Mode : L’Afrique nous sape

La mode urbaine selon Owl Paris. © SDP

La sphère fashion vibre au rythme du continent noir qui impose son style graphique et coloré dans les rues de nos métropoles. Une scène créative en plein essor.

Dries Van Noten, Vivienne Westwood, Isabel Marant, Givenchy ou bien Stella Jean… La liste des créateurs qui jouent, cette saison, avec l’imaginaire et les fantasmes subsahariens est longue. Les références sont si fortes que, parfois même, elles provoquent la polémique. En octobre 2015, Valentino a été épinglé sur les réseaux sociaux pour avoir fait défiler sur ce thème des mannequins aux cheveux tressés… mais blancs pour la plupart. Tant pis : l’Europe lorgne malgré tout aujourd’hui du côté de ces contrées éloignées. L’expo sur le Congo du plasticien Sammy Baloji, actuellement au Wiels à Bruxelles , la récente collaboration de Christian Louboutin et de Valérie Schlumberger – très investie auprès des femmes au Sénégal – autour d’un sac chamarré comme un boubou, sans oublier le label belge Mosaert – lancé par le chanteur Stromae – qui, à ses débuts, a détourné des motifs inspirés de ces traditions lointaines, le prouvent.  » L’Afrique redevient tendance, car ses habitants s’affirment de plus en plus et revendiquent davantage leur richesse « , constate Maureen Ayité, fondatrice et directrice artistique de la marque Nana Wax, l’une des premières à avoir percé dans de grandes métropoles occidentales, dès 2012.

C’est grâce à sa page Facebook  » J’aime le pagne de chez moi  » qu’elle a pu bâtir un empire autour du wax, ce textile de coton coloré dont les faces sont enduites de cire. Depuis, Maureen a ouvert des showrooms à Paris, à Londres et à New York, ainsi qu’une boutique à Cotonou (Bénin), où elle vit et travaille désormais.  » En tant qu’entrepreneuse, je vois l’essor d’une énergie collective qui se retrousse les manches pour participer à une renaissance « , confirme Nei Wilson, qui met en lumière les talents de là-bas pour un groupe de luxe français et conseille en communication la grand-messe fashion de la diaspora : la Black Fashion Week, dont la quatrième édition s’est tenue en décembre 2015 dans la capitale française.  » Cette ville me relie à mes racines : j’y suis née mais j’ai grandi en Côte d’Ivoire et mes parents sont d’origine centrafricaine, congolaise et sénégalaise. C’est aussi le lieu qui permet à mes différentes activités de rayonner sur la scène internationale « , explique Sarah Diouf, créatrice de la marque Tongoro et du magazine Noir, un semestriel qui traite de looks, de beauté et de lifestyle.

Une génération cosmopolite

Sac Africaba en wax, Christian Louboutin.
Sac Africaba en wax, Christian Louboutin.© SDP

« La nouvelle génération issue de la diaspora ose bien plus qu’avant. »

Si la place londonienne a une longueur d’avance, le reste de l’Europe rattrape peu à peu son retard. Démonstration dans les rues qui jouxtent la station de métro parisienne Château-Rouge, fief ancestral de la communauté africaine, des échoppes de wax et des tailleurs pour messieurs. C’est précisément là que Youssouf Fofana a décidé de lancer avec son frère Mamadou une  » maison  » de mode qui a emprunté son nom au quartier. Le style ? Le mélange du wax traditionnel avec des coupes urbaines et sportives. Sauf que tous les tissus sont achetés dans le secteur, afin de contribuer à son développement économique.  » Nous voulions rendre hommage à ces commerçants qui vendent ce textile depuis des années, bien avant qu’il ne se retrouve sur les podiums de la haute couture ou encore chez Zara « , poursuit Youssouf. Lancée en 2014 dans le cadre des Oiseaux migrateurs, un projet social qui contribue au développement de petites entreprises africaines, Maison Château Rouge est vite devenue l’une des marques de streetwear à suivre chez nos voisins français et devrait bientôt ouvrir une boutique dans la Ville lumière. De son côté, Laurence Chauvin-Buthaud, créatrice du label Homme Laurence Airline, défend aussi ce style afropolitain. Après avoir réalisé ses premières collections à Abidjan (Côte d’Ivoire), elle a décidé de rapatrier une partie de sa production en Europe et d’y développer son activité.

Si la tendance explose, c’est sans doute parce qu’elle cherche à sortir d’un phénomène communautaire dans laquelle elle était enfermée jusqu’à présent.  » Nos pays connaissent aujourd’hui une crise identitaire qui pousse les gens à se pencher sur leur propre culture. Ce que nous faisons avec Maison Château Rouge, mais en la confrontant à d’autres influences « , analyse Youssouf Fofana.  » De nombreux créatifs de ma génération sont en fait très cosmopolites et conjuguent des origines multiples. Nous sommes nombreux à sortir d’une certaine ghettoïsation « , assure Nelly Wandji, fondatrice de MoonLook, une plate-forme et boutique en ligne vouées à ce vestiaire venu du sud.

Par-delà les clichés

Junya Watanabe, inspiration boubou pour sa collection printemps-été 2016.
Junya Watanabe, inspiration boubou pour sa collection printemps-été 2016.© Alessandro Lucioni/Imaxtree

Pour Lamine Badian Kouyaté, le designer sénégalo-malien, alias XULY.Bët – label des années 90, qui habillait même Madonna -, c’est surtout Internet qui a encouragé les pratiques individuelles et poussé les créateurs à dépasser leurs préjugés pour s’offrir une incroyable visibilité. Las d’être mis dans la case du wax ou du tribalisme, beaucoup de stylistes réinventent donc les codes de ce dressing injustement qualifié d’exotique en proposant des coupes urbaines, voire futuristes. Pour Ganesh Silas, le Franco-Congolais qui se cache derrière le label masculin Niari, il s’agit de se faire une place sur l’échiquier très compétitif de la mode occidentale en sublimant ses origines sans s’y enfermer.  » La nouvelle génération issue de la diaspora ose bien plus qu’avant, note-t-il. Elle sait montrer sa diversité culturelle, et peut compter sur ses ambassadeurs.  » Par exemple, les sapeurs (terme issu de la Sape, Société des ambianceurs et des personnes élégantes), ces dandys congolais dont le style léché fait fantasmer. Ses spécimens les plus fous ont été invités en 2015, au Palais de Tokyo, à Paris.  » J’ai été frappé par leur spontanéité à trouver beau ce qui, aux yeux du monde, semblait populaire, note Jean-Charles de Castelbajac, dont les collections sont l’objet d’un véritable culte à cette partie du monde. Nous avons quelque chose en commun : cette science de l’appropriation et de la transformation.  » Un autre ambassadeur de ce chic venu d’ailleurs se nomme Amah Ayivi, un touche-à-tout d’origine togolaise qui mixe avec brio parka, tunique à rayures et Stan Smith. Directeur artistique de Marché noir, boutique parisienne qui s’est fait un nom à part dans le vintage avec ses pièces chinées aux quatre coins de l’Afrique, il élabore aussi des cahiers de tendances, une première collection, et projette d’ouvrir des pop-up stores à l’étranger.

Esthétique ambiguë

Afrikanista propose des tee-shirts aux slogans politiques ou humoristiques.
Afrikanista propose des tee-shirts aux slogans politiques ou humoristiques.© Afrikanista
Sweat-shirt, Maison Château Rouge.
Sweat-shirt, Maison Château Rouge.© Château Rouge.

Surtout l’image change. Fini le cliché misérabiliste d’une partie du globe qui peine à se développer.  » Aujourd’hui, on la décrit comme un eldorado économique avec ses taux de croissance record. Quels meilleurs ambassadeurs pour cette nouvelle Afrique qui gagne que les membres de ses diasporas ? », observe Julienne Biyah, cofondatrice de la marque de prêt-à-porter Owl Paris et du site de vente en ligne du même nom. Le défi de ces créateurs n’est cependant pas dépourvu d’ambiguïtés. D’un côté, ils veulent sortir du carcan  » ethnique  » qui les enferme, mais de l’autre, ils revendiquent une expression esthétique qui leur appartient, surtout au moment où les marques jouent sur les références  » afro  » dans des copier-coller parfois opportunistes.

Ce débat se cristallise autour du wax, tissu emblématique de ce continent.  » Pour moi, il n’est pas exploité à son maximum. On peut le détourner à l’infini « , assure la Franco-Mauritanienne Aïssé N’Diaye, créatrice du label Afrikanista, qui le mélange avec des tee-shirts aux slogans politiques ou humoristiques ( » Liberté, égalité, affaire de papiers « ,  » La femme est la ceinture qui tient le pantalon de l’homme « ).  » Le wax est devenu un cliché, affirme, lui, le créateur d’origine camerounaise Imane Ayissi. Le paradoxe de ce tissu, né en Indonésie et commercialisé par les Britanniques et les Néerlandais, c’est qu’il est majoritairement produit en Europe. Par principe, je refuse de l’utiliser et je mets à l’honneur des textiles réellement fabriqués sur place comme les kente, le faso dan fani, le n’dop, et ceux teints artisanalement.  » Nei Wilson, elle, pense que le wax n’en est qu’à ses balbutiements ici.  » En le mêlant à d’autres tissus, les créateurs vont nous ouvrir à d’autres horizons esthétiques. C’est le métissage culturel dans ce qu’il a de plus beau. « 

Par Elisabeta Tudor.

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