Oubliez les défilés de mode et les magazines: c’est la télévision qui lance les nouvelles modes

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Katrien Huysentruyt Journaliste

Depuis que l’on passe la majorité de notre temps devant des séries, il semble que ce soient elles qui lancent les tendances. Explications.

Il semble que même vautré et en jogging, le spectateur cherche l’inspiration vestimentaire du côté du petit écran. Le phénomène n’est pas neuf, suffit de penser au tenue de Rachel ou au débardeur de Chandler dans Friends ou les jupes crayons de Mad Men, il n’empêche qu’il a pris de l’ampleur durant les confinements. La télévision est restée l’une des rares choses qui pouvaient (encore) relier les gens entre eux. Après tout, n’était pas plus captivant de ronchonner à l’unisson sur les tenues improbables d’Emily à Paris que de discuter des derniers chiffres de Sciensano ?

Oubliez les défilés de mode et les magazines: c'est la télévision qui lance les nouvelles modes
© Friends © iStock

Shopping entre amis (virtuels)

De plus, les relations avec l’extérieur étant au point mort, la vie des personnages de série offrait une distraction et un substitut aux vrais amis qui traînaient eux aussi devant la télé, mais confinés chez eux. Les magasins étaient fermés, alors les gens faisaient leurs achats en regardant la télévision, leurs smartphones à portée de main. La pandémie a donc déplacé l’influence que pouvaient exercer des défilés de mode et la rue vers le petit écran. Et ce n’est pas qu’une impression. Cela a été confirmé par une étude basée sur une analyse des recherches Google pour les tenues de personnages spécifiques entre mars 2020 et février 2021.

Par exemple, le streaming de Friends a rendu le look de Rachel Green, le personnage de Jennifer Aniston, encore plus populaire que dans les années 90, avec 448 200 recherches sur le moteur de recherche.

En deuxième position, on trouve la garde-robe de Maddy Perez d’Euphoria (347 500), suivie de Blair Waldorf de Gossip Girl (194 400) et de Monica Geller de Friends (171 500). Villanelle de Killing Eve et Alexis Rose de Schitt’s Creek figurent également parmi les dix icônes de style les plus recherchées sur Google. Les dix séries les plus tendance à travers le monde sont Euphoria, Friends, Gossip Girl, Emily in Paris, Blackish, Riverdale, Peaky Blinders, Schitt’s Creek, Killing Eve et Chilling Adventure of Sabrina.

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null© Schitt’s Creek © Canadian Broadcast Corp

L’effet Audrey Hepburn

Il s’agit certainement d’une bonne nouvelle pour les costumiers des séries, qui semblent soudainement avoir autant d’influence que n’importe quel autre créateur de mode. Après tout, au cours des dernières décennies, ils oeuvraient tous (à quelques exceptions près) dans l’anonymat. Mais cela n’a pas toujours été ainsi. Dans les années 1920, le costumier Gilbert Adrian était considéré comme le grand créateur de mode américain. Il a habillé des stars d’Hollywood comme Rita Hayworth à l’écran et en dehors. Plus tard, il y a eu Edith Head, la femme derrière les looks d’Audrey Hepburn et de Grace Kelly et la costumière préférée d’Alfred Hitchcock. Elle a fait une tournée aux États-Unis avec des défilés de mode hollywoodiens, est apparue à la télévision, a donné des conseils de style, a écrit des livres et a même créé une ligne de vêtements pour adolescents.

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© Grace Kelly dans Rear Window © iStock

La symbiose entre Hollywood et la mode était une forme puissante de marketing. Les magasins ont rapidement copié les looks clés des succès du box-office. Hollywood a, à cette époque, même dépassé Paris en tant que capitale de la mode. Jusqu’à ce qu’Hubert de Givenchy prenne en charge la garde-robe d’Audrey Hepburn et que la haute couture s’intéresse à Hollywood. Giorgio Armani s’installe à Los Angeles et le tapis rouge devient le prolongement de son défilé. Les costumiers s’effacent et travaillent anonymement dans l’ombre des studios.

Meryl en Saharienne

Les films d’aujourd’hui n’ont généralement pas un impact énorme sur la mode. Il en allait autrement dans les années 70 et 80, cependant, les magasins (et les podiums) regorgent de tenues s’inspirant de films populaires. Les créateurs n’étaient peut-être pas des noms connus, mais les acteurs qui les portaient l’étaient. Faye Dunaway dans Bonnie and Clyde a rendu les jupes midi, les twin-sets et les bérets à la mode. Diane Keaton a lancé la mode du tweed, des chinos et des fedoras dans Annie Hall.

Annie Hall © iStock
Annie Hall © iStock© DR

Meryl Streep a introduit la Saharienne dans Out of Africa. Une tenue que l’on porte encore aujourd’hui et qu’on a encore pu apercevoir lors du défilé Ralph Lauren. Des films comme The Great Gatsby (la version des années 70) ont été exploités avec enthousiasme par les magasins de vêtements.

Meryl Streep in safari-jasje © iStock
Meryl Streep in safari-jasje © iStock© DR

Toutefois, cette influence ne peut être comparée à l’impact des séries télévisées aujourd’hui. A l’époque, il n’y avait qu’une poignée de stars influentes avec une base de fans solide. Il n’y avait pas encore de blogueurs et de micro-célébrités, pas d’Instagram ou de TikTok. Les stars ne changeaient pas non plus de look plusieurs fois par jour. Il fallait attendre la prochaine édition du magazine de mode, ou un nouveau film, pour trouver une nouvelle source d’inspiration. A l’époque, les séries télévisées étaient le parent pauvre. Les feuilletons ont d’abord servi à coller ensemble des blocs publicitaires et n’étaient en aucun cas comparables au spectacle visuel que le streaming offre au public moderne.

Tutu avec manolos

La qualité des séries, leur l’attrait et le nombre de téléspectateurs ont énormément augmenté au cours de la dernière décennie. Ainsi, le rôle du cinéma dans la détermination du goût du public a été repris et amplifié par la télévision. Friends, en 1994, a été l’une des premières. Cependant, le buzz autour de la coupe de cheveux d’Aniston « the Rachel » n’a rien à voir avec celui que provoquera la garde-robe de Carrie Bradshaw dans Sex and the City (1998).

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© Sex and the city © iStock

Non seulement le style de vie de Carrie, mais son tutu avec ses Manolo dégageait une sorte de liberté que les femmes voulaient aussi. C’est également à cette époque que les grandes chaînes de fast-fashion ont percé, permettant aux femmes d’acheter leur propre version des looks de Bradshaw. Asos, l’une des premières grandes plateformes de mode en ligne, signifie d’ailleurs « As Seen On Screen », soit un endroit où l’on peut acheter des copies bon marché de tenues célèbres. Dès lors, l’industrie de la mode a considéré la télévision comme une grande vitrine, avec des placements de produits et des collaborations – comme la ligne Gossip Girl chez Target en 2009 (épuisée en 24 heures seulement) ou Mad Men x Banana Republic en 2011.

Tout comme le vrai (mais en mieux)

Les séries télévisées sont passées à la vitesse supérieure lorsque des réalisateurs de premier plan, tels que Martin Scorcese, Steven Soderbergh ou Paolo Sorrentino, sont passés au petit écran. Avec la télévision, ils peuvent compter sur un public plus large, mais aussi décliner leur scénario en bien plus que les 90 minutes standard du cinéma. Ces grands noms ont leur exigence et on accorde autant d’attention aux costumes qu’au scénario ou au décor. L’attrait visuel est élevé et répond, en passant, au besoin de scènes instagrammables. La grandeur Regency de Bridgerton, les vibrations seventies de The Serpent : le tableau est parfait. Il est élégant, mais aussi réaliste (nulle question ici du seventies à la Austin Powers).

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© The Serpent © BBC

La crédibilité est importante pour l’histoire, mais elle permet aussi aux téléspectateurs de s’identifier. Même un tueur en série comme Villanelle dans Killing Eve a des traits de caractère (et de belles tenues) auxquels le public peut s’identifier. Surtout pour les femmes, il est plus facile de se reconnaître dans les personnages car ils ont plus de profondeur. Les téléspectateurs peuvent sans trop de difficulté se sentir comme Nicole Kidman dans The Undoing et partir à la recherche du long manteau vert assorti.

Killing Eve © BBC
Killing Eve © BBC© DR

Les stars du petit écran

Après les réalisateurs, ce sont des acteurs très célèbres comme Kidman, Reese Witherspoon, Jude Law ou encore John Malkovich – pour n’en citer que quelques-uns- qui ont pris le chemin des séries. Cela a, bien sûr, attiré encore plus de téléspectateurs. Et, inversement, des acteurs de séries télévisées sont devenus de grandes stars du grand écran, de Jennifer Aniston dans Friends à Millie Bobby Brown dans Stranger Things. Hollywood peut ainsi bénéficier de l’attention d’un public plus large à la télévision. Les marques de mode, elles aussi, sont bien conscientes de l’attrait des personnages de télévision. Si leurs produits n’apparaissent pas dans les séries télévisées, ils n’hésitent pas à conclure un accord avec un acteur de premier plan, en tant qu’ambassadeur ou pour une collaboration. Il n’est pas rare que les créateurs de mode engagent des acteurs comme égérie pour leurs défilés ou leurs campagnes. Les chaînes de vêtements s’empressent de mettre la main sur une licence pour le merchandising.

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© Reese Witherspoon in Big Little Lies © HBODR

De la série à la boutique

Mais le but ultime reste de faire apparaître un objet ou une tenue à l’écran. Les meilleures scènes peuvent ainsi largement être commentées dans les médias. Surtout durant les périodes où les gens cherchent une distraction bienvenue, par exemple en cas de pandémie. En soi, cela ne diffère pas tellement de scènes devenues de véritables icônes comme Audrey Hepburn rêvant devant la vitrine de Tiffany. Ce qui est relativement nouveau, c’est que nous pouvons désormais faire des achats sans bouger du canapé où nous regardons ces scènes. Les mains passent sans tarder de la télécommande au smartphone. Ok, parfois c’est juste pour vérifier si le Prince Charles a vraiment trompé Diana, mais aussi, parfois, pour chercher le pull-over de Diana dans The Crown. Dès la diffusion, les marques taguent d’ailleurs leurs tenues ou les stylistes partagent des infos sur les vêtements des personnages sur les médias sociaux. Par exemple, la combinaison noire de Phoebe Waller-Bridge dans Fleabag était sold-out dans les 24 heures suivant la diffusion. C’est beaucoup plus impressionnant qu’une collaboration qui nécessite toute une machine de guerre marketing.

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© Fleabag © Lumière

Lupin x le Louvre

La prochaine étape pour les services de streaming sera peut-être de relier directement la série à une plateforme d’achat. Il sera ainsi possible d’acheter le chapeau d’Emily à Paris via sa télécommande. En juin dernier, a été lancé Netflix.shop. Ils vendent des objets exclusifs liés à leurs séries. Par exemple, il existe une ligne déco inspirée de Lupin en collaboration avec le Louvre. Au regard du merchandising de Disney et HBO, cela n’a rien de surprenant. La chaîne britannique ITV va cependant un peu plus loin. Grâce à « Shoppable TV », les téléspectateurs peuvent acheter les bikinis de Love Island directement sur l’écran. Les produits faisant l’objet de la publicité sont étiquetés pendant le programme télévisé. Les téléspectateurs peuvent demander plus d’informations via la télécommande et effectuer un achat via le lien qui est ensuite envoyé sur leur téléphone. Un tel service existe aussi depuis un certain temps aux États-Unis.

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© Lupin © Netflix

Serial shoppers

La plateforme de mode Lyst analyse les requêtes de recherche de plus de 100 millions de personnes dans le monde. Depuis la pandémie, elle a enregistré une augmentation significative des recherches liées aux articles de mode dans les séries télévisées. Voici les tendances les plus marquantes.

Tiger King

Tiger King a plus que triplé les recherches pour les imprimés de tigre, de léopard et de zèbre en mars 2020. Les acheteurs ont également recherché des articles Kenzo Tiger (+200 % par mois). Le sweat-shirt Tiger est devenu l’une des pièces les plus populaires de la marque Anine Bing.

Halston

Deux semaines après le lancement, les recherches d’articles issus d’Halston ont augmenté de 550 %. Le nombre de pages consultées pour les robes à col roulé a augmenté de 132 % et celui des hauts à col roulé de 60 %. La marque a également publié une collection en réponse à la série, désormais disponible en pré-commande sur sa boutique en ligne.

Euphoria

L’annonce de la saison 2 et des deux émissions spéciales d’Euphoria a fait exploser la marque Collina Strada, avec 154 % de recherches supplémentaires. Les articles les plus recherchés étaient un haut rose, un chemisier transparent, une longue jupe bleue et une maxi robe tie-dye. La chemise Stussy avec impression psychédélique du personnage Rue a reçu 50 % de recherches en plus. Les acheteurs ont également recherché des Vans blanches (+46%) et des jupes plissées à carreaux (+24%).

Lupin

La série française Netflix a fait grimper les recherches pour les baskets Nike Air d’Assane Diop de 36 % en une semaine. L’intérêt pour les casquettes a augmenté de 43 % et celui pour les vestes de training de 22 %. Les manteaux longs ont également gagné 22 % de popularité en un mois. Les costumes trois-pièces de Lupin ont fait grimper le moteur de recherche de 68 %.

Emily à Paris

Lorsque la série Netflix nous a été lâchée en octobre 2020, les recherches pour « Kangol bucket hat » ont augmenté de 342 %. Le béret classique a également été très recherché sur Google, tout comme la jupe asymétrique jaune de Ganni (+ 289 %).

Emily in Paris © iStock
Emily in Paris © iStock© DR

Normal People

L’adaptation du roman de Sally Rooney a provoqué une ruée sur les bijoux. Le collier en argent de Connell Waldron a même obtenu un compte de fan sur Instagram, @connellschain. Le bijou a immédiatement entraîné une augmentation de 43 % des recherches.

It’s a sin

C’est le style de Roscoe Babatunde en particulier qui a enthousiasmé les téléspectateurs. Les recherches de jeans délavés ont augmenté de 60 %. Les T-shirts sans manches ont été recherchés 29 % plus souvent.

The Serpent

Grâce à la série seventies, les recherches pour des costumes bruns ont augmenté chaque mois de 22 % et les débardeurs de 14 %. Les recherches de pantalons évasés (+34%), de hauts à dos nu (+27%) et de foulards imprimés (+13%) ont également augmenté chaque mois. Queen’s Gambit

Queen’s Gambit

Les clics pour les vestes à carreaux ont augmenté de 383 % dans le mois qui a suivi le premier épisode. Les manteaux de laine blanche ont eu vu leur popularité augmenter de 131 % et les cols roulés de 56,74 %.

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© Queen’s Gambit © Netflix

The Crown

Les recherches pour le vichy rose, un imprimé porté par Diana dans la série, ont augmenté de 35 % en un mois. Au bout d’une semaine seulement, les recherches de chemisiers pussybow (108 %), de robes à col (54 %) et de boucles d’oreilles en perles (162 %) ont explosé.

The Undoing

On aime ou on déteste, mais selon Lyst, les recherches de « long manteau vert » ont augmenté d’au moins 35 % après la sortie de la série.

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© The Undoing © Getty Images/iStock

Bridgerton

Au Royaume-Uni, la demande en ligne de corsets a explosé, avec une augmentation impressionnante de 1 000 % des recherches après la sortie de la série. Au niveau mondial, la demande de corsets a augmenté de 123 %. Le #regencycore était tendance : les bandeaux, les gants longs et les robes empire ont également fait fureur.

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