Notre rencontre avec Célestin Verheyden, jeune créateur prometteur : « Je préfère qu’on regarde ce que je fais plutôt qu’on me regarde »

Le lauréat
© SDP
Anne-Françoise Moyson

Soutenir la jeune création est l’une des missions du Vif Weekend. Voilà pourquoi nous honorons un.e étudiant issu de La Cambre mode(s). Notre lauréat 2024, Célestin Verheyden, magnifie les codes du vestiaire masculin et sa Hesbaye natale avec maîtrise.

Que fait un jeune homme fraîchement diplômé de La Cambre mode(s), à Bruxelles, qui aborde un nouveau chapitre de sa vie? Il prend le temps de revenir se poser dans son village natal, en Hesbaye «profonde», à Lincent, ciel très bas, champs à perte de vue, chemins terreux. Et il squatte le grenier de ses parents pour mieux archiver soigneusement ses cinq années d’étude. C’est exactement cela qui occupe Célestin Verheyden, pour l’instant. Il a rangé ses collections dans les cartons, ses silhouettes dans des housses et ses chemises en popeline sur cintre. Mais il a gardé à portée de main ses patrons avec ses carnets de recherche. «J’irais bien rejeter un petit coup d’œil de temps en temps, peut-être par nostalgie», confie-t-il.

Pourtant, avec lui, elle n’est plus ce qu’elle était. «Je suis conscient du luxe que c’était d’être étudiant, cela me fait un coup mais je suis excité de ce qui va arriver…» Les portes sont grand ouvertes devant lui. Qu’il ait terminé major de sa promotion y est pour beaucoup, sans compter le reste – sa maturité, son amour du vêtement et des codes avec lesquels il joue élégamment, son habilité et son savoir-faire techniques, sa façon délicate de célébrer le corps et la campagne. 

Petit, Célestin dessinait, beaucoup. Ado, conseillé par sa grand-mère, il s’essayait à la machine à coudre, pour repriser les jeans, c’était la mode des slims. A 17 ans, il se lance dans son cursus mode sans devoir «batailler». Il a pour lui d’avoir un père qui enseigne la restauration d’œuvres d’art à Liège et une mère qui fut mannequin pour Olivier Strelli (et qu’il rêve de faire défiler). «Je tiens à remercier Papa pour son soutien et enfin Maman pour tout», c’est ainsi qu’il clôture joliment la longue liste des mercis accolés à sa collection de Master 2.  C’est dire s’il embrasse la suite, l’avenir, avec une sérénité touchante. Confidences.

 

Pourquoi avoir choisi de faire votre cursus mode à La Cambre?

J’avais passé l’examen d’entrée au KASK à Gand, au début de l’été, j’avais 17 ans, j’avais été pris. Et puis j’ai passé celui de La Cambre, que j’ai finalement choisie parce que j’avais morflé, je sentais que j’allais y apprendre beaucoup plus. Quand je suis arrivé en première année à La Cambre, cela a été la claque. Il m’a fallu du temps pour comprendre que j’étais à ma place et pour me faire confiance.

Je sortais de nulle part, j’avais l’impression d’être dans un milieu qui n’était pas le mien. Les étudiants étaient stylés, je les voyais tous hyper sûrs d’eux et je me demandais ce que je faisais là. J’ai mis un peu de temps pour comprendre où ça pouvait aller… il faut dire que j’ai tendance à me brider et à rester dans ce que je maîtrise. Jusqu’à mon dernier jour d’école, il a fallu que j’arrive à lâcher prise, accepter que ce ne soit pas maîtrisé du début à la fin. 

Quelles sont vos racines créatives? 

Ma campagne. J’ai commencé à l’aborder après avoir vu le film de Michaël R. Roskam, Rundskop. C’était la première fois que je voyais un film tourné chez moi, entre Waremme, l’Ardenne et Liège, et que je découvrais la Hesbaye sur un écran, avec un acteur de dingue, Matthias Schoenaerts, dans un film super trash et cru comme cela peut l’être dans ces campagnes… Je me suis dit: «On peut faire de l’art avec cette campagne.» Pas spécialement la rendre sexy mais en tout cas la photographier, la mettre en image et la rendre abordable pour les gens qui ne la connaissent pas. La faire découvrir au monde par le cinéma ou par mon medium, la mode.

Pour beaucoup, c’est vide de sens, il ne s’y passe rien et c’est anxiogène parce que c’est tout plat, à perte de vue, à part quelques éoliennes qui dépassent. L’enjeu est de la rendre non pas spécialement attrayante mais de la traduire… Enfin, il y a quand même ce jeu d’en faire quelque chose de désirable puisqu’il s’agit de vêtement! Ça ne peut pas être hermétique, il faut arriver à la rendre disponible. C’est cela que je voulais faire en Master 1 et puis en Master 2: dresser son portrait et donc répertorier les matières, les formes, quelques objets dont la revue du boy-scout, des ballots de paille emballés dans du plastique, les potences à corbeaux et les couleurs terreuses, entre le beige et le brun avec des déclinaisons de vert et des camaïeux.  

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Cette inspiration, vous la transcendez par des «gestes modernes et incisifs», dites-vous…  

Comme les coupes qui font apparaître des formes primaires, géométriques, des pliages de grands aplats ou encore l’utilisation du Zip qui permet et symbolise une rapidité d’assemblage. En réalité, pour moi, la garde-robe masculine est un terrain de jeu inépuisable. Je travaille les classiques, les piliers de cette garde-robe, les jeans, les chemises en flanelle à carreaux, les vestes Harrington, les shorts scout, les costumes prince-de-galles et les lodens. Mais je joue avec les codes. Je découpe, je retourne, je plie. C’est ce principe-là, partir d’un classique avec un geste assez simple et radical. J’aime qu’on puisse le lire, que ce soit net, compréhensible. Je prends beaucoup de temps et de plaisir à ce que l’exécution soit parfaite mais que la lecture soit compréhensible, c’est pour ça que j’ai travaillé avec le pliage et l’origami. 

Et vous portez vos vêtements? 

Pratiquement pas. Et puis on passe tellement de temps dessus qu’une fois que c’est fini, on ne peut plus trop les voir… Et si je ne les porte pas, c’est surtout parce que je ne suis pas courageux dans ma façon de m’habiller: jeans, tee-shirt blanc ou noir, le maximum, c’est une chemise bleue! Je déteste attirer l’attention, je préfère qu’on regarde ce que je fais plutôt qu’on me regarde.  

Vous faites votre premier stage chez Ester Manas en 2021. Qu’en retenez-vous?

J’ai travaillé durant les deux mois d’été et j’ai prolongé mon stage en octobre, jusqu’au premier défilé d’Ester Manas à Paris. C’était aussi le premier auquel j’assistais, à part ceux de l’Académie d’Anvers et ceux de La Cambre. C’était vraiment l’excitation pour tout le monde! L’univers d’Ester Manas est très loin de ce que je fais d’habitude puisque c’est de la femme et du flou stretch mais on m’a fait travailler sur les pièces les plus tailleur, un ou deux tops, des pantalons, dans une espèce de crêpe, un tissu assez sec. C’était une super expérience. Comme c’est une petite équipe, j’ai eu très vite des responsabilités. J’ai fait des pièces qui ont défilé, on me faisait confiance. Et puis, j’ai découvert le fonctionnement d’une marque qui émerge. 

Vous avez été stagiaire chez Saint Laurent, par deux fois. Vous conseilleriez de cumuler les stages chez un jeune label indépendant et une maison de luxe?

J’ai adoré tous mes stages et je conseille d’en faire dans une petite et dans une grande maison. Même si c’était plus compliqué chez Saint Laurent parce qu’en tant qu’étudiant, on est habitué à faire tout de A à Z, de la première recherche iconographique jusqu’à la finition du dernier accessoire. Or là, c’est presque du fordisme, c’est vraiment fragmenté, je comprends évidemment mais on reste chacun dans son domaine… Pour le premier stage, j’étais en prêt-à-porter Femme, en tailleur, j’ai fait quelques toiles, c’était une super expérience dans une super équipe. J’ai également aimé ce long séjour à Paris. Pour le deuxième stage, j’ai travaillé en produit fini, dans la section maille. C’était intéressant et j’ai beaucoup appris sur la façon dont fonctionne une maison de mode, entre la production et la confection dans les ateliers, tout ce circuit, ce labyrinthe gigantesque et cette efficacité dingue. 

L’univers de la mode est impitoyable, on le sait. De là à le détester? 

Je suis assez peu dans la détestation. Je suis apaisé. Après, j’ai rarement été victime d’injustice, cela s’est toujours assez bien goupillé. Et mine de rien, ce n’est pas pour démériter, mais j’ai «la chance» d’être un mec, un peu grand et mince, cela importe dans ce milieu où j’ai vu pas mal de sexisme, des maladresses ou des manques de considération. Je ne l’idéalise pas non plus, ce milieu, je suis conscient des dérives et de certains aspects négatifs. Et puis, je prends le recul nécessaire…. C’est un milieu dur, il y a parfois des moments où cela se passe moins bien mais j’arrive à me détacher et à prendre les critiques comme un conseil.  

A quoi ressemblent vos rêves professionnels? 

Je rêve d’ouvrir ma maison un jour, potentiellement… Et à court terme, mon grand rêve est d’aller chez Craig Green ou Bottega Veneta. Le premier pour cet aspect conceptuel du vêtement, du volume. Il développe des formes, de manière très plastique, c’est presque de la sculpture et de là découlent des principes d’assemblages, de couleurs, de rythmes dans le motif. Et puis, il fait du menswear comme j’aime. Dans sa dernière collection, je vois des liens avec mes références: il y a des petits tracteurs brodés sur les mouchoirs,  un tissage avec des tournesols comme un paysage de campagne, des choses que je n’avais pas vues ailleurs…

Je rêve aussi de travailler chez Bottega Veneta pour cet amour du vêtement pur, de la forme et de la fonction – un manteau sera toujours un manteau. Je suis cette maison surtout depuis que Matthieu Blazy en est le directeur artistique, forcément parce qu’il y a l’héritage La Cambre, il y a été étudiant. J’aime son esthétique, ses pièces lourdes, tout est très construit, très tailleur.

Face à l’avenir, la peur vous étreint parfois? 

Pas du tout, parce que je n’y vais pas la tête baissée et que tout s’est bien aligné jusque-là pour moi. Je me suis intéressé à la mode, cela m’a plu, j’ai été pris à La Cambre et en plus, je ne me suis pas trompé. J’ai l’impression d’être tombé dans le bon et d’avoir encore à apprendre. Je vais enchaîner par des stages, aller à Paris, Londres ou Milan en fonction des opportunités… Et j’ai l’ambition d’un jour voir refleurir une mode belge au pays. Je ne sais pas à quel point, du haut de mes 23 ans et de toute l’ambition de la jeunesse, c’est un peu mégalo de penser faire de la mode en Belgique, mais cela ne me déplairait pas.

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