Profil XXL: le chemin de mode transgressif de Jean Colonna

. © BETTINA RHEIMS COURTESY GALERIE XIPPAS

Toutes ses évocations ont du panache. Quand le créateur s’empare du Brillant de la maison Delvaux, il l’oversize, le déconstruit et ne lui impose aucun genre. A l’image de son chemin de mode innervé de beauté.

Il dit de lui qu’il est « transgressif et borderline ». Comment lui donner tort, lui qui connut l’exil, quitta pour toujours l’Algérie et Oran dans la foulée de l’indépendance pour atterrir dans le sud de la France où le gamin pied-noir se verra déchaussé de force par une bande de gros bras qui voulaient vérifier de leurs yeux la couleur de ses plantes. Il y eut froid, commença par étudier la médecine, prit la direction de la Chambre Syndicale de la Couture à Paris, fut repéré par monsieur Balmain où il apprendra ce qu’il ne veut surtout pas faire, lança son Comptoir du Kit avec le plasticien Christian Astuguevieille avant de créer, en 1990, une marque à son nom, tout attaché, « pour laisser Jean tranquille ». S’il l’a mise en veilleuse après presque trois décennies d’inventions et de déconstructions, de collaborations avec les artistes qu’il respecte, de Bashung à Patrice Leconte ou Vanessa Paradis, et les photographes qu’il admire, Bettina Rheims, Nan Goldin, Juergen Teller, Jeff Burton et Glen Luchford, c’est parce qu’il avait peur de « la collection de trop ». Rien ne l’empêche cependant de poursuivre ses mariages créatifs, d’empiler les Polaroids qu’il aime « pour l’instantanéité, le non-cadrage, la non-technicité tout en étant dans une grande technicité » – on ne verra pas sa collection, secret défense, Jean Colonna a l’exubérance de ceux qui haïssent les épanchements. Dans son appartement de bord de Seine, il assemble assiettes en bois brûlé venues de Séoul, marionnette balinaise, objets usuels détournés, table en laque et boîtes à souvenirs. Plus deux portraits grandeur nature de Bettina Rheims, le visage d’Elise Crombez pour la série Héroïnes sur laquelle ils oeuvrèrent de concert et une actrice de porno, dans la chambre d’hôtel de Rudolph Valentino -sur ce cliché décoloré par le soleil, le rouge est devenu violet, elle a une cigarette à la main, le cheveu blond, le sourcil noir, elle est belle, comment en irait-il autrement?

Série Gender Studies, Simon K. I, juin 2011 par Bettina Rheims.
Série Gender Studies, Simon K. I, juin 2011 par Bettina Rheims. « J’ai toujours été attiré par la photo. Dois-je avoir une explication? Non. Essayer de voir ce qu’il y a dedans, derrière surtout. »© BETTINA RHEIMS COURTESY GALERIE XIPPAS

La photo

« Mon univers est basé sur la photographie. Elle est pour moi une grande source d’inspiration. J’ai toujours été attiré par elle, j’aime le moment figé, la composition, le portrait même si ce n’est pas forcément une photo extraordinaire – essayer de voir ce qu’il y a dedans, derrière surtout… Et puis j’ai fait pas mal de collaborations, cela a été des grands moments de plaisir de travailler avec des photographes que j’admirais ou que je découvrais. »

JeanColonna par Jeff Burton

« Cette image représente complètement mon travail. L’étiquette, symbolique de mode, la taille, le corps, la peau, c’est là où doit être le vêtement. Jeff Burton, ce fut d’abord une rencontre avec un ouvrage qui m’émeut et devient presque mon livre de chevet. En 2000, Jean-Pierre Blanc me propose une carte blanche pour le Festival international de mode et de photographie à Hyères, cela n’a pas fait un pli, je veux collaborer avec ce monsieur qui gravite autour de l’industrie du porno à Los Angeles, et principalement du porno gay. Avec lui, il n’y a jamais de photo explicite. On a créé ensemble un diaporama sur cet univers-là, toujours suggéré – pour moi, c’est cela le véritable érotisme. »

Le Brillant l’xxl

« C’est un projet qui me tient à coeur, c’est bien plus qu’une collaboration. Je connaissais Delvaux, et j’adore l’artisanat de luxe. Un jour, ne me demandez pas pourquoi, j’ai eu une vision du Brillant l’xxl, c’est devenu une obsession. J’ai appelé Jean-Marc Loubier, le président et CEO de la maison, je lui ai soumis cette idée de sac à l’opposé de tout. Je suis venu à Bruxelles, l’expliquer à l’équipe créative, j’y suis allé en toute décontraction, honnêtement, j’avais juste une idée et des gribouillis. Chez moi, cela commence toujours par l’écriture, dès le début, j’ai eu un rejet du dessin, car on peut esquisser des choses extraordinaires et la réalité en être très loin. A la limite, je fais un petit crobard d’où partent plein de flèches avec des explications pour l’atelier ou pour moi. Dans ce cas-ci : respecter une marque, pas de genre, grande souplesse, une seconde maison, un accessoire avec lequel on peut partir définitivement et tout quitter, pas de bandoulière sinon, désolé, on n’est plus dans le domaine du luxe, mais dans celui du pratique. Il est relativement cher mais dans trois générations, il sera encore là, c’est un objet de désir, de mémoire. D’ailleurs, en anglais quand je parle de lui, je ne dis pas « it » mais « he ». Il me résume assez bien, l’essentiel y entre. Comme le sac de Mary Poppins, en dehors d’y mettre un portemanteau, on peut aussi y glisser son amour, l’amour tout court, et sa vie. »

Le Brillant l'xxl:
Le Brillant l’xxl: « C’est bien plus qu’une collaboration », dit Jean Colonna.© SDP

L’enfance

« De mon enfance à Oran, il me reste l’essentiel. De cette période de 0 à 10 ans, je garde tout ce que vous pouvez conserver, exagérer, déformer, dans le bon sens, et ce qui est terriblement ancré au fond de vous sans même que vous vous en rendiez compte. Oran était une ville du mélange des cultures et des races, c’était merveilleux. Affleurent de temps en temps des rêves, des frustrations dans les rêves, parfois même une odeur dans une ville. Et puis il y a cette chose extraordinaire qui peut être négative et que j’essaie de transformer en positif, je n’ai pas de racines, je ne suis pas oranais, pas aixois, pas parisien mais je suis les trois et peut-être une quatrième autre chose. J’aimerais pouvoir me lever un matin et prendre l’avion pour Oran, mais cela me bloque complètement. Et c’est peut-être très bien que je n’y aille pas, la maison, la plage, il n’y a plus rien, je sais que la vie est passée par là… L’essentiel est en moi, je le retrouve à Palerme, dans une petite rue de Séoul ou à Los Angeles, quand tout à coup, sans la chercher, il y a une connexion. »

Des histoires

« J’ai fait trois années de médecine mais le corps humain n’est que la partie immergée de ce qui m’intéresse le plus, l’âme, l’esprit et la tricherie que l’on peut y mettre. Avant même de savoir que j’allais faire quelque chose dans la mode, l’enveloppe ne m’importait pas, mais ce qui se passe à l’intérieur. Vous me mettez n’importe où, je ne m’ennuie jamais, je m’assois, j’observe et je décrypte. Après, je me crée des histoires, imaginaires, surréalistes, cela dépend de mon humeur, et de mon temps: complètement dramatiques, comédie romantique, d’horreur ou à l’eau de rose. Et c’est fantastique d’autant que personne n’est là pour me contredire. »

Invitation JeanColonna, automne-hiver 00-01, par Jeff Burton.
Invitation JeanColonna, automne-hiver 00-01, par Jeff Burton.© JEFF BURTON
Bashung pour la tournée des Grands espaces. En habit de lumière JeanColonna.
Bashung pour la tournée des Grands espaces. En habit de lumière JeanColonna.© SDP
« Je connaissais le travail de Glen Luchford, il connaissait le mien, on a eu un projet de calendrier ensemble, dans un restaurant de travestis thaïlandais, cela a duré deux jours, elles ont pris un plaisir fou. Glen est extrêmement talentueux, il le prouve encore aujourd’hui avec ce qu’il fait pour Gucci. »© JEAN COLONNA / GLEN LUCHFORD
Lookbook JeanColonna, printemps-été 1987, par Bettina Rheims.
Lookbook JeanColonna, printemps-été 1987, par Bettina Rheims.© BETTINA RHEIMS
« C’est l’automne-hiver 02, un défilé « rewind », on démarrait par le final, avec les mannequins Kim Peers et Elise Crombez. Cette photo fige un moment important de mon travail, celui où je m’étais affranchi de l’esprit commercial pour présenter hors calendrier, en trois défilés, les gens venaient quand ils voulaient, dans les sous-sols du Petit Palais alors en travaux et c’était des pièces uniques, des cuirs, des Nylons, des soies, une robe hallucinante composée de bandes qui se chevauchaient, en toute liberté. »© SDP
Invitation JeanColonna, automne-hiver 97-98, par Nan Goldin.
Invitation JeanColonna, automne-hiver 97-98, par Nan Goldin.© NAN GOLDIN
Invitation JeanColonna, automne-hiver 94-95, par Juergen Teller.
Invitation JeanColonna, automne-hiver 94-95, par Juergen Teller.© JUERGEN TELLER

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