Quand les ados piquent les vêtements dans la garde-robe de leurs (grands-)parents

Sandrine et sa fille Lilas © DAMON DE BACKER

Le look est parfois une histoire de transmission. D’autant que les jeunes d’aujourd’hui adorent se plonger dans la garde-robe de leurs parents, voire de leurs grands-parents, pour y faire d’incroyables trouvailles. Trois familles lèvent le voile sur ce dressing partagé.

Sandrine (52 ans), professeur à La Cambre mode(s), et sa fille Lilas (23 ans) portent avec la même grâce ce pull chatoyant qui épouse le corps.

Son jaune est solaire, en un coton perlé sans accroc, il n’a pas vieilli, pourtant elles le portent à tour de rôle depuis longtemps déjà, dix ans au bas mot. Pas moyen de se souvenir qui l’a reçu en cadeau, si c’est la mère ou la fille, une seule chose est sûre et la précision est signée Lilas – « c’est un pull de parrain », traduire Sami Tillouche, maître de la maille, formé chez Romeo Gigli et oeuvrant ensuite chez Cacharel, Cerutti, Lanvin et bien d’autres encore.

Ce pull-over à col contrasté labellisé Cacharel porte sa patte, sans conteste.

« Il est féminin, ébauche Sandrine, confortable et a un truc en plus, il est tricoté en forme, le travail est raffiné, réfléchi en amont… »

Elles ont la même délicatesse de peau, le regard clair, une connivence affichée et des armoires à pulls qui ont « fusionné », cela tisse des liens. « Je pioche dans la garde-robe de maman, papa et parrain depuis toujours ou presque. J’aime récupérer des pièces qu’ils ne veulent plus, chez parrain des chaussettes, chez papa des vestes et des tee-shirts…, énumère la jeune fille qui étudie à Bruxelles pour devenir assistante en psychologie. Mais comme ils s’habillent souvent en noir, du coup, j’ai été attirée par la couleur. »

Elle n’a pas été élevée dans n’importe quel milieu: ses parents et sa famille de coeur ont la mode chevillée au corps, jamais ils ne se sont privés de l’emmener avec eux aux défilés, aux vernissages, à l’école. Il existe des photos d’elle bébé dans les bras de sa prof de mère aux côtés des étudiants travaillant ferme sur leur collection. Cet apprentissage par osmose lui a aiguisé le regard, et le reste – « Mon rapport à la mode est différent, j’ai construit une conscience sociale et écologique qui m’a fait rejeter le consumérisme. Mes parents, eux, ont de grands dressings. » Déformation professionnelle oblige et explications par Sandrine: « Je n’élimine rien, j’ai des pulls d’il y a trente ans que je mets encore, c’est pour cela que ma garde-robe est énorme et que je suis d’accord qu’elle m’emprunte des pièces. » Comme ce premier vêtement partagé, c’était en primaire, lors d’un voyage scolaire, à la place d’un doudou, Lilas avait préféré un des pulls en cachemire de sa maman, totalement oversize pour elle, « c’était un Sami Tillouche couleur chocolat. » Déjà.

Luc et son petit-fils Leon
Luc et son petit-fils Leon© DAMON DE BACKER

Luc (75 ans) n’aime pas se séparer de ses vêtements, et c’est une bénédiction pour son petit-fils Leon (14 ans), qui s’est emparé de la veste Burberry lui faisant de l’oeil depuis longtemps.

C’est un lien très spécial qui unit Luc et l’aîné de ses petits-fils, Leon. A deux, ils partent en excursion, voyagent et rêvent d’un jour arpenter les rues de New York ensemble. Une complicité qui se poursuit dans leurs garde-robes respectives, puisque l’adolescent prend plaisir à fouiller régulièrement parmi les vêtements de son aïeul pour y dénicher de quoi « apporter une valeur ajoutée » à son look. C’est ainsi qu’en quête d’un chausse-pied dans la maison de vacances du papy, le jeune homme a mis la main sur ce trench Burberry. « J’en cherchais un depuis si longtemps; j’avais déjà fait de nombreux magasins de seconde main », se souvient-il, arborant désormais ce grand classique du dressing Homme avec la même assurance que son grand-père.

« Au début, son intérêt pour mes vieux habits m’a surpris, avoue Luc. Que peut faire un ado branché avec ça? Mais en fin de compte, j’aime voir comment il arrive à combiner mes affaires pour les faire correspondre à son propre style. »

Mais attention, pas question de vider pour autant l’armoire du septuagénaire. Luc y veille, lui qui a toujours pris soin de ses tenues et les usent jusqu’à la corde parfois. « J’aime avoir l’air soigné, mais je n’achète pas souvent de nouvelles pièces, j’en ai déjà tellement, observe-t-il. Elles finissent toutes par ressortir tôt ou tard de ma garde-robe. Mon épouse et les enfants me disent alors: « Mais, tu ne vas quand même pas encore porter ça! » Mais Leon, lui, est content que j’aie gardé autant de vieilles choses. » L’intéressé poursuit: « La première chose que j’ai reçue de lui était une chemise Burberry rouge. Il y a peu, j’ai « hérité » d’un bomber American Gant. Mais je ne peux pas lui prendre n’importe quoi. Il porte toujours son survêtement Sergio Tacchini pour jouer au tennis, et je ne peux même pas l’emprunter. Mais, il en a un autre, en tissu éponge, que je vais bientôt essayer. Il doit être parfait pour faire du skate. Mes amis trouvent ça génial. » Et de conclure avec tendresse: « Quand papy ne sera plus là, j’aurais son manteau en souvenir. »

Il y a peu, en fouillant dans la garde-robe de Daphné (42 ans), sa maman, Charlotte (16 ans) a découvert un pantalon A.F. Vandevorst. Elle ne pouvait pas le laisser là.

Daphné et sa fille Charlotte
Daphné et sa fille Charlotte© DAMON DE BACKER

Ce pantalon, Daphné ne l’avait plus porté depuis longtemps. Elle l’avait même un peu oublié, mais en le voyant sur sa fille Charlotte, elle l’a redécouvert. « C’est une pièce classique, intemporelle, observe-t-elle. J’aime la mode belge, et j’investis de temps en temps dans des marques un peu plus chères, principalement Margiela et A.F. Vandevorst, qui signe ce pantalon. J’avais 15 ans quand j’ai reçu mes premières créations belges, à l’époque c’était Ann Demeulemeester. C’était un cadeau de ma mère qui partageait mon amour pour ces stylistes. Aujourd’hui, il y a certains vêtements dont je n’arrive pas à me séparer, même si je ne les porte plus ou qu’ils sont complètement démodés. »

Je n’achète jamais de vêtements de marque coûteux à ma fille, car je ne dispose pas du budget de mes parents à l’époque. Mais je suis heureuse qu’elle trouve son bonheur dans mon dressing.

Daphné et sa fille se ressemblent beaucoup. Elles ont une grande force de caractère et aiment se démarquer par leur silhouette. Alors que l’une porte beaucoup de bijoux, l’autre a depuis peu ses cheveux tressés façon africaine, ce qui met ses pommettes saillantes en valeur. Avec ce large pantalon qu’elles s’échangent désormais, toutes deux affichent une même classe un peu rock’n’roll. « J’aime voir comment elle assortit ses habits, raconte Daphné. Elle associe nouveau et ancien en ajoutant toujours une petite touche personnelle. Déjà petite, elle avait ses propres goûts. Ça me rend fière, parce que c’est aussi un de nos points communs. Adolescente, je ne voulais pas ressembler aux autres.

Je n’achète jamais de vêtements de marque coûteux à Charlotte car je ne dispose pas du budget de mes parents à l’époque, et elle est beaucoup trop désinvolte avec ses habits. Mais je suis heureuse qu’elle trouve son bonheur dans mon dressing. Cela signifie qu’elle trouve que sa mère a bon goût! »

Charlotte, qui achète ses fringues aussi bien dans de grandes chaînes que dans des magasins de seconde main et aime varier ses tenues à l’infini, nuance en rigolant: « Ces derniers temps, ma mère s’habille de façon moins embarrassante qu’auparavant. Il y a quelques années, elle portait parfois des chapeaux bizarres. Mais la plupart du temps, elle est très stylée et possède des vêtements vraiment chouettes. Surtout ses pantalons, que j’emprunterais plus souvent si elle était d’accord. Mes amies m’ont encore dit récemment que j’ai une ‘maman vraiment branchée’. C’est vrai, elle ne ressemble à aucune autre. »

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