agnès b., styliste, mécène et collectionneuse: « Aujourd’hui encore, je dessine tout moi-même. »

© MIGUEL MEDINA

Agnès Troublé (81 ans), alias agnès b., a lancé sa propre marque en 1973. Cinquante ans plus tard, elle gère avec son fils Etienne plus de soixante boutiques, une prestigieuse fondation d’art ainsi que Tara, un labo dédié à l’étude de l’impact du changement climatique sur l’océan.

Les débuts

« L’ouverture de mon premier magasin en 1976 a été l’un des plus beaux jours de ma vie. Les anciennes Halles de Victor Baltard venaient d’être démolies, laissant un trou béant près duquel personne n’osait entreprendre quoi que ce soit. Pourtant, la boutique a tout de suite été un succès. Nous avions installé des plantes partout, mis de la musique que nous aimions et accroché des affiches de films, ce que nous avons continué à faire dans toutes nos boutiques, de New York à Taipei. »

La guerre

« J’ai appris très tôt l’importance de pouvoir se débrouiller. Je vivais avec mes parents à Versailles lorsque les Allemands ont bombardé la ville voisine, Saint-Cyr-l’Ecole. J’avais 2 ans et demi, mais je me souviens des sirènes, du grondement des avions et puis: badaboum! Je me rappelle aussi d’avoir marché dans le couloir de notre maison, dans l’obscurité, à la recherche de la chambre de mes parents. Vers ma mère, qui n’est pas venue nous sortir de notre lit, qui n’a fait aucun effort pour nous rassurer. Cette nuit-là a marqué le reste de ma vie: j’ai appris qu’il est important de pouvoir se débrouiller. »

La nuit où les Allemands ont bombardé le village voisin a marqué le reste de ma vie. J’ai appris l’importance d’être capable de se débrouiller.

L’enfance

« Versailles a façonné la personne que je suis. Enfant, j’habitais à cent cinquante mètres du château et je jouais au bassin de Neptune, dans le parc. Plus tard, ma fascination pour le château s’est transformée en une véritable passion pour l’art. Ainsi, à l’âge de 12 ans, j’étais fermement convaincue que je ferais des études d’art à l’Ecole du Louvre, que je deviendrais conservatrice de musée et que je finirais par avoir ma propre galerie. »

« Cette dernière a vu le jour en 1983 et, en 2020, j’ai installé ma fondation d’art, La Fab, dans le XIIIe arrondissement de Paris, avec ma collection personnelle de cinq mille œuvres, une galerie et une librairie. J’aime m’occuper moi-même de l’accrochage des œuvres. »

L’envol

« A 17 ans, je ne voulais rien de plus que de voler de mes propres ailes. J’ai donc épousé un éditeur, mais moins de quatre ans plus tard, nous nous sommes séparés. Le divorce n’était pas accepté dans ma famille bourgeoise – mon père était avocat, mon grand-père général dans l’armée – et je me suis donc retrouvée seule avec mes deux fils. Ma mère m’a un peu aidée avec les enfants pendant cette période, mais ma famille ne m’a jamais donné d’argent, pas même un billet de cent francs. »

Les hommes

« Quand j’étais jeune, j’ai souvent eu des problèmes avec les hommes. Même lorsque j’étais enfant, ils me dérangeaient. A 10 ans, j’avais des formes féminines, j’étais grande pour mon âge et j’avais de longs cheveux blonds. Plus tard, j’ai réalisé un film, Je m’appelle Hmmm, sur une jeune fille maltraitée, sur ces problèmes avec les hommes. Soyons clairs, ce n’était pas autobiographique, mais j’ai ressenti le besoin de faire ce film. »

La mode

« Mon travail ne porte pas sur la mode, mais bien sur des vêtements que l’on peut porter très longtemps. Ma garde-robe contient des pièces qui ont 40 ans. En ce sens, ce que je fais est écologiquement responsable. D’ailleurs, nous avons récemment décidé de réduire de 10% la taille de nos collections, car je pense que l’on consomme trop de vêtements. »

Le chanteur Oxmo Puccino et Agnès Troublé durant le défilé d’agnès b. pour le défilé été 20.
Copyright : Getty Images

« Nous avons également toujours produit aussi localement que possible, même si c’est plus difficile aujourd’hui qu’autrefois. De nombreuses marques de luxe essaient de ramener leur production dans l’Hexagone, parce que le «made in France» fait bien, mais elles finissent par travailler avec les mêmes fournisseurs que nous, ce qui implique des délais de livraison plus longs. »

Le dessin

« Je ne supporterais pas que mon nom figure sur quelque chose qui ne m’appartient pas tout à fait. C’est pourquoi je n’ai jamais eu de studio de création – ah non! Aujourd’hui encore, je dessine tout moi-même. Tout ce qui est accroché dans les magasins est dessiné par moi. »

Une philosophie de vie

« La vie est déjà suffisamment complexe. En tant que designer, j’aime donc faire plaisir aux gens et faire en sorte qu’ils se sentent bien. Se sentir bien dans ses baskets, comme on dit. Il faut être à l’aise dans ses vêtements pour pouvoir consacrer du temps à des choses plus importantes que soi. »

La Fab, à Paris, présente jusqu’au 22 octobre Le langage du corps, une exposition avec des œuvres de Tracey Emin, Niki de Saint Phalle et d’autres, provenant de la collection privée d’agnès b.

agnesb.eu

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