Natalia Brilli, créatrice belge: « Dans la mode, quand on a un certain âge, on est bon pour la casse »

© LAETITIA BICA

Elle revient, après dix ans d’absence. Natalia Brilli (50 ans) entame un nouveau chapitre avec sa marque d’accessoires, d’objets et de mobilier gainés de cuir et autres matériaux nobles. Egalement scénographe et professeur à l’Institut Français de la Mode à Paris, elle est à la confluence des arts appliqués.

Reconnaître d’où l’on vient, c’est la moindre des choses. Je suis née à Liège de parents issus de l’immigration italienne. Dans mon travail, cela se traduit par un mélange de glamour dans le choix des matériaux, des couleurs, et de rigueur, un côté un peu dark, propre à mon adolescence en Belgique.

Il y a une culture de l’élégance en Italie. Il faut se faire beau le dimanche ou pour la passeggiata… Quand j’étais enfant, je passais l’été chez mon grand-père en Ombrie. Nous avions une tradition: avant la rentrée scolaire, mes parents m’achetaient un trousseau là-bas, parce qu’en Belgique, tout était « vraiment moche ». J’entends encore leur discours sur la qualité et le savoir-faire italiens, cela m’est resté.

Les professeurs peuvent être très formateurs quand ils vous prennent sous leur aile. J’étudiais les arts plastiques à Saint-Luc à Liège et j’ai découvert les boîtes de nuit, j’ai trop fait la fête, je me suis retrouvée coincée en troisième année secondaire. Mon père m’avait prévenue que si je redoublais, c’était retour à la case départ, fini les études artistiques… Un prof qui croyait dur comme fer en moi lui a téléphoné pour le convaincre de me laisser continuer. Il insistait: « Elle a quelque chose, il faut qu’elle persévère. » Je me suis mise à filer droit.

Les rencontres forgent le chemin d’une vie. Je dois beaucoup à une femme, Marcelle Goffinet. Elle tenait à Liège un magasin de seconde main, Soir de Paris, où je travaillais comme étudiante. Ce n’était pas de la fripe au kilo, c’était très chic, tout le milieu du théâtre et du cinéma s’y donnait rendez-vous. Elle avait un goût incroyable. Elle a fait mon éducation mode et forgé une partie de ma vie: elle me poussait à ne pas me marier, à ne pas avoir d’enfant, à ne pas rester dans « ce trou », à aller à Bruxelles pour étudier la scénographie à La Cambre, c’était mon rêve. Je l’ai suivie à la lettre.

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Comment faire du beau avec du moche? Comment avoir du style quand on est fauché? Le premier collier que j’ai créé me renvoie à mon enfance et à mon éducation, je viens d’une famille assez modeste, c’était la débrouille. Je pense que c’est la ligne conductrice de mon travail. Je pars d’objets du quotidien, que j’ai parfois chinés, qui n’ont plus de valeur, qui sont au rebut, comme des vieux cendriers en faux cristal, que je gaine et assemble pour en faire des totems. Cette idée de recyclage est complètement actuelle mais je l’ai toujours fait. Au départ, je chinais des bijoux anciens que je moulais puis gainais en cuir, je faisais quelque chose de luxueux avec presque rien. Je reste dans cette continuité-là.

Ma passion, ma prison. A un moment, je me suis lassée, j’étais devenue « la fille qui gaine tout en cuir ». J’avais gagné le prix de l’ANDAM en 2006, tout était monté crescendo, j’étais vendue dans le monde entier, mon rock band gainé de cuir cartonnait, il avait fait le tour de la planète, de Barneys New York à Miami Art Basel. J’aimais créer des sacs et des bijoux mais j’avais envie d’un retour vers l’objet – c’est mon truc de scénographe, je voyais bien qu’il fallait que je raconte des histoires. J’ai commencé à faire des meubles, avec l’idée de construire un univers en trois dimensions, j’ai ensuite intégré d’autres matériaux. Je ne voulais pas que cela devienne une espèce de performance, que la technique prenne le dessus sur le concept.

Dans la mode, quand on a un certain âge, on est bon pour la casse. C’est violent. Quand tout s’est arrêté pour moi, parce que j’ai été spoliée de ma marque et de mon nom par un associé qui m’a trahie, je suis retournée vers le cinéma et le théâtre où, à 40 ans, on n’est pas vieux.

Enseigner, c’est partager. Je donne cours de stylisme accessoires à l’Institut Français de la Mode à Paris. Je suis heureuse de transmettre et d’être entourée de jeunes, ils m’apportent leur énergie, je leur partage mon savoir. Mais c’est délicat, je ressens une espèce de malaise par rapport à l’époque dans laquelle on vit, où l’image a dorénavant plus d’importance que le travail. Il m’est difficile de faire comme si tout allait bien se passer pour mes étudiants. Sans faire de généralités, je sais que certains chasseurs de tête vérifieront d’abord combien ils ont de followers sur leur Instagram avant de regarder leur dossier… Je ne veux surtout pas les décourager alors je les pousse à être créatifs, à sortir des schémas, à aller voir ailleurs.

nataliabrilli.eu Instagram @nataliabrilli_paris

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