Patou, le réveil de la belle endormie

© photos : SDP

Le défilé de Patou sera sans conteste l’un des événements marquants de la prochaine Fashion Week parisienne, en septembre prochain. Après un sommeil de plus de trente ans, cette mythique maison de couture revit grâce au talent de Guillaume Henry. Rencontre.

Au siècle dernier, leur réputation d’excellence dépassait largement les frontières de leur pays, la France. Oubliées, catatoniques, voire disparues dans les brumes du temps, ces maisons de couture historiques sont néanmoins sorties progressivement de leur sommeil, après plusieurs décennies, à l’instar de Balenciaga, Balmain ou encore Schiaparelli. Des résurrections qui, souvent, s’avèrent heureuses. On estime en effet généralement qu’il est plus facile – et moins cher – de relancer une griffe existante que d’écrire une nouvelle histoire de A à Z. Que des créateurs de renom tels que Hedi Slimane ou Nicolas Ghesquière n’aient pas de label propre mais soient nommés directeurs artistiques de marques prestigieuses n’est pas un hasard.

Patou, le réveil de la belle endormie
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La reprise d’un nom qui a fait date n’implique néanmoins pas de décrocher le pactole. Ainsi, plusieurs propriétaires successifs ont investi des sommes colossales pour réanimer Vionnet, en vain. La faillite a finalement dû être prononcée. Le sursaut récent et ambitieux du label Paul Poiret, lui, n’a pas fait long feu : l’aventure a pris fin au bout de quelques saisons. Aujourd’hui, c’est au tour de Jean Patou, une institution plus que centenaire dans les limbes depuis 1987, de retrouver des couleurs, sous l’égide du groupe LVMH.

Ni fil, ni aiguille

Le prince charmant de ce conte de fées s’appelle Guillaume Henry, talentueux quadra à qui l’on doit le succès d’autres renaissances, celle de Carven – repris désormais par un groupe chinois -, puis de Nina Ricci, qui a souffert pendant des années d’un certain flou artistique et d’un réel manque de cap. Avec Patou, le Français se voit offrir en quelque sorte un nouveau Carven, une enseigne fraîche et contemporaine, prête à se défaire de ses oripeaux.  » Nous avons la grande chance de pouvoir créer un univers neuf, se réjouit-il. C’est rare dans notre domaine. Quand je suis arrivé le premier jour, il n’y avait rien. Ni un fil, ni une aiguille, pas de meubles, ni d’équipe. Mais c’est ce qui me plaisait. Lancer une marque, ça a quelque chose de magique.  »

Patou, le réveil de la belle endormie
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Dans une optique de modernisation, le créateur a très vite supprimé le  » Jean  » de l’étiquette et imaginé un nouveau logo.  » Avec le prénom, ça sonnait un peu lourd et ampoulé. Avec seulement le nom, c’est léger et charmant « , se justifie-t-il avant de parler de celui qui donna son patronyme à la maison :  » C’était un homme toujours enthousiaste, qui aimait rire et sortir, une personnalité solaire. Au final, sa carrière a été assez courte. Il est mort jeune, en 1936, à 48 ans à peine. D’autres couturiers ont pris sa relève. Christian Lacroix a été le dernier, en 1987. Cela veut dire qu’il ne s’est rien passé pendant plus de trente ans et qu’une génération n’a jamais entendu parler de Jean Patou. Pour elles, c’est tout simplement un nouveau venu.  »

Guillaume Henry, nouveau D.A. de Patou.
Guillaume Henry, nouveau D.A. de Patou.© photos : SDP

Loin de renier le passé doré des collections, le nouveau D.A. a bien sûr compulsé les archives… pour ensuite les réinterpréter.  » En 2020, on ne fait plus les robes comme en 1930, justifie-t-il. Je me suis penché sur les coupes et surtout sur les femmes qui ont porté du Patou à l’époque. Pourquoi aimaient-elles cette griffe ?  »

Chic mais pas snob

Patou, le réveil de la belle endormie
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Pour son apparition médiatique inaugurale, Guillaume Henry a fait poser des muses et des amies.  » Il ne s’agit pas d’une véritable campagne publicitaire mais en quelque sorte d’un premier rendez-vous, précise-t-il. J’avais envie de photos et de vidéos très spontanées, avec des rires et de la joie. C’est quelque chose qu’on voit assez peu dans notre secteur, alors qu’il y est surtout question de plaisir. Pour moi, c’est essentiel. Je voulais montrer des personnalités plus que des vêtements. J’ai choisi des femmes que je connais bien : certaines travaillent à l’atelier, d’autres sont des mannequins avec qui j’ai noué un lien amical au fil du temps. Les images de mode pèchent souvent par manque de réalisme. Or, j’aime le réalisme : je veux proposer des pièces destinées à être portées par de vrais gens.  » Patou est-elle une griffe de luxe ? Oui et non, répond le créateur. Et de s’expliquer :  » Qu’est-ce que le luxe finalement ? Je dirais que c’est se faire plaisir, penser davantage à soi, cela ne doit pas forcément être exclusif. Je préfère le luxe abordable. On pourrait le comparer avec ce qui se passe en gastronomie. On n’est plus obligé d’aller dans des restaurants étoilés et de payer une fortune pour bien manger. Nos ingrédients sont ceux d’une maison de luxe, mais sans prétention. Le chic d’accord, le snobisme non. Il ne faut pas se cantonner au rêve.  »

Patou, le réveil de la belle endormie
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La première collection défilera en septembre prochain, lors de la Fashion Week, à Paris,  » le rendez-vous incontournable pour les acteurs de la mode « , estime Guillaume Henry qui n’entend pas monter un show traditionnel.  » Je voudrais quelque chose de plus accessible, annonce-t-il. La mode doit aussi s’adresser à un public hors du sérail parisien, par exemple à ma nièce qui vit à Dijon. On se pose pas mal de questions sur la manière de présenter une collection de manière moderne…  » L’homme dévoile également qu’une fragrance est en préparation –  » ça fait partie de la démarche  » – et rappelle que sa maison vient de mettre au point… une gourmandise, le Patou, pour la célèbre pâtisserie parisienne Carette –  » Quand on y pense, entre mode et gastronomie, il y a décidément beaucoup de points communs « , fait-il observer. Hasard ou non, le drapeau Art déco de Carette flotte sur la place du Trocadéro, devant l’entrée du cimetière de Passy, où repose Jean Patou :  » C’est vrai, sourit le directeur artistique. Mais je n’y vois rien de sinistre. C’est plutôt un clin d’oeil.  »

Jean Patou en 1925
Jean Patou en 1925© Getty Images

En quelques mots

Jean Patou (1887-1936) ouvre un premier atelier en 1910, puis lance, deux ans plus tard, en toute discrétion, une griffe de couture baptisée Maison Parry. En 1914, il installe son atelier, ses salons et ses bureaux rue Saint-Florentin, à Paris, et rebaptise sa maison de son propre nom. Il faudra néanmoins attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale, durant laquelle il participe notamment à la bataille des Dardanelles, pour voir l’affaire décoller. D’emblée, l’homme est un moderniste. Il crée pour des femmes plus libres que jamais, des garçonnes qui découvrent les joies du sport et des vacances. La presse américaine le couronne  » Homme le plus élégant d’Europe « .

On considère Jean Patou comme l’inventeur de la jupe de tennis, celui qui a popularisé le cardigan et le premier à broder des monogrammes sur ses tenues. Il a habillé des artistes comme Josephine Baker et Mistinguett, l’actrice Louise Brooks, la légende du tennis Suzanne Lenglen… En 1929, il lance le premier parfum unisexe de l’histoire, Le Sien, et un an plus tard, Joy, réputé alors pour être  » le parfum le plus cher du monde  » (dix mille fleurs de jasmin et vingt-huit douzaines de roses pour 3 cl de nectar). Sans oublier l’une des premières crèmes solaires, l’huile de Chaldée. Après son décès prématuré, la création reprend sous l’aiguille d’autres couturiers, dont Marc Bohan, Angelo Tarlazzi et Christian Lacroix, jusqu’en 1987 qui voit l’arrêt des activités couture. La maison choisit de se concentrer sur les fragrances (en nom propre, mais aussi pour Lacoste et Yohji Yamamoto). L’affaire sera restée familiale pendant des décennies, avant d’être rachetée successivement par Procter & Gamble, puis par une entreprise britannique, Designer Parfums. En septembre 2018, Jean Patou devient la propriété de LVMH. Depuis, le nom  » Joy  » a été récupéré pour devenir le nouveau parfum Dior, premier lancement d’ampleur depuis J’adore.

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