Julie Menuge, créatrice belge: « On peut avoir un rapport amour-haine avec la mode »
Adepte du surcyclage depuis l’enfance, Julie Menuge (38 ans) collectionne les tissus et patchworks en un acte de résistance poétique. De ses créations, elle habille les Zap Mama, Estelle Baldé et Rokia Bamba. Lauréate d’une bourse Wallonie-Bruxelles Design Mode, elle est l’une de nos plus sensibles ambassadrices de l’artisanat métissé.
De styliste à créatrice
On peut avoir un rapport amour-haine avec la mode. J’ai appris ses codes via le monde académique. J’ai commencé mes études par le stylisme à La Cambre, en 2002 − ce qui m’intéressait, c’était de créer des vêtements qu’on allait pouvoir porter, la mode fashionista, je n’en connaissais rien. Dès la deuxième année, j’ai changé d’option pour le design textile. Je n’étais pas en accord ni en harmonie avec la mode qui prônait un certain rythme, une façon de faire et de produire. La réconciliation est venue plus tard, lors de mon stage chez Jean Paul Gaultier, en haute couture. Je bossais sur des broderies qui ont vraiment fini sur le catwalk.
‘Il y a un peu plus de dix ans, on me prenait pour une hippie un peu ringarde, quand je disais que je faisais du surcyclage.’
Décoloniser le regard
Le terme «fashion» regorge d’une diversité incroyable. Je l’ai compris à la lecture du livre Fashion, du National Geographic, à la fin de mes études. C’est une vision ethnocentrée, occidentale que de qualifier de «mode» tout ce qui sort des défilés parisiens, milanais, londoniens, new-yorkais et de «costume» tout ce qui vient d’Afrique et d’Asie.
Hymne à la joie (de créer)
L’artisanat, c’est le passé et le futur de la mode. Je suis arrivée à cette conclusion grâce à l’apprentissage du geste, à l’amour du fait de faire. J’ai employé deux fois le verbe faire, ce n’est pas anodin. Il y a là une jubilation irrépressible. Et je l’ai découverte très tôt. Toute petite, j’essayais d’apprendre à tricoter avec des feutres en guise d’aiguilles. Puis vers 10 ans, quand j’ai appris à coudre à la main, je me souviens que je jubilais d’être capable de produire un objet, j’étais amoureuse du sentiment d’autonomie que cela procurait.
Julie Menuge ou l’upcycling en héritage
L’upcycling, c’est faire avec ce que l’on a. Et c’est dans ma culture familiale. Mes grands-mères avaient connu la guerre, elles faisaient de la couture presque par défaut. Il fallait démonter un costard d’homme pour avoir le beau côté du tissu pas trop usé et réussir à en faire quelque chose. Et c’était une fierté: ma grand-mère était fière d’avoir réussi à habiller ses enfants sans que cela ait coûté un sou. Inconsciemment, elles m’ont transmis l’art du surcyclage, je préfère la traduction française.
Rien ne se perd
Tout fini par être récupéré, galvaudé, tordu. Quand je lis «collection upcycling» sur la vitrine d’une enseigne de grande distribution de l’avenue de la Toison d’Or, je me demande de quelle échelle de production d’upcycling on parle. C’est devenu un terme à la mode, c’est la ruée vers le concept. Tout le monde prétend en faire, à toutes les sauces. Il y a un peu plus de dix ans, on me prenait pour une hippie un peu ringarde, quand je disais que je faisais du surcyclage. Je pensais naïvement que j’allais sauver la planète. Il ne faut pas exagérer! En échangeant avec d’autres créateurs, on se dit que cela fait partie de la solution mais on ne peut pas nous demander de gérer les milliards de tonnes de déchets textiles qui finissent dans le désert chilien et au Ghana.
Cousu de fil bon
Faire du patchwork, c’est un acte de résilience. On répare, on se répare, on se crée une couverture qui réchauffera son corps, son intérieur, sa vie, avec des morceaux que l’on a patiemment rassemblés. Je me vois comme une patchworkeuse: je fais avec ce que j’ai et je crée des ponts entre les cultures. Je rassemble, je mets en valeur les uns et les autres, je fais coexister sur un même espace un bout de tablier de ma grand-mère à côté d’un lamé qui vient du Pakistan et d’un bout de faso danfani burkinabé.
Parlez-vous textile?
Les tissus forment un langage. A travers eux, on comprend les mouvements sociaux, la politique, la guerre… Le wax, par exemple, porte toujours un message. J’ai étudié à fond ses différentes iconographies, sa fonction et son rôle, jusqu’à me faire tatouer sur le bras le motif appelé «Les ongles de Madame Thérèse». C’est le nom ivoirien d’un wax au départ hollandais, un design Vlisco, l’une des plus grosses manufactures. Il évoque cette légende urbaine qui veut que la femme du Président Houphouët-Boigny ait promis de lacérer le visage de la maîtresse de son mari. C’est le tissu de celles qui ne se laissent pas faire. Moi, en me tatouant ce motif, je suis en réalité allée demander protection à Madame Thérèse!
Un temps pour tout
Chaque chose a son temps. C’est une phrase d’un sticker que j’ai trouvé à Ouagadougou, je l’ai collé sur ma machine à coudre. J’ai un respect pour les choses et le temps. Il ne faut pas vouloir aller trop vite. Quand on parle de slow fashion, pour moi, c’est ancré dans le processus de faire. Sur une autre machine, j’ai collé un sticker également ramené du Burkina Faso: «Le bienfait n’est jamais perdu.»
Julie Menuge, 154, rue Blaes, à 1000 Bruxelles. juliemenuge.com
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