Uniquement des modèles aviateur, qu’il choisit le matin au gré de son humeur ou de la météo annoncée. Un peu comme le parfum, finalement, cet accessoire invisible qui pourtant dira plus de vous qu’une monture écran…

Les 5 piliers du style MK

1- LE SAC

Voir ses sacs au bras des femmes le réjouit –  » je les compte « , assure-t-il carrément en riant -, c’est pour lui le meilleur indicateur de son succès.

Michael Kors, portrait d'un insatiable

2 – LES LUNETTES AVIATEUR

Michael Kors, portrait d'un insatiable
Elles ne le quittent jamais ; à l’en croire c’est ce qu’il emmènerait sur une île déserte, avec de la crème solaire, une biographie à scandale et Lance LePere, son mari  » car personne n’a envie de se retrouver seul sur une île déserte « .

3 – LA MONTRE

3 La montre
3 La montre

Populaires dès leur lancement en 2005, elles se sont même déclinées en éditions limitées, vendues au profit du programme Watch Hunger Stop soutenu par les Nations-Unies et destiné à financer des repas dans les écoles défavorisées.

4 – LA DAD SHOE

4 La dad shoe
4 La dad shoe

C’était l’accessoire en vogue de l’été, le voici en version léopard – l’autre tendance incontournable de la saison – repéré aux pieds de Bella Hadid. Preuve que Michael Kors surfe encore et toujours sur l’air du temps.

5 – LE PARFUM

Michael Kors, portrait d'un insatiable

Pour le styliste new-yorkais, c’est  » l’accessoire ultime, celui que l’on emmène partout avec soi « , y compris au bout du monde. Ça tombe bien, celui-ci invite au voyage et à la découverte.

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