Notre rencontre avec Marie Adam-Leenaerdt, la créatrice bruxelloise qui fait sensation à Paris
Elle a lancé sa marque à 26 ans, il y a à peine plus d’une année. Depuis, la créatrice belge Marie Adam-Leenaerdt a séduit l’industrie de la mode et été sélectionnée comme finaliste du Prix LVMH. A la veille de son troisième show, le 26 février 2024, elle se pose pour nous, le temps d’une biographie en accéléré.
L’année écoulée est celle où tout s’est emballé. En janvier 2023, le 19 pour être exacte, Marie Adam-Leenaerdt avait rendez-vous à Paris, avec une équipe de bonnes fées bien décidées à se pencher sur son berceau. Il y avait là Dimitri Jeurissen, fondateur de l’agence Base Design, Etienne Russo, grand ordonnateur des défilés avec Villa Eugénie, et Lucien Pagès, l’attaché de presse français qui fait la pluie et le beau temps dans l’écosystème de la mode.
Le premier show
« Dans l’émulation de la conversation, on a décidé d’organiser un show le 27 février suivant. Je n’avais pas prévu d’en faire, il a fallu tout repenser, créer des looks. J’avais à peine deux paires de chaussures, même si ma collection était en cours… C’était la continuité de celle que j’avais réalisée pour la fin de mon master à La Cambre mode(s). Je l’avais entièrement revue. »
Depuis, elle a défilé deux fois, été applaudie par la presse et séduit 5 boutiques d’abord puis 10, auxquelles il faut ajouter les plates-formes Net‑à‑porter, Ssense, Matches Fashion et Bergdorf Goodman. On appelle ça un succès fulgurant – rare pour une si jeune marque.
En visite dans son atelier bruxellois
Au mur de son studio-atelier bruxellois, elle a épinglé les photos qui l’inspirent, les dessins techniques de la collection en cours. Et pour marquer son territoire, elle a posé une lithographie signée Romain Zacchi, un artiste qu’elle connaît bien, c’est son copain rencontré durant leurs études. L’art contemporain fait partie de sa vie, au même titre qu’une certaine mode belge construite et déconstruite par son chef de file, Martin Margiela, qu’elle avait découvert peu avant d’entamer son cursus.
Elle avait été d’emblée fascinée par « sa manière de transformer les usages, de voir différemment les choses, de choisir des matériaux assez pauvres, de ne pas avoir besoin d’artifices, d’être radical. » Cet héritage a infusé chez elle. La preuve, cette maquette conservée comme un talisman, une minirobe obtenue par le pliage d’une serviette blanche. Elle résume sa façon de travailler : réinventer le vêtement, le questionner, l’envisager en 3D.
Le challenge du prix LVMH
Son chat Pipou passe par là, se pavane et puis s’en va. Il a tout vu de ses débuts, les études passion, le labeur, les projets, la détermination. Et la chance qui lui sourit, Marie en a conscience. « J’ai pu lancer ma marque parce que je vis chez mes parents. Je travaille là, j’ai un étage à moi puisque ma sœur est partie. Et puis mes parents m’ont aidée financièrement et pour la logistique, le nombre d’allers-retours qu’ils ont déjà dû faire pour moi… »
Le 27 février 2024, Marie Adam-Leenaerdt aura 28 ans, au lendemain de son troisième défilé parisien. Accrochée à son téléphone, elle règle son quotidien d’un début de mois chargé. Voire bousculé avec l’annonce récente de sa sélection au prestigieux prix LVMH.
Elle l’avoue, elle avait décidé de ne pas faire de concours – « J’ai l’impression de retourner à l’école et de devoir me vendre ». Mais elle a fini par reconsidérer son choix, sans se mettre de pression, « ni rêver non plus ». Le pragmatisme l’emporte sur sa timidité, sa volonté de ne pas être exagérément dans la lumière, elle répète : « Ce n’est pas moi qui dois être à l’avant mais le vêtement. » Interview.
Il y a un an à peine, vous défiliez pour la première fois à Paris…
Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. C’était le jour de mon anniversaire, il y avait trop de choses en même temps et la fatigue en plus, même si je ne fais jamais de nuit blanche. Le rythme était intense, pendant des jours et des jours et soudain la pression qui retombe… Mais c’était génial.
Et puis c’est chouette d’être entourée d’amis, les habilleurs qui ne sont pas dans la mode et toute l’équipe Villa Eugénie pour le show, Arthur Méjean pour le casting, Olivier Noraz pour les coiffures, Florence Samain au make‑up, Paul-Emile De Smet pour la musique…
Votre succès est un petit miracle ?
C’est cet entourage qui l’a permis, et une envie, une détermination. Beaucoup de gens disent aussi que c’est le bon moment, que ma proposition répond à des envies parce que ce sont des vêtements faits par une femme pour les femmes.
C’est-à-dire ?
Peut-être qu’un homme a une vision plus idéalisée. C’est hyper beau une minirobe sur une silhouette très grande mais peu de femmes portent ça, en tout cas pas moi. Souvent, je me pose la question de savoir si je porterais ce que je crée, peut-être qu’un homme ne se la pose pas…
Même pour les chaussures : j’adore les talons très hauts mais dois-je en faire ? C’est toujours un challenge entre créer un vêtement ou un accessoire très beau visuellement qu’une femme porte une fois tous les dix mois ou quelque chose de plus pratique. J’essaie de trouver un juste milieu…
Enfant, rêviez-vous d’être créatrice, avec une marque à votre nom ?
Je ne savais pas bien ce que j’avais envie de faire. Même si j’ai toujours aimé le vêtement parce que ma mère en achète beaucoup, souvent du Dries Van Noten, du vintage et, quand elle était jeune, des tailleurs Saint Laurent. Son salaire y passait.
Sinon j’étais plutôt fan de magasins, j’en créais tout le temps, j’étais fascinée par les sacs d’emballage et je demandais comme cadeau des caisses enregistreuses. Je créais aussi des bijoux… En dernière année d’humanités, j’ai visité deux écoles lors des portes ouvertes, Solvay et La Cambre.
Au Sacré‑Cœur de Linthout, j’avais choisi l’option maths et j’en ai bavé. A Solvay, j’ai vite capté que ce n’était pas pour moi. Par contre, j’ai trouvé La Cambre incroyable. Mais je ne m’en sentais pas capable, je n’avais jamais cousu.
Quand est venu le déclic?
J’ai fait un stage de néerlandais à Pâques, je logeais chez une vieille dame anversoise, on mangeait à 18 heures. C’était horrible, je me sentais seule. Et là, j’ai eu ce déclic, je me suis dit que j’allais présenter le concours d’entrée à La Cambre. J’ai préparé cela du mieux que je pouvais, mais je n’ai pas été retenue. Les profs m’ont conseillé de suivre une année préparatoire en Kunsthumaniora, à Anvers.
Lors de cette septième année en art, j’ai touché à tout – dessin, peinture, histoire de l’art… Puis, j’ai présenté les concours à l’Académie d’Anvers et La Cambre. Le premier dure deux jours, on dessine beaucoup, des bustes avec des travaux des étudiants, en noir et blanc, à l’aquarelle… J’ai été prise. Et je croyais que si je réussissais celui de La Cambre, je devrais faire le choix de ma vie. Mais en réalité, cela a été une évidence.
En 2020, vous commencez un stage chez Balenciaga, à Paris. Qu’en retenez-vous ?
C’était génial, la manière de travailler était proche de la mienne. On recevait un brief en début de collection, il y avait peu de limites à la créativité, les ateliers étaient géniaux. J’y suis restée six mois. J’ai reçu une proposition d’engagement mais dans ma tête, j’avais décidé que je rentrais à Bruxelles et pris conscience que je n’aimais pas vraiment travailler pour une maison.
Pourquoi ?
J’avais l’impression d’avoir deux cerveaux, avec d’une part les idées qui matchaient avec la maison et celles que je gardais pour moi… Et je ne faisais que du vêtement. Or, j’aime travailler sur l’accessoire, le reste. J’aime créer quelque chose d’assez global. Je voulais aussi retourner dans mon confort bruxellois. Paris, ce n’est pas chez moi.
Je suis plus inspirée à Bruxelles, par ce mélange de tout et n’importe quoi, avec des gens singuliers. Je n’aimais pas non plus le rythme hebdomadaire. Je me surprenais à penser : « C’est bientôt le week-end. » Dans une maison, tu travailles de 10 heures à 19 heures minimum, ce ne sont pas des horaires de fou, mais il y a cette routine que je déteste… Quand je rentrais le soir, mon cerveau était creux, je n’avais plus envie de penser, je me sentais un peu vide.
Avez-vous conscience de la fulgurance de votre parcours ?
Non, je ne réalise pas tout à fait. Par contre, j’ai conscience d’être bien accompagnée et d’avoir eu beaucoup de chance cette première année. Je suis entourée par Villa Eugénie et l’attaché de presse Lucien Pagès, qui m’ont fait confiance en n’ayant vu que très peu de choses. J’ai aussi la grande chance d’être aidée par Dimitri Jeurissen.
On s’est rencontrés quand je suis revenue à Bruxelles et que je voulais monter ma marque. Je ne savais pas comment ni quoi. Quand j’y repense, j’étais un peu folle ! Je n’avais aucune idée de la façon dont il fallait procéder.
Comment a commencé votre collaboration?
Nous nous sommes vus à un vernissage, il avait découvert sur Instagram ce que j’avais fait à La Cambre. Je ressentais chez lui un peu de nostalgie de ce parcours familial vécu dans la boutique de mode de ses parents à Hasselt. Il me racontait que petit, il allait avec sa mère au showroom d’Alaïa et de Courrèges, c’est presque dans son ADN.
Ensemble, on a vu pas mal de gens, dans la mode notamment, pour savoir comment se lancer, avec des avis différents car finalement, il n’y a pas une marche à suivre, pas un mode d’emploi. L’année avant mon premier show à Paris, il m’a beaucoup aidée, et il continue, financièrement mais surtout en me conseillant.
Quel est votre processus de travail ?
Je ne dessine jamais. Si je dois faire comprendre une idée, je peux faire un schéma que je jette deux secondes après. Pour les dessins techniques, j’ai quelqu’un qui les réalise. Par contre, je fais des maquettes, avec des objets, des pièces vintage.
J’ai besoin d’avoir un objet ou un vêtement, quelque chose de tangible pour pouvoir le transformer. Et j’utilise Vinted comme bibliothèque de recherches. J’y trouve des formes, des coupes… Les photos sont prises n’importe comment mais m’inspirent.
Votre style est-il déjà solidement défini ?
Pas encore. En tout cas, moi, je ne considère pas qu’il le soit car je suis tout le temps en processus de recherche et développement : j’apprends en faisant. Et j’espère que cela ne s’arrêtera jamais. Sinon, c’est comme si tu faisais les choses machinalement.
Je pense qu’il faut toujours se poser des questions et essayer d’évoluer quoi que tu fasses, c’est pour ça que j’adore les vêtements mais aussi la cuisine ou mon potager. J’ai l’impression que dès que je fais quelque chose, je n’arrive pas à le faire de manière simple, c’est toujours extrême. Parfois je me fatigue mais en même temps, c’est ce qui m’excite aussi.
Quel conseil donneriez-vous à un ou une jeune qui débute ?
Je n’ai pas tant d’expérience, je ne sais même pas ce que je me donnerais comme conseil. Je pense qu’il ne faut pas trop se poser de questions et si on sent qu’il faut le faire, il faut le faire. Quand j’ai quitté Balenciaga, j’ai eu tous les avis : « Reste, tu vas apprendre, tu as besoin de t’endurcir dans une maison… »
Mais en créant sa marque, on apprend, autrement et si pas plus. On est confronté à tant de problèmes à gérer. Il faut un tempérament, garder les pieds sur terre, ne pas avoir peur du travail et ne pas le faire à moitié. Il faut être convaincu de ce que tu fais, ou plutôt de ce que tu veux faire.
Où serez-vous dans cinq ans ?
Je ne sais même pas à quoi ressemblera le mois prochain !
En bref : Marie Adma-Leenaerdt
Marie Adam-Leenaerdt naît à Bruxelles le 27 février 1996.
En 2015, elle s’inscrit à La Cambre mode(s).
Diplômée en 2020, elle entame un stage de six mois chez Balenciaga à Paris.
Elle lance sa marque à son nom, en 2022.
Le 27 février 2023, elle défile pour la première fois à Paris.
En novembre 2023, lancement mondial de sa première collection chez Stijl puis sur Net-a-porter, Ssense, Matches Fashion et Bergdorf Goodman.
En février 2024, elle est sélectionnée pour le Prix LVMH.
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