Mode: la sphère fashion prend d’assaut le monde du gaming
Aujourd’hui, il est possible de vêtir son avatar de marques ultrachères et de s’offrir un make-up premium, juste pour parader sur les réseaux sociaux. Le jeu vidéo a pris les manettes de l’univers fashion. Et ce n’est qu’un début.
Pas le budget pour vous offrir une tenue ou un rouge à lèvres de marque dans la vie réelle? Le monde virtuel vient au secours de vos frustrations. Depuis le mois d’octobre dernier, le célèbre jeu vidéo League of Legends propose en effet d’acheter des looks et des accessoires Louis Vuitton. Jeremy Scott a dessiné plusieurs collections numériques de Moschino pour les Sims. Et en décembre dernier, Dior a créé une ligne de make-up virtuelle pour les fêtes avec la maquilleuse de réalité augmentée Ines Alpha, incluant un filtre Instagram gratuit. A Amsterdam, il existe même une maison de mode qui ne produit que des vêtements destinés à cette existence sur la Toile: The Fabricant. L’enseigne a imaginé la toute première robe haute couture virtuelle, vendue l’an dernier pour… 9500 dollars tout de même.
Elle travaille aussi pour d’autres labels tels que Tommy Hilfiger, Adidas et de nombreuses griffes haut de gamme qui ne souhaitent pas être citées. Impressionnant certes, mais le fait de ne pas pouvoir porter ces vêtements 2.0 parmi les vivants pose néanmoins question. Pour Kerry Murphy, fondateur de la firme, l’intérêt de la démarche est de permettre à tout le monde de s’offrir des pièces de luxe « en version digitale car c’est plus accessible ». Et de poursuivre: « Avec les réseaux sociaux, nous ajoutons un filtre virtuel à notre existence physique. Ce frère ou cette soeur jumelle digital(e) peut donc se vêtir numériquement! » Insensé? Pour l’observatrice de tendances britannique Lucie Greene, « la génération Z (NDLR: les jeunes de moins de 25 ans) perçoit à peine la différence entre vie offline et online ». L’experte estime que « nous allons tous devenir de plus en plus à l’aise avec la mode et le maquillage purement virtuels. S’ensuivront d’autres produits qui ajouteront une couche supplémentaire aux habits, via la réalité augmentée ».
Concrètement, dans les Sims, une garde-robe Moschino composée de 20 pièces ne coûte que 9,95 euros. Une bouchée de pain, par rapport à l’original. Ces dressings cousus de pixels se vendent donc facilement. En 2018, le jeu gratuit Fortnite a ainsi gagné 2,4 milliards de dollars grâce à la vente de ses « avatar skins ». En langage humain: des looks pour les personnages du jeu. Ces vêtements, entre autres signés Nike, sont des symboles de statut social pour les plus de 250 millions de joueurs de ce best-seller vidéo. D’ailleurs, ces gamers ne sont plus des geeks au teint blafard et en tee-shirts noir qui s’avalent des burgers en jouant. Ce passe-temps est progressivement devenu plus couru que la télévision, quel que soit l’âge ou le milieu. Les plus populaires sont les jeux qui s’utilisent sur smartphone ou tablette. Et question genre, selon une enquête internationale menée par Newzoo, spécialisé dans ce secteur, il semblerait que, en 2019, 63% des adeptes de cette activité sur téléphone étaient des femmes. En outre, 79% d’entre elles seraient prêtes à payer durant la partie, que ce soit pour s’acheter de la monnaie fictive supplémentaire, des vies ou encore… des vêtements et du maquillage.
La shoppeuse, cette gameuse
En d’autres termes: ce business est rentable. Et la planète fashion prend peu à peu sa part du gâteau en créant de véritables gammes destinées à ce créneau spécifique. Ainsi, le magasin scandinave multimarques Carlings a expérimenté une première collection numérique il y a un an et demi… Au bout d’une semaine, elle était déjà sold-out. « Depuis l’avènement des réseaux sociaux, la production de vêtements a explosé, observe Ronny Mikalsen, CEO de Carlings. Les gens achètent une pièce, prennent une photo avec cette tenue et puis ne la portent plus jamais. C’est pourquoi nous avons créé une alternative digitale. Ce n’est pas un hasard si nous avons mis dans cette ligne toute une série de pièces avant-gardistes qui fonctionnent bien sur Instagram. »
Quiconque achetait cet outfit digital devait envoyer une photo de lui après l’avoir enfilé, cette image était alors photoshopée pour paraître sur mesure. « La collection de Carlings est la preuve qu’il existe bel et bien une demande importante pour ce type d’e-articles. Mais leur méthode n’était pas efficace, car elle demandait trop de travail à l’utilisateur, ce n’est donc resté qu’une tentative, analyse le fondateur de The Fabricant, Kerry Murphy, qui lui-même ne travaille pas avec Photoshop, mais avec l’animation 3D. J’espère qu’un jour, ces collections remplaceront la fast fashion. C’est bien plus durable, puisque vous n’avez pas besoin de matière première. Et il n’est pas question de mauvaises conditions de travail. Le seul coût, c’est la data. Nous travaillons également à d’autres applis, comme l’essai virtuel de vêtements en ligne ou encore les échantillons digitaux. »
Dans une même optique de digitaliser le monde de la mode, des jeux ont vu le jour, comme le tout nouveau Drest. Cette appli, créée par un ancien employé de Net-a-Porter, transforme n’importe qui en styliste. Vous recevez des missions et devez ensuite choisir un décor – la plage branchée de Tulum par exemple. Vous faites enfiler la toute dernière robe Gucci à votre modèle, retouchez ses cheveux et lui maquillez les yeux. Vous postez la photo, et le reste de la communauté peut la coter. Ensuite, vous pouvez cliquer sur Farfetch pour acheter ces vêtements dans la vie réelle. Plus de 160 marques de luxe participent déjà à ce projet. « Les maisons de mode reconnaissent enfin l’immense public féminin de gameuses, observe la tendanceuse Lucie Greene. Et les fashionistas qui s’inquiètent de leur empreinte écologique peuvent se faire plaisir virtuellement. »
Les fashionistas qui s’inquiètent de leur empreinte écologique peuvent se faire plaisir virtuellement.
Lucie Greene
Retour à la vraie vie
L’expérience d’achat est donc influencée par les jeux vidéo et les griffes ne s’en privent pas pour booster leurs ventes. L’entreprise d’e-commerce Obsess AR a par exemple imaginé, pour Tommy Hilfiger, une pool party virtuelle dans laquelle on pouvait naviguer comme dans un jeu et où tout pouvait s’acheter. Une idée qui révolutionne l’univers des webshops classiques affichant des miniatures sur un fond blanc. « Maintenant que la réalité augmentée se généralise doucement, on peut s’attendre à de plus en plus de concepts dans ce genre, prévient Lucie Greene. Pokemon Go est un précurseur de la manière dont la RA sera utilisée pour les jeux de shopping. »
La fashion sphère gagne dès lors du terrain dans le coeur des gamers, et surtout des gameuses, si bien que les jeux influencent à leur tour la mode… en vrai. La plate-forme très influente Dazed Digital Beauty a ainsi été pionnière dans cette beauté 2.0. Il y a plusieurs années, on y voyait déjà des traits d’eye-liner graphiques et du maquillage fluo pour les yeux. De même, la série de HBO Euphoria a rendu ces traits graphiques populaires, selon Lucie Greene. Au point que ces gimmicks sont aujourd’hui arborés par les beautystas en chair et en os. « Prenez Billie Eilish, ses cheveux vert-poison et ses ongles trop longs, illustre Lucie Greene. Ces combinaisons excentriques sont typiques de la cyber-esthétique. » Cette tendance était d’ailleurs omniprésente lors de la Fashion Week, à Paris, avec des cils rose fluo chez Off-White, des paupières color-block chez Maison Margiela, des teintures orange vif chez Louis Vuitton et des tons néon chez Dries Van Noten. Pour l’instant, on préfère s’en tenir à la version avatar…
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